France, nouveau moteur de l’Europe ? Au 3ᵉ trimestre, Paris pèse à elle seule la moitié de la croissance de la zone euro
La croissance de la zone euro a progressé de 0,2 % au 3ᵉ trimestre. Surprise : la France a fourni 0,1 point, soit la moitié de l’élan européen. L’Espagne suit à 0,07 point, puis les Pays-Bas à 0,03 point, selon des calculs d’Éric Dor (IESEG) à partir des données Eurostat. De quoi parler de « locomotive » tricolore ?
Le tableau est plus nuancé qu’il n’y paraît.
Une accélération tricolore qui déjoue les pronostics
Dans l’Hexagone, le PIB a progressé de 0,5 % par rapport au trimestre précédent. Cette hausse, meilleure que prévu, a été tirée par les exportations, quand l’Insee tablait encore sur + 0,3 %. L’enchaînement des chiffres raconte une trajectoire en reprise : + 0,1 % au 1er trimestre, + 0,3 % au 2ᵉ, puis + 0,5 % au 3ᵉ. La contribution de la France à la dynamique commune atteint 0,1 point, une performance qui place le pays au sommet du palmarès trimestriel.
Mais saviez-vous que cette poussée française se joue à contretemps d’une première moitié d’année plutôt molle ? Après des mois étales, l’activité s’est réveillée tardivement, offrant un effet de contraste saisissant. Voilà pourquoi, sur ce trimestre précis, la part française dans la croissance de la zone euro apparaît si décisive.
Crédit : Celette / Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).
L’Espagne confirme sa vitesse de croisière
Derrière la France, l’Espagne s’impose comme l’autre pilier de l’embellie européenne, avec une contribution de 0,07 point au trimestre. Surtout, Madrid s’inscrit dans une trajectoire plus régulière. En 2024, le PIB espagnol a bondi de 3,5 % — quand la France ne gagnait que 1,2 % — faisant du pays la première grande économie avancée en rythme de croissance cette année-là. Pour 2025, le gouvernement espagnol attend encore + 2,7 %, contre + 0,8 % anticipé par l’Insee pour la France. Autrement dit : l’Espagne n’a pas seulement créé la surprise sur trois mois, elle soutient l’élan depuis plusieurs années.
Ce détail que peu de gens connaissent : additionnées, France et Espagne représentent les trois quarts de l’augmentation trimestrielle du PIB réel de la zone euro au 3ᵉ trimestre. Ce binôme explique, à lui seul, la majeure partie du mouvement.
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Une solidité française… encore fragile
Si la France surprend, elle n’est pas à l’abri d’un contrecoup. L’Insee vise + 0,8 % sur l’ensemble de 2025, une prévision prudente qui tient compte de signaux contradictoires. Certains secteurs maintiennent l’activité à flot — tourisme, marché immobilier, aéronautique, agriculture — mais d’autres éléments restent inquiétants. L’investissement redémarre moins vite qu’ailleurs, et surtout, la consommation peine à embrayer malgré une inflation désormais plus faible.
Ce paradoxe s’explique : l’emploi résiste, certaines branches exportatrices performent, mais le pouvoir d’achat n’a pas retrouvé partout sa vigueur et les ménages restent prudents. Autrement dit, la dynamique tricolore repose aujourd’hui davantage sur des moteurs externes qu’internes. C’est un point crucial : si les exportations venaient à buter, l’élan pourrait se tasser rapidement.
En rythme annuel, l’Irlande passe devant
En regardant non plus un seul trimestre mais l’année glissante, la photographie change. La zone euro affiche + 1,35 %, et c’est l’Irlande qui contribue le plus à cette hausse (0,46 point), devant l’Espagne (0,30 point) et la France (0,18 point). Ces trois pays totalisent les deux tiers de la croissance annuelle. Les Pays-Bas (0,10), l’Allemagne (0,08) et l’Italie (0,05) complètent le tableau.
Pourquoi ce renversement par rapport au trimestre ? Les trajectoires divergent : l’Irlande a beaucoup accéléré fin 2024 et début 2025, avant de lever le pied. La France, au contraire, a piétiné en début d’année avant de redécoller au 3ᵉ trimestre. Conclusion : la hiérarchie trimestrielle ne dit pas tout de la tendance annuelle.
Crédit : Wikimedia Commons (CC BY-SA).
L’Allemagne en panne, un paysage contrasté
Longtemps locomotive de l’Europe, l’Allemagne peine à sortir de l’ornière. Après deux années de recul, son PIB a stagné au 3ᵉ trimestre, juste après un nouveau repli au trimestre précédent. La récession a été évitée de justesse, mais la reprise tarde. Ce trou d’air pèse sur l’ensemble du bloc européen, d’autant que l’industrie allemande structure encore une partie des chaînes de valeur continentales.
À l’inverse, des économies plus agiles — Espagne, Irlande, Pays-Bas — tirent parti de moteurs spécifiques : tourisme puissant, exportations diversifiées, services dynamiques, innovation dans des niches à forte valeur ajoutée. La zone euro avance donc à plusieurs vitesses, une hétérogénéité qui explique la faible moyenne globale malgré quelques surperformances nationales.
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Crédit : Sergei Gussev / Wikimedia Commons (CC BY-SA).
Les exportations, moteur principal… mais sous dépendance mondiale
Si la France s’impose au 3ᵉ trimestre, c’est d’abord parce que ses exportations ont tiré la croissance. Cette impulsion extérieure a permis de compenser une consommation intérieure qui n’embraye pas encore franchement. Dans les faits, la progression s’est faite par à-coups, portée par des filières capables d’aligner des commandes sur plusieurs mois et de livrer rapidement, ce qui crée un effet d’amplification à court terme dans les comptes nationaux. L’Insee l’a bien noté : la dynamique tricolore tient autant à ce qui part vers l’étranger qu’à ce qui se vend sur le territoire.
Cette configuration a toutefois son revers. Elle expose l’activité à la conjoncture internationale, aux aléas des chaînes logistiques et aux variations de demande chez les partenaires. En clair, si l’environnement se tasse, le souffle peut retomber vite. Le tourisme, l’aéronautique ou encore l’agriculture — cités parmi les branches qui maintiennent l’activité à flot — demeurent performants, mais ils restent tributaires des flux mondiaux, des calendriers de livraisons et des arbitrages de clientèle. Autrement dit, une partie du rebond ne dépend pas uniquement de décisions prises en France.
Cette dépendance s’observe aussi dans les délais : quand les carnets de commandes se remplissent, l’effet sur le PIB peut être rapide ; l’inverse est vrai si les nouvelles affaires se raréfient. Or la zone euro ne progresse que modestement, et certains grands voisins marquent le pas. Dans ce contexte, la capacité française à rester au sommet des contributions trimestrielles tient à la régularité de ses ventes à l’export, mais aussi à la faculté de transformer l’essai par une reprise interne plus solide, notamment via l’investissement et la consommation.
L’enjeu des prochains mois est donc double. Il s’agit de préserver l’avantage compétitif conquis sur ce trimestre tout en évitant une trop forte concentration de la croissance sur un seul moteur. Une montée en puissance de la demande domestique, même graduelle, offrirait un socle plus stable. À défaut, la « locomotive » française pourrait surtout apparaître comme un train rapide, performant sur une portion bien précise du trajet, mais contraint de ralentir dès que l’environnement extérieur se dégrade.
Ce que nous disent ces chiffres sur la zone euro
Au 3ᵉ trimestre, l’Europe a surtout profité du rebond de deux pays : la France et l’Espagne. Mais l’équilibre reste précaire. La consommation française est timide, l’investissement progressant moins vite que chez certains voisins. Côté allemand, la normalisation annoncée tarde à se matérialiser. Et s’il fallait retenir un enseignement en cette fin d’année : les contributions peuvent basculer rapidement d’un trimestre à l’autre, au gré des exportations et de la conjoncture mondiale.
Pour 2025, la prudence demeure. L’Insee anticipe + 0,8 % pour la France, quand Madrid vise + 2,7 %. En clair : l’Hexagone a montré qu’il pouvait surprendre à la hausse, mais la soutenabilité de cette croissance dépendra de la capacité à réenclencher la demande intérieure tout en conservant le souffle exportateur. La zone euro, elle, devra composer avec cet écart de rythmes : si l’Espagne continue de surclasser la moyenne et si l’Allemagne tarde à redémarrer, la mosaïque européenne restera contrastée.
Et la révélation principale, discrètement glissée en conclusion : selon les calculs d’Éric Dor sur données Eurostat, France et Espagne concentrent à elles seules près des trois quarts de la croissance trimestrielle de la zone euro au 3ᵉ trimestre 2025. C’est dire le poids de ce duo, et l’ampleur du défi si l’un d’eux ralentit.