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À Hawaï, des drones lâchent des nuées de moustiques pour sauver des oiseaux en danger

Publié par Killian Ravon le 07 Déc 2025 à 7:33

Depuis plusieurs mois, les forêts de Hawaï sont survolées par des engins qui n’ont rien de militaire, mais qui larguent pourtant de drôles de cargaisons. Derrière ces vols orchestrés se cache une opération scientifique aussi déroutante qu’ambitieuse : utiliser des moustiques pour lutter… contre d’autres moustiques.

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Drone blanc survolant une forêt tropicale hawaïenne et larguant des capsules de moustiques au-dessus des montagnes brumeuses.
À Hawaï, des drones larguent des capsules remplies de moustiques pour tenter de sauver les oiseaux menacés des forêts de montagne.

Une stratégie pensée pour enrayer une crise écologique majeure, dont les véritables enjeux se dévoilent au fil des mois.

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Car ce ballet aérien ne se résume pas à une curiosité technologique. Il vise à protéger des oiseaux uniques au monde, aujourd’hui piégés entre la progression d’un parasite mortel et la montée des températures. Et un détail technique, encore méconnu du grand public, pourrait bien décider du succès ou de l’échec de toute cette opération.

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Large cascade entourée d’une végétation tropicale dense sur une île hawaïenne, rappelant les forêts où les drones relâchent les moustiques.
Les forêts luxuriantes d’Hawaï, théâtre discret d’une expérimentation scientifique hors norme.
Crédit : Pixabay

Des drones qui arrosent la forêt de capsules vivantes

Depuis le mois de juin, des drones sillonnent les pentes boisées de l’archipel et lâchent, à intervalles réguliers, de petites capsules qui se fondent dans le paysage. À première vue, ces objets n’ont rien de spectaculaire. Pourtant, chacun de ces petits cylindres biodégradables transporte une cargaison impressionnante : environ 1 000 moustiques, soigneusement élevés en laboratoire.

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Chaque semaine, des milliers de ces capsules biodégradables sont dispersées au-dessus des forêts tropicales. En quelques heures, elles s’ouvrent au contact de l’humidité, libérant des nuages d’insectes qui se mêlent aux populations déjà présentes. L’idée peut sembler absurde, voire inquiétante, surtout dans une région où les moustiques sont synonymes de piqûres et de maladies.

Mais ici, les autorités n’ont pas choisi cette voie par provocation. Cette opération aérienne répond à un problème très concret : la prolifération de moustiques devenus de véritables ennemis publics, autant pour la santé humaine que pour la faune sauvage. Et contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les plages qui sont en première ligne, mais bien les forêts d’altitude.

Gros plan d’un moustique posé sur un tissu bleu, montrant en détail ses yeux, ses pattes et sa trompe prête à piquer.
Un moustique en pleine observation, au cœur du problème que les scientifiques veulent neutraliser.
Crédit : Pixabay
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Une île paradisiaque frappée par une crise silencieuse

Pour comprendre pourquoi ces lâchers massifs ont été décidés, il faut remonter au XIXᵉ siècle. À cette époque, le moustique n’existait pas sur les îles de Hawaï. Il y a été introduit accidentellement par des navires baleiniers, transporté dans des flaques d’eau stagnante ou des barils oubliés. Une arrivée passée inaperçue, mais dont les conséquences se sont révélées dramatiques.

Avec ce nouvel insecte est arrivé un parasite responsable du paludisme aviaire. Pour les oiseaux locaux, qui n’avaient jamais été confrontés à ce type d’agent infectieux, le choc a été brutal. Des espèces entières ont été décimées, au point de disparaître dans certaines vallées où leur chant faisait autrefois partie du quotidien.

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Les oiseaux endémiques de l’archipel, comme les fameux honeycreepers, ont payé le prix fort. Sur plus de cinquante espèces recensées autrefois, il n’en resterait qu’une petite dizaine et demie, soit seulement 17, presque toutes menacées. Certaines, comme l’akikiki, ont déjà disparu à l’état sauvage en 2023. D’autres, comme l’akekeʻe, sont réduites à quelques dizaines d’individus.

Parmi ces oiseaux, l’iiwi rouge, au plumage flamboyant, est devenu malgré lui le symbole de cette crise. Essentiel à la pollinisation de certaines plantes et profondément ancré dans la culture locale, il se retrouve aujourd’hui en sursis. Cette hémorragie silencieuse de la biodiversité hawaïenne a fini par pousser autorités et ONG à chercher des solutions moins classiques que les simples campagnes de piégeage.

Falaises verdoyantes plongeant dans l’océan au large de Kauai, montrant la diversité des paysages de l’archipel hawaïen.
À Kauai aussi, les moustiques relâchés cherchent à protéger les derniers oiseaux de montagne.
Crédit : Pixabay
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Quand le réchauffement climatique fait grimper les moustiques

Pendant longtemps, une partie de ces oiseaux a réussi à échapper à la maladie grâce à un refuge inattendu : l’altitude. Les forêts de montagne, plus fraîches, formaient une barrière naturelle contre les moustiques, qui supportent mal les températures trop basses. Les espèces les plus fragiles se sont donc repliées vers ces zones élevées, où elles parvenaient encore à se reproduire.

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Mais cet équilibre précaire a été bousculé par le réchauffement climatique. Avec la hausse progressive des températures, les moustiques montent désormais en altitude. Des zones qui étaient jadis considérées comme sûres deviennent petit à petit accessibles à l’insecte, qui y transporte avec lui le paludisme aviaire.

Résultat : les derniers refuges se transforment à leur tour en pièges. Les scientifiques constatent un effondrement rapide des populations d’oiseaux, parfois en quelques années seulement. Là où l’on pouvait encore entendre un véritable concert de chants, le silence gagne du terrain.

Et ce problème ne concerne pas uniquement les animaux. Le moustique reste un vecteur majeur de maladies vectorielles humaines, comme la dengue, le zika ou encore le paludisme. Sur l’archipel, les cas répertoriés ces dernières années restent importés, sans transmission locale observée. Mais l’ombre d’une installation durable de ces virus plane en arrière-plan, renforçant la pression pour agir vite, et autrement.

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Vue macro d’un moustique Culex femelle sur une surface brunâtre, avec la tête et les yeux composés parfaitement visibles au premier plan.
Le moustique, minuscule mais redoutable, devient une cible prioritaire pour la protection des oiseaux.
Crédit : Andy Murray / Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.0)

Une stratégie sans pesticide pour casser la chaîne de transmission

Face à cette situation, les autorités ont fait un choix stratégique : éviter autant que possible les pesticides, malgré leur efficacité apparente. Ces produits chimiques peuvent nuire à d’autres insectes, aux oiseaux eux-mêmes et, à long terme, déséquilibrer davantage des écosystèmes déjà fragilisés.

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C’est là qu’entre en jeu une méthode bien plus subtile. Plutôt que d’empoisonner les moustiques, l’archipel a décidé d’en introduire de nouveaux, produits en laboratoire, mais avec une particularité bien précise. L’objectif n’est pas d’ajouter des espèces invasives, mais au contraire de prendre le contrôle d’une population déjà installée, en la poussant à s’effondrer d’elle-même.

Cette approche a un autre avantage : elle cible uniquement l’insecte incriminé, sans toucher les autres habitants des forêts. Les oiseaux, déjà malmenés, ne sont pas exposés à de nouvelles substances. Et les habitants n’ont pas à subir des campagnes massives de pulvérisation.

Ce choix, très surveillé par la communauté scientifique, place Hawaï parmi les territoires qui expérimentent des méthodes innovantes de lutte contre les moustiques. Mais ce qui se passe dans ces forêts tropicales va encore plus loin que ce qui a déjà été testé dans d’autres régions du monde.

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Oiseau iiwi rouge vif perché sur une branche claire dans une forêt hawaïenne, illustrant les espèces endémiques menacées par le paludisme aviaire.
L’iiwi, joyau écarlate des forêts hawaïennes, fait partie des oiseaux que l’opération entend sauver.
Crédit : HarmonyonPlanetEarth / Wikimedia Commons (CC BY 2.0)

Un pari scientifique inédit, aux premiers résultats très attendus

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L’opération en cours repose sur la technique IIT, pour « Incompatible Insect Technique ». Concrètement, les équipes élèvent en laboratoire des moustiques mâles porteurs d’une bactérie naturelle, Wolbachia. Une fois adultes, ces insectes sont placés dans les fameuses capsules larguées par drones au-dessus des forêts.

La suite se joue dans les airs et sous la canopée. Ces moustiques mâles, qui ne piquent pas, s’accouplent avec des femelles sauvages. Mais la présence de Wolbachia rend cet accouplement « incompatible » : les œufs qui en résultent n’éclosent pas. Progressivement, la population de moustiques capables de transmettre le paludisme aviaire s’effondre, sans qu’aucun pesticide ne soit utilisé.

Depuis 2023, ce dispositif a pris une ampleur impressionnante. Sur les îles de Maui et Kauai, environ un million de moustiques porteurs de cette bactérie sont relâchés chaque semaine. Au départ, ils étaient dispersés par hélicoptère, avant que les drones ne prennent le relais. Ce changement logistique, présenté comme une première mondiale pour la conservation, rend les opérations moins coûteuses, plus sûres et moins dépendantes de la météo.

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Les chercheurs restent toutefois prudents : les premiers effets mesurables ne devraient apparaître que dans environ un an. Si la densité de moustiques baisse comme prévu, les oiseaux les plus menacés pourraient bénéficier d’un précieux sursis. Les honeycreepers encore présents en milieu naturel auraient une chance de stabiliser leurs populations, tandis que des individus élevés en captivité pourraient être réintroduits dans des zones redevenues plus sûres.

À long terme, les scientifiques espèrent même que ces oiseaux développeront une certaine résistance naturelle au parasite, ce « détail que peu de gens connaissent » mais qui pourrait changer la donne. En attendant, chaque capsule larguée au-dessus des forêts hawaïennes incarne ce pari audacieux : qu’un moustique soigneusement modifié en laboratoire puisse, paradoxalement, devenir l’allié le plus précieux de ces espèces au bord du gouffre.

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