« Le truc qui tombe du ciel, ça suffit » : Yaël Braun-Pivet plaide pour une hausse des droits de succession
Chaque fois que la fiscalité de l’héritage repointe, la même ligne de fracture ressurgit. D’un côté, ceux qui défendent une hausse des droits de succession au nom de la justice fiscale, de la lutte contre les inégalités et du financement des services publics. De l’autre, ceux qui y voient un matraquage de l’épargne déjà taxée, une pénalisation des classes moyennes et un risque de fuite du patrimoine vers d’autres pays européens. En France, où le patrimoine transmis pèse de plus en plus dans la constitution des fortunes, le sujet agit comme un révélateur politique et social.
C’est dans ce contexte que la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a remis une pièce dans la machine. Sa sortie fait l’effet d’un électrochoc, au moment où les arbitrages budgétaires et les discussions sur la trajectoire des finances publiques enflamment déjà l’actualité. La question n’est pas seulement technique. Elle touche à l’idée d’équité entre générations, au financement du modèle social et à la façon d’encadrer les grandes transmissions sans « casser » la mobilité sociale.
Pourquoi l’héritage concentre autant de tensions
La France a un système complexe, fait d’abattements, d’exonérations et de régimes spécifiques pour la transmission d’entreprises. Dans l’opinion, l’héritage renvoie à l’effort de toute une vie, à des économies parfois modestes mais essentielles pour des enfants qui achètent leur premier logement. Dans les travaux d’économistes, il renvoie au contraire à un moteur d’inégalités si la fiscalité ne corrige plus les écarts de départ.
Le cœur du débat se cristallise autour des transmissions les plus élevées, souvent très optimisées, et du sentiment, chez beaucoup, que les gros patrimoines échappent relativement mieux à l’impôt que les ménages aux revenus du travail. D’où l’idée, régulièrement avancée, de taxer davantage les successions les plus importantes, tout en protégeant les transmissions au sein des classes moyennes et les projets familiaux autour de la résidence principale.
Ce que changerait « taxer davantage » — sans slogan, du concret
« Taxer davantage » peut vouloir dire plusieurs choses très différentes. Cela peut viser uniquement les ultra-grands héritages, avec un taux marginal relevé au-delà d’un seuil élevé. Cela peut consister à resserrer certaines niches et montages, par exemple sur des structures patrimoniales sophistiquées. Et cela peut aussi toucher les règles d’abattement en ligne directe ou les avantages liés à certains contrats. Autrement dit, derrière un slogan, il y a une boîte à outils très large.
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L’enjeu politique est d’épargner les ménages pour lesquels l’héritage sert d’apport immobilier ou sécurise un coup dur, tout en sollicitant davantage les transmissions dont l’ampleur n’a plus rien à voir avec la sécurisation d’un parcours de vie. C’est sur cette ligne de crête que se joue la faisabilité d’une réforme, avec une promesse répétée depuis des années : ne pas toucher aux petites et moyennes transmissions, concentrer l’effort tout en simplifiant un maquis de règles illisible pour le grand public.
Classes moyennes, seniors, immobilier : les angles morts à surveiller
Une réforme de l’héritage ne vit pas seule. Elle percole avec l’impôt sur le revenu et ses barèmes, la taxe foncière, la fiscalité de l’assurance-vie et l’architecture des abattements pour les retraités. Pour les classes moyennes, c’est le cumul qui compte : un petit héritage fortement taxé peut devenir insupportable si, en parallèle, le logement coûte plus cher, les charges grimpent, et que l’inflation a déjà mangé les marges.
Autre point sensible, l’immobilier familial. Entre les réévaluations cadastrales, la trajectoire de la taxe foncière et des prix qui ont longtemps flambé dans certains bassins, un simple pavillon peut afficher une valeur patrimoniale élevée sur le papier, sans être un signe d’aisance. C’est là que la promesse de protéger la résidence principale doit être testée, sous peine de dérapage politique.
« Justice » contre « punition » : ce que disent les mots
Dans un pays attaché à l’égalité des chances, la fiscalité de l’héritage est souvent présentée comme un levier pour que la réussite ne dépende pas seulement du hasard de la naissance. L’argument inverse s’appuie sur l’effort, l’épargne et la transmission comme geste parental légitime. Entre « justice » et « punition », chaque camp mise sur un récit. L’exécutif, lui, navigue entre la nécessité de financer la dépense publique et celle de ne pas instiller l’idée d’un pays d’héritiers d’un côté, ou d’un pays qui taxe tout de l’autre.
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Dans ce bras de fer, les mots ont un poids. Parler de « truc qui tombe du ciel » choque autant qu’il mobilise. C’est un marqueur. Il désigne la part de richesse qui ne vient pas du travail présent, et qu’une société peut légitimement vouloir modérer lorsqu’elle devient trop déterminante. À l’inverse, parler d’épargne de toute une vie, déjà taxée, renvoie à une éthique de la prévision et de la responsabilité.
Signal politique… et calcul budgétaire
Derrière l’affichage, il y a l’arithmétique. Combien une modification des droits de succession peut-elle rapporter réellement, une fois les comportements ajustés et les optimisations relancées ? Une réforme bien calibrée ciblant le haut du patrimoine peut générer des recettes supplémentaires, mais elle doit se prémunir des effets d’aubaine, des délocalisations patrimoniales et des effets de seuil qui crispent l’opinion.
Sur le plan politique, remettre le sujet sur la table sert aussi à délimiter les priorités : parler d’héritage, c’est parler de mobilité sociale, de méritocratie, de concurrence internationale fiscale, mais c’est surtout répondre à une demande d’ordre dans un système perçu comme illisible. Dans une séquence budgétaire tendue, cette parole trace un cap : reconstruire une progressivité là où elle s’est érodée, sans basculer dans la pénalisation des parcours ordinaires.
Ce qui se joue concrètement pour les familles
Pour une famille qui s’interroge sur une donation, une succession, la planification reste la clé. Anticiper, connaître les abattements en ligne directe, la place de l’assurance-vie, les délais, le rôle du notaire et les frais annexes permet d’éviter l’effet de surprise. Une éventuelle réforme ne changera pas les bases : plus l’on prépare tôt, plus l’on lisse les risques. Le vrai enjeu, pour les pouvoirs publics, sera de clarifier les règles et de sécuriser les transmissions modestes.
On le voit, le débat n’oppose pas des abstractions, mais des vies très concrètes : un apport pour l’achat d’un logement, la protection d’un conjoint, la continuité d’une petite entreprise familiale, ou la répartition apaisée d’un patrimoine après un deuil. C’est à cette échelle que les mots politiques se jugent.
La phrase qui fait basculer la séquence
Reste la déclaration qui a tout relancé. Invitée à s’exprimer, Yaël Braun-Pivet a appelé à taxer davantage les héritages, lâchant cette formule choc : « Le truc qui tombe du ciel, ça suffit ». Derrière la punchline, un message clair : cibler davantage les transmissions qui n’ont plus rien à voir avec la sécurisation d’un parcours de vie, et rouvrir le chantier d’une fiscalité jugée trop permissive au sommet de l’échelle patrimoniale.