Voitures électriques : ce que la nouvelle taxe au kilomètre va changer pour les Français
À partir d’avril 2028, les automobilistes britanniques qui roulent en voitures électriques paieront une taxe calculée en fonction de la distance parcourue. Une décision très scrutée en Europe, alors que de plus en plus de pays cherchent à compenser la baisse des recettes liées aux carburants. La question se pose désormais : la France pourrait-elle, elle aussi, faire évoluer la fiscalité de la voiture « propre » dans le même sens ?
Dans son analyse, l’éditorialiste économique François Lenglet estime que ce scénario est loin d’être théorique. Et derrière les chiffres, c’est tout l’équilibre entre financement des routes, justice fiscale et urgence écologique qui se retrouve sur la table.
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Au Royaume-Uni, les voitures électriques vont payer au kilomètre
Outre-Manche, le principe est désormais posé : à compter d’avril 2028, chaque conducteur de véhicule 100 % électrique devra s’acquitter d’une taxe au kilomètre. Le tarif retenu est de 3 pence par mile, soit un peu plus de 2 centimes d’euro pour 1,6 kilomètre parcouru. Autrement dit, plus l’on roule, plus l’on paye, indépendamment du prix de l’électricité.
Pour un automobiliste qui réalise 12 500 kilomètres par an, la facture totale approchera ainsi les 300 euros. Ce niveau est loin d’être symbolique et donne déjà une idée du signal envoyé aux propriétaires de voitures électriques. Même si le coût d’utilisation reste, en moyenne, plus faible que pour une voiture thermique, la différence se réduit mécaniquement.
Techniquement, le Royaume-Uni peut s’appuyer sur un outil très simple pour suivre le kilométrage annuel : le contrôle technique, obligatoire tous les ans pour tous les véhicules. Le relevé du compteur devient ainsi une base fiable pour le calcul de la taxe, sans installation de boîtier spécifique ni suivi en temps réel des déplacements. Un détail que peu de gens ont en tête, mais qui explique pourquoi ce type de dispositif est plus facile à mettre en place dans certains pays que dans d’autres.
Les Britanniques rejoignent, par cette décision, l’Islande et la Nouvelle-Zélande, qui ont déjà instauré une contribution similaire sur les véhicules électriques. En Europe continentale, le principe de la taxe au kilomètre existe déjà, mais il ne concerne pour l’instant que les poids lourds sur certains axes.
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Faire payer l’usage des routes quand les carburants rapportent moins
Officiellement, le gouvernement britannique avance deux arguments pour justifier ce changement. D’abord, l’idée que tous les usagers du réseau routier doivent contribuer à son entretien, qu’ils roulent à l’essence, au diesel ou à l’électricité. Même si les émissions locales sont plus faibles, une voiture, quelle qu’elle soit, use le bitume, les équipements et les infrastructures.
Mais derrière ce discours d’équité se cache un autre enjeu, plus financier. Avec le développement progressif des véhicules moins gourmands et des motorisations alternatives, les recettes fiscales tirées des carburants diminuent. Or, dans la plupart des pays, ces taxes – accises, TVA et autres prélèvements – représentent une manne budgétaire majeure.
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La France n’échappe pas à cette réalité. Les droits d’accise sur les carburants rapportent encore environ 30 milliards d’euros par an, dont plus de la moitié pour l’État. Mais la consommation de carburant baisse : – 2,6 % en 2023, puis – 0,4 % l’année suivante. Pas de chute brutale, mais une érosion régulière, appelée à se poursuivre si la transition énergétique se confirme.
Dans ce contexte, il est difficile d’imaginer les finances publiques se priver durablement de cette source de recettes fiscales. La logique qui prévaut au Royaume-Uni – compenser ce que l’on perd sur le carburant en créant un impôt sur l’usage – pourrait donc inspirer d’autres gouvernements. C’est précisément ce qui nourrit l’analyse de François Lenglet.
Bonus à l’achat, taxe à l’usage : un message ambigu pour les conducteurs
Le cas britannique illustre bien la stratégie du « coup de frein et coup d’accélérateur » appliquée aux voitures électriques. D’un côté, Londres maintient un bonus à l’achat pour les véhicules neufs, afin d’encourager les ménages à abandonner le thermique. De l’autre, l’exécutif ajoute une taxe récurrente, indexée sur les kilomètres parcourus, ainsi qu’une contribution forfaitaire pour les modèles de plus de 50 000 livres, soit environ 57 000 euros.
Pour les conducteurs, le message peut sembler contradictoire. On continue de subventionner l’entrée sur le marché, mais on commence à fiscaliser l’usage, au risque de refroidir certains acheteurs hésitants. Ce type de dispositif peut, à court terme, peser sur la demande, même si le bonus vient atténuer l’impact global sur le coût total de possession.
Sous l’angle de l’analyse économique, cette approche reflète une tension croissante entre deux objectifs publics. D’un côté, accélérer la décarbonation des transports pour répondre à l’urgence écologique. De l’autre, préserver l’équilibre budgétaire en remplaçant, tôt ou tard, les taxes perdues sur les carburants fossiles.
Cette tension n’est pas propre au Royaume-Uni. La question se pose partout : comment faire évoluer la fiscalité de l’automobile sans donner l’impression de pénaliser ceux qui ont justement opté pour une solution jugée plus « vertueuse » ? Ou, dit autrement, comment maintenir un signal prix clair en faveur de l’électrique tout en assumant que l’usage de la route ne pourra pas rester indéfiniment quasi gratuit pour ces véhicules ?
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En France, un système fiscal déjà poussé dans ses retranchements
En France, la réflexion est déjà bien engagée, même si aucune décision officielle n’a été annoncée à ce stade. La baisse progressive de la consommation de carburant pèse mécaniquement sur les recettes fiscales liées aux carburants. Et, comme le rappelle François Lenglet, la puissance publique ne peut pas laisser cette courbe décroissante se développer sans réagir.
Pour autant, la marge de manœuvre sur la facture d’électricité est limitée. Les taxes y représentent déjà environ un tiers du montant payé par les ménages. Alourdir encore ces prélèvements risquerait de rendre la hausse très visible sur les factures, au moment même où l’on incite les foyers à électrifier leur chauffage ou leurs déplacements.
Dans ce contexte, l’idée d’une contribution spécifique liée aux véhicules plutôt qu’à l’énergie consommée gagne du terrain. Le raisonnement est simple : si la fiscalité sur les carburants doit se réduire avec la montée en puissance de l’électrique, il faut trouver un autre levier. Historiquement, la France a déjà procédé de cette manière : dès 1928, lorsque l’automobile est devenue un moyen de transport de masse, de nouvelles taxes ont été créées pour capter cette activité naissante.
Comme le résume l’éditorialiste, chaque fois qu’un usage se développe, l’État finit par dégainer ce qu’il appelle, en creux, un marteau fiscal. Les voitures électriques n’échappent pas à cette logique. Leur succès annoncé ouvre un champ fiscal tentant, d’autant que le discours officiel insiste sur la nécessité de financer la rénovation des infrastructures, des routes aux bornes de recharge.
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Vers une taxe au kilomètre sur les voitures électriques en France ?
Reste la question centrale : la France ira-t-elle, elle aussi, vers une taxe au kilomètre pour les voitures électriques, sur le modèle britannique ? Juridiquement comme techniquement, le chantier serait conséquent. Il faudrait choisir l’outil de mesure (contrôle technique, boîtier embarqué, données des véhicules connectés…), arbitrer le niveau de prélèvement et déterminer s’il s’applique à tous les véhicules électrifiés ou seulement à certaines catégories.
Mais, si l’on se place du point de vue budgétaire, les incitations sont fortes. Les 30 milliards d’euros de droits d’accise constituent une ressource difficile à remplacer. Et la tendance à la baisse, même modérée pour l’instant, signale que cette ligne de recettes n’est plus aussi solide qu’auparavant. À cela s’ajoute la pression des collectivités locales, elles-mêmes dépendantes des taxes liées au transport et à la mobilité.
C’est dans ce cadre que François Lenglet juge « très probable » l’apparition d’une nouvelle contribution spécifique visant les voitures, et plus particulièrement les modèles électriques. Selon lui, la France pourrait adopter une logique comparable à celle du Royaume-Uni : maintenir, au moins un temps, les soutiens à l’achat tout en instaurant une fiscalité d’usage, censée financer l’entretien des routes et compenser l’érosion de la fiscalité sur les carburants.
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Et la transition énergétique ?
Une telle évolution poserait toutefois une question de cohérence politique. Taxer davantage l’usage des voitures électriques, au moment même où l’on demande aux ménages de renoncer au thermique pour le climat, peut brouiller le signal envoyé en matière de transition énergétique. Tout l’enjeu sera de calibrer ce futur impôt, s’il voit le jour, pour qu’il reste compatible avec les objectifs environnementaux : maintenir un avantage économique net pour les véhicules les moins émetteurs, tout en assumant que l’usage du réseau routier a un coût pour la collectivité.
En filigrane, l’analyse de François Lenglet est claire : l’histoire fiscale française montre que rares sont les « nouveaux mondes » restés longtemps hors de portée du marteau fiscal. Et dans ce paysage, les voitures électriques pourraient bien être la prochaine cible, avec une taxe au kilomètre qui, selon lui, a de fortes chances de finir par s’appliquer aussi en France.