Les mensonges sur les applis de rencontre sont bien plus courants qu’on ne le croit
Parmi les utilisateurs de plateformes de dating, un quart admet maquiller des informations personnelles. Derrière ces retouches, il y a la peur du rejet, le besoin de contrôle et parfois une stratégie assumée pour obtenir plus de matchs. Mais ce jeu de présentation finit par éroder la confiance en ligne et change la norme de ce qui est « acceptable » sur nos écrans.
Une enquête de ClarityCheck relayée par Newsweek met des chiffres sur un phénomène connu mais sous-estimé. Sur 4 800 personnes interrogées aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans l’Union européenne, 25 % disent avoir caché ou modifié des éléments clefs de leur profil, du statut relationnel à la localisation, en passant parfois par l’identité.
Signe que la méfiance s’installe, 63 % des répondants disent avoir déjà matché avec un profil trompeur et 54 % envisagent désormais de vérifier des infos par eux-mêmes avant d’aller plus loin.
Ce que les gens retouchent vraiment sur leur profil
Les premiers mensonges sont souvent discrets. Une photo retouchée qui gomme quelques détails, une bio réécrite pour paraître plus drôle ou plus aventureux, un loisir présenté comme une passion alors qu’il s’agit d’une simple curiosité.
Dans le même mouvement, certains utilisateurs enlèvent un lieu de travail jugé trop identifiable ou décalent leur quartier pour ne pas être localisables. Pour beaucoup, ce n’est pas perçu comme une tromperie mais comme un flou vie privée / profil public qui rassure et donne l’impression de maîtriser ce que l’on montre.
À l’autre extrémité du spectre, les manipulations deviennent plus franches. Des photos anciennes sont recyclées, l’âge est rajeuni de quelques années, un intitulé de poste est enjolivé, un statut marital est « mis en pause » le temps de la conversation. Ces ajustements peuvent être motivés par le calcul : améliorer ses chances d’apparaître dans les filtres et d’accrocher l’attention dans un flux de visages qui défile sans fin.
Crédit : Sammy-Sander / Pixabay.
Pourquoi on ment : le mélange de peur, d’image et de protection
Les raisons avouées dans l’enquête sont révélatrices. En tête, des préoccupations de confidentialité : 35 % préfèrent brouiller certaines informations pour limiter l’exposition personnelle. Vient ensuite la peur du rejet : 28 % admettent lisser la réalité pour franchir le premier tri, celui du swipe.
Enfin, 18 % reconnaissent une intention délibérée de tromper pour maximiser les matchs. Dans une économie de l’attention, un détail changé peut suffire à transformer l’essai.
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Les plateformes encouragent d’ailleurs la mise en scène de soi : on y cherche sa meilleure version, on teste des combinaisons de photos retouchées, de promptes réponses et d’angles flatteurs.
Comme le souligne la direction de ClarityCheck, ces écarts n’ont pas tous la même gravité. Certains relèvent du jardin secret et d’une prudence légitime, comme l’omission d’une info trop intime. D’autres installent une dissonance qui, une fois la rencontre passée le premier écran, rend la chute plus brutale.
Crédit : geralt / Pixabay.
Un effet cumulatif sur la confiance… et sur les usages
La donnée qui interpelle figure au cœur de l’étude : les deux tiers des 25–45 ans disent ne plus faire confiance à ce qu’ils voient sur les applis. Ce décrochage n’apparaît pas du jour au lendemain. Il s’installe par petites touches : un détail masqué, une incohérence, un profil qui « ne colle pas » entre l’app et Instagram.
Ces frictions banalisent progressivement la dissimulation et ouvrent la voie à des tromperies plus sérieuses. On finit par se dire que truquer un peu est normal, et le seuil de tolérance recule.
Ce glissement n’est pas propre aux applis. Il s’inscrit dans une culture numérique où l’on modère son image, où l’on publie la version réussie et où l’on ajuste le récit. Mais la mécanique du swipe et la vitesse à laquelle on passe d’un profil à l’autre rendent cette dynamique plus visible.
Lorsque les interactions démarrent sur des bases fragiles, la suite devient plus exigeante : il faut vérifier, recouper, confronter les dires et, parfois, sortir de l’écran plus tôt pour lever les doutes.
Crédit : Rawpixel Ltd / Wikimedia Commons (CC BY 2.0).
Comment les utilisateurs s’adaptent : la vérification devient la norme
Face à ces dérives, un chiffre ressort : 54 % des répondants déclarent vouloir vérifier des informations par eux-mêmes avant d’approfondir. Cette bascule est significative. Elle ne traduit pas uniquement la peur d’être dupé, elle dit aussi que les codes de la rencontre en ligne changent.
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On regarde désormais la cohérence d’un prénom, d’un quartier, d’un parcours. On compare une photo avec d’autres comptes, on repère une ancienne image qui trahit l’époque ou un emploi qui ne correspond pas aux traces publiques.
Les professionnels du sujet, comme la psychologue clinicienne Sabrina Romanoff, décrivent un spectre très large de pratiques : de la mise en forme légère, parfois inconsciente, jusqu’au mensonge stratégique destiné à élargir le vivier de partenaires.
D’autres rappellent une réalité souvent passée sous silence : pour certaines personnes, omettre un détail peut relever d’une stratégie de sécurité élémentaire pour filtrer d’éventuels prédateurs et garder la main sur ce que l’on partage. Autrement dit, tout « mensonge » ne se vaut pas.
Crédit : Wikimedia Commons
Les limites du système et ce que chacun peut faire
Ce que l’étude met à nu, c’est d’abord la tension intrinsèque des applications de rencontre : elles demandent de se raconter vite, avec style, tout en créant les conditions d’une mise en scène. L’algorithme valorise les signaux qui accrochent et ce contexte pousse à l’optimisation permanente. Mais la ligne entre optimisation et profil trompeur est facilement franchie. Et, à force, c’est le cadre de confiance commun qui se fissure.
Dans ce climat, quelques réflexes simples s’installent. On prête attention aux contradictions, on se méfie des profils trop lisses, on privilégie des photos récentes et variées, on planifie une visio courte pour vérifier l’alchimie avant de bloquer une soirée entière.
On compare, sans harcèlement ni intrusion, la cohérence entre l’app et d’autres réseaux. Ce détail que peu de gens connaissent : un rendez-vous fixé dans un lieu public, avec une arrivée séparée et un proche informé, reste un excellent garde-fou qui n’enlève rien à la spontanéité.
Enfin, il y a l’éducation aux usages. Expliquer que retirer un lieu de travail ou un numéro de rue n’est pas du même ordre qu’annoncer un faux statut relationnel. Rappeler que l’on peut préserver sa vie privée tout en racontant la vérité de ce que l’on cherche.
Encourager, côté plateformes, des outils de vérification d’identité discrets et des badges qui ne transforment pas la drague en contrôle d’accès, mais qui remontent un niveau de confiance de base. Car la rencontre en ligne n’est ni une jungle, ni une scène de théâtre : c’est un espace social avec ses règles implicites et ses rituels.
Crédit : Wikimedia Commons
Que retenir ?
Au delà des chiffres, l’étude révèle surtout un déplacement silencieux : la vraie « compétence » sur les applis n’est plus seulement de bien se présenter, c’est d’apprendre à lire entre les lignes et à instaurer, étape après étape, une confiance réciproque. C’est ce filtrage actif des deux côtés qui fait la différence entre un simple match et une rencontre qui tient.