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Ces chauves-souris qui brillent en vert sous UV : une lueur mystérieuse qui intrigue les scientifiques

Publié par Killian Ravon le 24 Oct 2025 à 14:23

Plusieurs chauves-souris nord-américaines émettent une lueur verte lorsqu’elles sont exposées aux ultraviolets. Observé sur des spécimens de musée, ce phénomène inédit pour l’Amérique du Nord intrigue les biologistes.

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Chauve-souris nord-américaine sous lumière UV, lueur vert émeraude sur les membranes alaires et les pattes, fond sombre.

Quelle fonction évolutive ? Quelle utilité ? Pour l’heure, les chercheurs restent prudents et avancent l’hypothèse d’une mutation ancienne devenue répandue.

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Des ailes qui virent au vert : la première surprise

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L’histoire commence dans les réserves du Musée d’histoire naturelle de Géorgie. Quatre chercheurs de l’Université de Géorgie ont placé 60 spécimens sous lumière UV. Ce qu’ils ont vu saute aux yeux : les ailes, la membrane interfémorale et les membres postérieurs de plusieurs individus se sont mis à briller. Le halo mesuré tire clairement vers le vert, avec une longueur d’onde comprise entre 520 et 552 nm. Autrement dit, les parties visibles en vol deviennent soudain luminescentes, comme si un voile émeraude s’allumait à la surface de la peau.

Pour les scientifiques, c’est une première signalée chez des chauves-souris du continent nord-américain. Le travail, publié dans la revue Ecology and Evolution, ouvre une piste fascinante : ces animaux ne se contentent pas d’émettre des ultrasons pour se repérer, ils pourraient aussi réfléchir la lumière d’une manière inattendue. Mais saviez-vous que certaines espèces n’affichent ces couleurs qu’à la faveur d’une lampe UV, invisible à l’œil en conditions naturelles ?

Des centaines de molosses du Brésil s’envolent en nuée au-dessus de Bracken Cave au crépuscule, silhouettes sombres sur ciel bleu nuageux.
Sortie spectaculaire des molosses du Brésil à Bracken Cave, un mur vivant qui ondule au-dessus du Texas.
Crédit : USFWS/Ann Froschauer.
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Six espèces concernées, des deux sexes, et la même lueur

Au fil des tests, les chercheurs ont confirmé que six espèces présentent cette photoluminescence : la Sérotine brune (Eptesicus fuscus), la chauve-souris rousse (Lasiurus borealis), la chauve-souris Seminole (Lasiurus seminolus), Myotis austroriparius (le « southeastern myotis »), la chauve-souris grise (Myotis grisescens) et le Molosse du Brésil (Tadarida brasiliensis). La lueur observée est identique chez les mâles et les femelles, quel que soit l’espèce testée, ce qui est déjà une indication précieuse sur sa nature.

Ce détail que peu de gens connaissent : la consistance de la teinte, d’une espèce à l’autre et d’un sexe à l’autre, écarte plusieurs pistes séduisantes mais trompeuses, comme la signalisation sexuelle ou la reconnaissance entre congénères. Si l’effet vert avait varié selon le sexe, on aurait pu imaginer un code visuel discret entre mâles et femelles. Ce n’est pas le cas ici.

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Ce que la lueur n’explique pas encore

On serait tenté d’y voir un camouflage sophistiqué, utile par exemple dans une forêt crépusculaire où feuillages et mousses renvoient des tons verts. Mais les espèces concernées n’évoluent pas toutes dans les mêmes milieux, et leur mode de vie ne plaide pas pour un avantage universel de ce type. Les auteurs de l’étude l’écrivent sans détour : leurs résultats suggèrent bien une « origine physiologique partagée » de la lueur observée, mais rien ne permet d’affirmer une « fonction comportementale partagée ».

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Autrement dit, le mécanisme sous-jacent pourrait être le même chez toutes, tandis que son rôle – s’il existe encore – reste flou. Les biologistes, prudents, n’extrapolent pas à partir d’un signal mesuré en laboratoire et sur des spécimens de musée. Une étude in vivo, la nuit, en conditions comportementales réelles, pourrait révéler si cette lueur intervient dans la communication, l’évitement des prédateurs, ou tout autre usage écologique.

Grosse agrégation de chauves-souris grises serrées contre la paroi d’une grotte, ailes pliées, formant un amas sombre et compact.
Hibernation groupée du myotis gris, une stratégie qui limite la perte de chaleur au cœur des cavités.
Crédit : USFWS/Ann Froschauer.

La piste génétique : une mutation devenue… assez commune

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Que disent les chercheurs ? Dans un communiqué, le co-auteur Steven Castelberry résume l’état d’esprit du labo : « C’est cool, mais nous ignorons pourquoi cela se produit. Quelle est la fonction évolutive ou adaptative ? Est-ce que cela a réellement une utilité pour les chauves-souris ? » L’équipe propose une hypothèse : une mutation aurait, dans un passé plus ou moins lointain, introduit ce trait photoluminescent. Si elle a été bénéfique – même marginalement – pour la survie ou la reproduction, la sélection naturelle l’aurait diffusée.

Le professeur Castelberry va plus loin : les individus porteurs de cette variation auraient mieux survécu et mieux transmis leurs gènes, ce qui expliquerait sa prévalence actuelle. On se situerait donc sur le terrain d’une adaptation qui a persisté, qu’elle soit utile aujourd’hui… ou qu’elle le fût par le passé. Mais saviez-vous que des traits devenus neutres peuvent subsister pendant des milliers de générations, simplement parce qu’ils ne sont pas désavantageux ?

Sérotine brune posée sur un rocher, gueule ouverte, tenue par des gants de protection lors d’un contrôle sanitaire.
Examen de routine d’une sérotine brune, espèce commune en Amérique du Nord.
Crédit : National Park Service.
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Un héritage d’ancêtre commun ?

Autre point clé : l’uniformité de la lueur à travers les espèces. Les auteurs y voient la marque d’un ancêtre commun chez qui cette photoluminescence serait apparue avant de se transmettre lors de la diversification des lignées. Là encore, l’idée n’est pas que toutes les espèces en fassent le même usage (ou un usage tout court), mais qu’elles en partagent le mécanisme. Une « origine physiologique partagée » et un héritage… possiblement sans fonction actuelle. Comme un artefact évolutif, éteint dans sa finalité mais visible sous UV.

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La nuance est importante : la sélection peut conserver une caractéristique pour une raison ancienne, alors même que l’environnement et les pressions actuelles ne l’entretiennent plus. Certaines structures deviennent des vestiges. Il est donc possible que la lueur verte ait, un jour, permis de communiquer, de reconnaître un partenaire ou de signaler un état physiologique, puis ait perdu sa raison d’être.

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Gros plan d’une chauve-souris Seminole tenue avec précaution, ailes déployées, pelage roux aux pointes blanchies et membranes rosées.
La chauve-souris Seminole dévoile son pelage roussâtre caractéristique et ses membranes largement velues.
Crédit : USDA/US Forest Service.
Chauve-souris rousse suspendue, roulée dans la verdure, fourrure rougeâtre et taches blanches aux épaules, mimant une feuille.
La rousse d’Amérique sait se fondre dans le feuillage, souvent confondue avec une feuille morte.
Crédit : National Park Service.

Un phénomène qui dépasse les chauves-souris

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Enfin, ces chauves-souris ne constituent pas un cas isolé. D’autres mammifères, surtout nocturnes ou crépusculaires, présentent des biofluorescences comparables. En 2020, l’exemple qui a fait le tour du monde concernait l’ornithorynque : sous UV, son pelage s’illumine de vert-bleu. Là aussi, l’utilité de ce signal lumineux reste mal comprise. De quoi rappeler que la vision animale et les jeux de lumière dans la nature excèdent largement nos intuitions humaines. Et si une partie de la communication sensorielle des espèces se déroulait, littéralement, hors de notre spectre ?

Dit autrement, la biofluorescence est peut-être plus répandue qu’on ne le pense, simplement parce que nous ne regardons pas avec les bons outils. Les musées, leurs collections et des protocoles non invasifs sous UV deviennent alors des laboratoires précieux pour cartographier ces signaux cachés.

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Et maintenant ? Le test décisif sur des individus vivants

La prochaine étape paraît évidente : répliquer l’expérience sur des chauves-souris vivantes, au repos et en vol, et croiser les mesures optiques avec des observations comportementales. Les chercheurs pourront vérifier si la lumière UV déclenche des interactions particulières, si l’intensité de la lueur varie selon l’âge, l’état de santé, la mue ou l’activité hormonale, et si les animaux y répondent d’une manière ou d’une autre. Ils pourront aussi préciser si ce vert dépend de molécules spécifiques (collagène, porphyrines, mélanines modifiées…) dans les membranes des ailes.

Pour l’instant, pas de fonction assignée, pas de bénéfice démontré, et une prudence revendiquée par les auteurs. Les chiffres sont là (60 spécimens examinés, six espèces concernées, longueur d’onde 520–552 nm), la couleur aussi. Le pourquoi, lui, demande encore à être écrit.

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Si la lueur verte intrigue autant, c’est parce qu’elle pourrait n’être que la signature résiduelle d’un langage visuel disparu : un signal ancien qu’un ancêtre commun aurait utilisé pour communiquer dans l’obscurité, et dont nos lampes UV ne révèlent aujourd’hui que l’écho.

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