Télétravail « prescrit » par le médecin : la mesure adoptée en commission qui pourrait changer nos arrêts maladie
Un pas a été franchi à l’Assemblée. Des députés veulent permettre aux médecins de prescrire du télétravail à la place d’un arrêt maladie total. Lorsque l’état du patient et son poste le permettent.
Adoptée en commission des Affaires sociales. La mesure n’entrera toutefois en vigueur qu’au terme d’un long parcours législatif lié au budget 2026. Explications, conditions et étapes à venir.
Crédit : Microbiz Mag / Wikimedia Commons (CC BY 2.0).
Ce que prévoit la proposition : du télétravail « sur ordonnance », mais sous conditions
Deux députés, Stéphane Viry (Liot) et Nicolas Turquois (Modem), ont porté des amendements jumeaux au projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Leur idée tient en quelques lignes. Autoriser la prescription de télétravail « avec l’accord de l’assuré ». Et si son poste est éligible « selon les modalités définies au sein de l’entreprise ». Autrement dit, rien d’automatique : l’employeur doit pouvoir organiser le travail à distance, et la personne concernée doit l’accepter.
Cette prescription ne serait envisagée que si l’état de santé le justifie. L’objectif affiché : permettre une reprise progressive et adaptée à certaines pathologies. Les députés citent notamment les troubles musculosquelettiques ou les troubles anxiodépressifs. Pour lesquels la reprise à 100 % en présentiel peut s’avérer brutale. Dans ces situations, quelques jours ou semaines de télétravail pourraient jouer le rôle de « sas » de retour à l’activité.
Un détail que peu de gens connaissent : le texte insiste sur l’accord de l’assuré et sur l’éligibilité du poste. Pas question, donc, d’imposer un télétravail impossible (contact physique indispensable, machine spécifique, accueil du public…). Ni d’ignorer l’organisation déjà définie dans l’entreprise.
Mais saviez-vous que cette flexibilité existe, de fait, dans de nombreuses équipes ? La proposition vise à l’encadrer médicalement, afin de sécuriser la décision du praticien et le cadre pour le salariale. Comme pour l’employeur.
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Pourquoi maintenant ? Les arrêts maladie pèsent lourd dans la dépense
Au-delà de l’aspect santé au travail, la mesure répond à une préoccupation budgétaire. Les indemnités journalières versées au titre des arrêts maladie pont fortement augmenté ces dernières années : + 28,9 % entre 2010 et 2019, puis encore + 27,9 % entre 2019 et 2023. En 2024, la dépense dédiée a atteint 11,3 milliards d’euros. Ces chiffres nourrissent la recherche de leviers pour freiner la hausse des arrêts tout en évitant de pénaliser des patients qui peuvent — partiellement — travailler.
Les auteurs de l’amendement y voient un compromis pragmatique pour les médecins : réduire le coût des arrêts « évitables » en favorisant un maintien du lien avec l’entreprise, sans pousser au retour en présentiel avant l’heure. Cela ne signifie pas que chaque maladie se prête au télétravail : la décision médicale reste première, et la réalité du poste reste déterminante.
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Ce qui changerait concrètement pour le salarié et l’employeur
Dans les cas où le médecin l’estimerait pertinent, la personne pourrait se voir proposer une prescription de télétravail pour une durée déterminée. Le texte évoque une reprise progressive : utile, par exemple, après une période difficile (douleurs persistantes, anxiété), pour réamorcer l’activité à un rythme soutenable. Cette période aurait vocation à être réévaluée selon l’évolution de l’état de santé.
Côté entreprise, rien ne s’improviserait. La prescription serait « sous réserve de l’éligibilité du poste », en cohérence avec les modalités internes (accords, chartes, organisation). En pratique, cela implique un échange tripartite : médecin–salarié–employeur, chacun dans son rôle. Le médecin évalue la capacité à travailler à distance, le salarié consent ou non, l’employeur confirme la faisabilité matérielle et organisationnelle.
Ce cadre peut éviter deux écueils fréquemment pointés : d’un côté, la mise à l’écart trop longue après un arrêt, qui complique le retour ; de l’autre, le présentéisme coûteux (revenir trop vite ou « travailler malade » sans filet). Ici, le télétravail prescrit servirait d’outil d’aménagement temporaire, au même titre qu’un temps partiel thérapeutique dans certains cas.
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Étapes à venir : un long parcours réglementaire et parlementaire
Adoptée en commission, la mesure est loin d’être actée. Plusieurs jalons restent à franchir avant une entrée en vigueur. D’abord, le Conseil d’État devra fixer par décret les modalités précises : encadrement de la durée, critères médicaux, conditions d’accord avec l’employeur, réévaluation…
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Ensuite, le texte doit être examiné en séance plénière puis intégré au PLFSS final (le budget de la Sécurité sociale), voté par le Parlement. Ce n’est qu’à l’issue de ce processus que la mesure pourrait s’appliquer.
Autrement dit, au-delà du signal politique, le calendrier dépendra du vote du budget 2026 et des textes d’application. Les entreprises comme les salariés devront patienter avant de connaître les règles opérationnelles (durées, justificatifs, suivi médical, articulation avec les accords de télétravail existants).
D’autres tours de vis adoptés en commission sur les arrêts de travail
Dans le même mouvement, d’autres amendements ont été validés. Parmi eux : une limitation de la primo-prescription des arrêts à 15 jours en cabinet de ville et 30 jours à l’hôpital. Par ailleurs, le renouvellement par téléconsultation serait interdit, sauf exceptions médicales. Les renouvellements, lorsqu’ils seraient possibles, se feraient par tranches de deux mois maximum.
Ces ajustements poursuivent le même cap : resserrer le cadre des arrêts, en particulier sur leur durée et leurs modalités de délivrance, pour contenir la dépense et lutter contre les dérives. Reste que le diable se niche souvent dans les détails d’application : qui pourra renouveler ? dans quels cas l’exception médicale jouera-t-elle ? comment éviter un report de charge sur les cabinets déjà saturés ? Autant de points que le décret devra éclaircir.
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Une mesure entre santé au travail et maîtrise des dépenses
Les partisans du dispositif mettent en avant une logique de prévention de la désinsertion professionnelle : mieux vaut un retour progressif adapté qu’une rupture nette entre arrêt total et reprise à plein régime. Le télétravail prescrit pourrait ainsi favoriser la continuité du lien avec l’équipe, limiter la perte de repères et réduire les rechutes liées à un retour trop rapide sur site.
Ses détracteurs potentiels pourraient redouter, à l’inverse, une pression implicite à « travailler malgré la maladie » ou une forme de présentéisme à domicile. La réponse, dans le texte, tient à trois garde-fous : diagnostic médical, accord explicite du salarié, éligibilité vérifiée du poste. À charge, ensuite, pour le décret de fixer des bornes claires (durées, réévaluations, cas exclus) pour éviter toute dérive.
À ce stade, une chose est sûre : si elle est votée, la mesure viendra enrichir la boîte à outils des médecins en matière d’aménagement temporaire du travail. Elle ne vise ni à remplacer l’arrêt quand il est nécessaire, ni à instaurer un droit automatique au télétravail. Elle propose un entre-deux balisé, où l’avis médical et la réalité du poste priment, avec un œil attentif au budget de la Sécurité sociale.
Crédit : Microbiz Mag / Wikimedia Commons (CC BY 2.0).
Que retenir ?
Au-delà de l’affichage pro-télétravail, le sort de cette mesure dépendra d’un texte discret mais décisif : le décret du Conseil d’État. C’est lui qui, en fixant les critères et durées, dira si le « télétravail prescrit » restera une option rare… ou deviendra un outil courant de reprise progressive.