Dessaler l’eau de mer en France ? « La France doit se tenir prête », un rapport change la donne
Le dessalement de l’eau de mer n’est plus un sujet lointain. Un rapport récent de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable, publié en septembre, invite à l’intégrer sérieusement dans la palette des solutions face au stress hydrique. Objectif : anticiper, former et décider sereinement, sans en faire une réponse automatique.
Dans un contexte de réchauffement climatique et de tensions croissantes sur la ressource, l’idée gagne du terrain. À l’heure où certains territoires voient leur qualité de l’eau se dégrader, la technique promet une eau sûre et contrôlée. Mais elle a aussi un coût et des impacts à encadrer. Tour d’horizon, à partir des éléments du rapport, des bénéfices aux limites, en passant par le calendrier implicite : « se tenir prêt », oui, mais pour quoi et comment ?
Crédit : Torbenbrinker – CC BY-SA 3.0
Pourquoi le dessalement revient dans le débat
Le dessalement consiste à retirer le sel et les bactéries de l’eau de mer afin d’obtenir une eau utilisable, voire potable. S’il fait déjà partie du paysage dans certaines régions du globe, il reste, en France, une option dite « ultime ». Ce positionnement tient à l’abondance historique de nos ressources continentales, à la préférence donnée à la sobriété et à la gestion des réseaux, mais aussi aux réserves environnementales sur cette technologie.
Le rapport insiste pourtant sur un changement de contexte : la disponibilité d’eau douce diminue localement, la qualité se dégrade dans certaines zones, et la pression climatique s’intensifie. Une note du Haut-Commissariat à la Stratégie et au Plan, publiée en juin 2025, rappelait qu’en l’absence d’inflexion, jusqu’à 88 % du territoire métropolitain pourrait connaître d’ici 2050 une tension hydrique modérée à sévère, avec des restrictions d’usage à la clé. Dans ce cadre, ne considérer le dessalement qu’en cas d’urgence reviendrait à se priver d’un levier dont l’efficacité technique, elle, progresse.
Le message est clair : la France n’a pas vocation à généraliser le dessalement, mais à se doter des compétences et des procédures pour l’activer « de manière efficiente » si la situation l’exige, notamment au bénéfice des populations les plus exposées. Autrement dit, l’État appelle à passer d’une posture défensive à une anticipation raisonnée.
Deux techniques, une même promesse
Il existe deux grandes voies pour dessaler l’eau de mer. La première, dite dessalement thermique, repose sur la distillation : on chauffe l’eau de mer, on récupère la vapeur, puis on la condense. La seconde, aujourd’hui dominante dans les projets récents, est le procédé par membrane, avec osmose inverse : l’eau est poussée à haute pression à travers des membranes semi-perméables qui retiennent sel et contaminants.
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Ces deux approches aboutissent au même résultat : une eau exempte de sel et de la majorité des indésirables microbiologiques. Sur le plan sanitaire, l’avantage est réel : l’eau produite présente une moindre présence de micropolluants. Le rapport souligne que, dans certaines zones exploitées en France, des traces de pesticides compliquent déjà la potabilisation. Ici, la « fabrication » d’une eau à partir de la mer permet de mieux maîtriser les paramètres finaux, sous réserve d’une reminéralisation adaptée pour garantir un goût et un équilibre chimique conformes aux normes.
Cette promesse technologique ne doit cependant pas être l’arbre qui cache la forêt. Comme le rappelle le rapport, se reposer sur le dessalement ne saurait devenir une « solution de facilité » ni générer un effet rebond : produire plus d’eau ne doit pas conduire à consommer davantage. La sobriété et l’efficacité restent le socle.
Crédit : JoelCarterRamadge – CC BY-SA 4.0
Où en est l’Europe, et la France ?
À l’échelle européenne, des unités ont fleuri ces dernières années, surtout sur le pourtour méditerranéen et en Espagne, où le dessalement apporte un appoint structurant pour sécuriser certains usages. En France, l’option demeure marginale et réservée aux cas où l’eau douce manque ou se dégrade. Les territoires les plus avancés sont logiquement ceux d’outre-mer — Mayotte ou Saint-Barthélemy — et les territoires insulaires comme la Corse, où l’isolement logistique et l’irrégularité des pluies justifient des solutions « au fil de l’eau ».
Ce paysage fragmenté explique la commande du rapport de l’Inspection générale : dresser l’état des lieux, éclairer les choix et, surtout, anticiper d’éventuelles demandes. Les auteurs recommandent de ne plus considérer le dessalement comme le dernier bouton rouge, mais bien comme une solution « possible » parmi d’autres pour répondre à un stress hydrique localisé. En clair, ce n’est « pas une priorité » nationale, mais cela peut être une réponse adaptée pour des territoires spécifiques. Petite précision utile pour la lecture : les solutions locales doivent s’imbriquer dans une stratégie globale qui privilégie d’abord la lutte contre les fuites, la gestion de la demande et le recyclage des eaux, afin d’éviter l’illusion d’abondance.
Mais saviez-vous que, dans les territoires déjà équipés, des retours d’expérience renseignent précisément les coûts d’exploitation, l’acceptabilité et les conditions de raccordement ? Le rapport plaide pour capitaliser sur ces retours, monter en compétence et préparer les procédures environnementales, pour ne pas improviser le jour où un projet deviendra nécessaire.
Crédit : Peter Campbell – CC BY-SA 3.0
Un coût réel et des impacts à maîtriser
Produire de l’eau potable à partir de la mer a un coût : même si les membranes et l’ingénierie progressent, l’investissement reste conséquent, et l’exploitation exigeante. Deux éléments se détachent. D’abord, la consommation énergétique : pousser de l’eau salée à haute pression, ou chauffer massivement des volumes en distillation, mobilise de l’électricité et génère des émissions de gaz à effet de serre en amont si l’énergie n’est pas décarbonée. Ensuite, la question des saumures : l’eau rejetée après traitement est très concentrée en sel. Mal gérés, ces rejets peuvent perturber les écosystèmes littoraux, notamment en zone fermée ou peu brassée.
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Le rapport ne minore pas ces contraintes. Il appelle à « minimiser » l’empreinte énergétique et à encadrer rigoureusement la dilution et la dispersion des saumures, selon la morphologie des sites et les écosystèmes marins concernés. Pour rester « faisable », un projet doit démontrer sa compatibilité avec le milieu : choix de l’emplacement, type d’ouvrages d’aspiration et de rejet, surveillance en continu, transparence des données.
Côté finances, le progrès technologique tire les coûts vers le bas, mais l’équation doit être jugée au cas par cas : coût de l’eau alternative, vulnérabilité du territoire, bénéfices d’un appoint sécurisé en période d’étiage, et acceptabilité sociale. La décision publique gagne à comparer la « dernière goutte » produite par dessalement avec la « dernière fuite » réparée sur le réseau ou la « dernière économie » obtenue par sobriété. Sans surpromesse : chaque levier a son domaine d’excellence.
Crédit : Starsend – CC BY-SA 3.0 / GFDL
Se préparer sans banaliser : la ligne de crête fixée par le rapport
Le fil directeur du document est une prudence opérationnelle. Il ne s’agit pas de lancer une déferlante d’usines, mais de se tenir prêt. Concrètement : cartographier les zones les plus exposées, cadrer l’instruction environnementale, bâtir des compétences publiques et privées, clarifier le partage des responsabilités et des coûts, et intégrer le dessalement dans des plans d’urgence cohérents avec la sobriété. Cette feuille de route permettrait, si la situation l’impose, de basculer rapidement vers un projet robuste, plutôt que d’improviser sous la pression.
Le rapport met aussi en garde contre toute banalisation. En faire « une solution de facilité » serait contre-productif : on ouvrirait la porte à une hausse des consommations et à des investissements mal calibrés. L’outil doit rester précisément dimensionné, ciblé et conditionné à des garanties environnementales fortes. C’est à cette condition que le dessalement peut devenir, non pas la baguette magique, mais une brique de résilience utile pour certains territoires.
Ce détail que peu de gens connaissent : l’eau dessalée, très pure, nécessite une reminéralisation fine pour devenir agréable à boire et compatible avec les réseaux. Une étape invisible du grand public, mais essentielle à l’acceptabilité.
« La France doit se tenir prête » : ce que cela veut dire, très concrètement
Derrière la formule, il y a un planning implicite. « Se tenir prêt », c’est éviter deux écueils : l’inaction jusqu’à la crise, ou l’emballement technologique sans garde-fous. Entre les deux, le rapport trace une voie : reconnaître le potentiel du dessalement pour des situations ciblées, tout en gardant pour boussole l’intérêt général, la sobriété et la protection des milieux. Les premiers dossiers pourraient venir de territoires insulaires ou ultramarins, là où la logistique de l’eau est la plus complexe.
Le rapport ne fait pas du dessalement une priorité nationale… mais il acte pour la première fois, noir sur blanc, la possibilité d’en faire une réponse adaptée et prête à l’emploi pour les zones les plus exposées, si — et seulement si — les conditions techniques, environnementales et sociales sont réunies.