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Une première en 100 ans : un saumon royal de retour dans sa rivière

Publié par Killian Ravon le 29 Nov 2025 à 9:23

Depuis des années, les scientifiques redoutaient de voir disparaître complètement certains poissons emblématiques des rivières californiennes. Entre barrages, eau qui se réchauffe et épisodes de sécheresse extrême, tout semblait jouer contre eux.

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Saumon chinook nageant au ras du fond rocheux d’une rivière claire bordée de pins, dans un canyon verdoyant de Californie du Nord.
Un saumon chinook réapparaît dans une rivière de Californie du Nord, symbole fragile du retour d’une espèce longtemps menacée.

Mais au cœur de l’été 2025. Un petit tronçon de rivière perdu entre forêts de pins et roches sombres vient de livrer une surprise. Que personne n’osait plus vraiment attendre.

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Car dans les eaux froides de la McCloud River, un poisson classé parmi les plus menacés au monde vient tout juste de réapparaître. Après un long silence. Et la manière dont il est revenu en dit long sur la fragilité, mais aussi la résilience de la nature.

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Saumon chinook de course hivernale nageant sous l’eau, éclairé par des rayons verts dans un bassin surveillé.
Un saumon chinook de course hivernale observé en milieu contrôlé, proche de son aspect en rivière.
Crédit : Laura Mahoney / USFWS

Une rivière du nord de la Californie presque vidée de ses poissons

La McCloud River serpente sur 77 miles à travers les comtés de Siskiyou County. Et Shasta County, dans le nord de la Californie. Longtemps, ce cours d’eau alimenté par les neiges des montagnes voisines a été considéré comme un lieu idéal pour la reproduction des grands poissons migrateurs du Pacifique.

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Parmi eux, le saumon chinook, et plus précisément la course hivernale, occupait une place à part. Ces poissons, qui remontent les rivières pour frayer, font partie des neuf espèces marines jugées les plus menacées d’extinction par NOAA Fisheries. Inscrits au titre de l’Endangered Species Act depuis 1994, ils sont officiellement classés comme espèce en danger depuis des décennies.

Au fil du temps pourtant, les signaux d’alerte se sont multipliés. Déjà fragilisés par l’aménagement des cours d’eau et la raréfaction des habitats frais, ces saumons ont vu leurs effectifs s’effondrer. Au point que, sur la McCloud, ils ont pratiquement disparu, laissant derrière eux un vide écologique, mais aussi culturel. Pour les communautés locales qui vivaient à leur rythme.

Ce déclin ne s’explique pas uniquement par la pêche ou le hasard. Derrière cette disparition progressive. On retrouve surtout l’empreinte très visible d’un gigantesque ouvrage de béton. Construit au XXᵉ siècle et devenu l’un des symboles des conflits modernes entre infrastructures humaines et continuité des rivières.

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Plusieurs saumons chinook adultes serrés dans une rivière, photographiés en pleine remontée du courant vers leur frayère.
Des saumons chinook adultes se pressent dans le courant lors de la migration de reproduction.
Crédit : Ryan Hagerty / USFWS

Barrage, eau trop chaude et œufs décimés

En amont de la rivière, la Shasta Dam barre le fleuve Sacramento depuis la fin des années 1930. Ce barrage, présenté comme une prouesse d’ingénierie, a profondément modifié le fonctionnement naturel du réseau hydrographique. Pour les poissons migrateurs, l’ouvrage a surtout agi comme une porte fermée.

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Les saumons chinook de course hivernale ont ainsi été coupés de leurs frayères historiques. Ces petits cours d’eau de montagne alimentés par la fonte des neiges. Où l’eau reste fraîche tout l’été. Bloqués en aval du barrage, ils ont dû se contenter de zones bien plus chaudes. Nettement moins favorables à la survie de leurs œufs. Et de leurs alevins.

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Pour limiter la casse, les gestionnaires ont cherché à utiliser le réservoir de la Shasta Dam. Comme une gigantesque réserve d’eau froide. Tant bien que mal, ils ont libéré chaque été une « poche » d’eau plus fraîche dans le Sacramento. Afin de maintenir des températures acceptables pour les poissons.

Mais entre 2012 et 2016, la Californie a traversé une sécheresse historique. Le niveau du réservoir a chuté, la fameuse réserve d’eau froide s’est littéralement évaporée. Et les gestionnaires n’ont plus eu d’autre choix que de relâcher une eau beaucoup plus chaude. Résultat : entre 95 et 98 % des œufs et des jeunes saumons en incubation ont succombé dans leurs nids. Selon les chiffres relayés par les autorités fédérales.

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Pour la course hivernale du saumon chinook, ces années de sécheresse ont agi comme un terrible accélérateur d’extinction. Sur la McCloud, la disparition semblait presque actée. C’est précisément à ce moment-là qu’une coalition inattendue a décidé de tenter un pari considéré comme risqué, mais indispensable.

Le pari lancé en 2022 : remettre des œufs dans l’eau glacée de la McCloud

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En 2022, un vaste programme de réintroduction est lancé autour de la McCloud. À l’initiative, un partenariat entre la tribu amérindienne des Winnemem Wintu. Le California Department of Fish and Wildlife (CDFW), NOAA Fisheries et l’agence fédérale U.S. Fish and Wildlife Service. Tous partagent le même constat : si le saumon ne peut plus remonter seul au-delà du barrage, c’est à l’humain de lui rouvrir la route, d’une manière ou d’une autre.

Concrètement, les spécialistes installent des dispositifs permettant d’incuber les œufs de saumon chinook directement dans les eaux glacées et limpides de la McCloud. Ce détail, que peu de gens connaissent, est capital : la température de la rivière, restée froide même durant la sécheresse, offre des conditions idéales pour les embryons. C’est exactement le type d’habitat que l’espèce utilisait avant la construction du barrage.

Une fois les œufs éclos et les alevins suffisamment robustes, ces jeunes poissons commencent à dériver vers l’aval comme ils le feraient à l’état sauvage. Mais, avant qu’ils ne soient définitivement perdus dans le réseau de barrages et de canaux, ils sont capturés à des stations de collecte situées plus bas sur la rivière.

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Les juveniles sont ensuite transportés jusqu’à la ville de Redding, sur le Sacramento, où ils sont relâchés pour poursuivre leur migration naturelle vers l’océan Pacifique. Une petite partie d’entre eux ne suit pas ce chemin balisé : ils glissent vers le réservoir de Shasta, s’y attardent, puis disparaissent des radars scientifiques. Jusqu’au jour où certains décident, contre toute attente, de remonter vers l’amont.

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Jeunes saumons chinook argentés nageant en banc compact dans une eau claire, observés lors d’un suivi scientifique.
Un banc dense de jeunes saumons chinook, étape cruciale avant la grande migration vers l’océan.
Crédit : Roger Tabor / USFWS

Un comportement inattendu repéré près d’Ash Camp

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C’est précisément ce qui s’est produit à la mi-juillet 2025. Le 15 juillet, des agents du California Department of Fish and Wildlife patrouillent sur un tronçon de la McCloud, à proximité du secteur d’Ash Camp. À première vue, la rivière ressemble à bien d’autres cours d’eau de montagne : eau verte et claire, galets, courant soutenu, pins sur les rives.

En observant le fond, les agents remarquent pourtant un comportement très spécifique. Une grosse femelle, identifiable à sa taille et à sa façon de se tenir, se met à creuser le gravier pour préparer son nid, ce que les biologistes appellent un « redd ». Elle reste ensuite postée juste au-dessus, adoptant une attitude de garde, repoussant les intrus potentiels.

Autour d’elle, plusieurs mâles plus petits gravitent et tentent de s’approcher pour féconder les œufs. Cette scène de compétition, typique de la reproduction chez le saumon chinook, ne laisse aucun doute aux équipes sur ce qu’elles ont sous les yeux : il ne s’agit pas d’un simple passage de poissons, mais bien d’une tentative de fraie en bonne et due forme dans ce tronçon de rivière.

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Selon les autorités, ces individus proviennent très probablement du programme de réintroduction lancé en 2022. Les poissons auraient passé un an ou plus à grandir dans le réservoir de Shasta avant de « décider » de remonter vers la McCloud, guidés par leurs instincts. Pour les spécialistes, voir ces saumons accomplir seuls cette dernière étape, sans canalisation ni transport, constitue un tournant majeur.

Vue aérienne du barrage de Shasta et de son vaste réservoir, au milieu de collines sèches du nord de la Californie.
Le barrage de Shasta et son immense lac de retenue, infrastructure clé mais obstacle majeur pour les saumons.
Crédit : Bureau of Reclamation – CC BY-SA 2.0 via Wikimedia Commons.

Une lueur d’espoir qui s’étend jusqu’à Battle Creek

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La réapparition de ces poissons ne concerne pas seulement la McCloud. Plus au sud, d’autres observations récentes viennent compléter ce tableau d’espoir prudent. Des saumons chinook ont ainsi été repérés en train de remonter Battle Creek, un affluent du Sacramento où des aménagements spécifiques ont été réalisés pour faciliter le passage des poissons.

Dans le secteur du barrage d’Eagle Canyon, les saumons ont réussi à franchir les ouvrages construits dans le cadre du Battle Creek Restoration Project. D’après les autorités, c’est la première fois que de tels passages sont documentés depuis la mise en place de ces dispositifs. Ce signal reste modeste, mais il montre que les investissements consentis pour ouvrir à nouveau les rivières commencent à produire des effets visibles.

Pour les biologistes, voir des adultes retourner frayer dans les eaux fraîches de leur habitat historique, loin de la plaine brûlante de la vallée de Sacramento, n’a rien d’anecdotique. C’est même l’un des objectifs centraux des plans de restauration : permettre aux poissons de retrouver des zones de reproduction plus froides, moins vulnérables aux épisodes de chaleur extrême et aux variations de débit.

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Vue générale du barrage de Shasta retenant un lac de retenue bleu, avec les structures en béton dominantes au centre.
Une autre perspective sur Shasta Dam, au cœur des débats sur l’avenir des poissons migrateurs.
Crédit : Bureau of Reclamation – CC BY-SA 2.0 via Wikimedia Commons.

Une réintroduction réussi

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Le retour de la course hivernale du saumon chinook sur la McCloud River, et ces passages observés sur Battle Creek, ne suffisent évidemment pas à garantir la survie de l’espèce. Mais ils montrent que les réintroductions, la gestion fine de l’eau et la mobilisation conjointe d’agences publiques et de partenaires comme les Winnemem Wintu peuvent encore infléchir le cours des choses.

Et la véritable portée de ce qui s’est produit en juillet 2025 ne se résume pas à quelques poissons aperçus au hasard d’une patrouille. Selon les autorités, il s’agit des tout premiers adultes de course hivernale confirmés en ponte sur la McCloud depuis près d’un siècle. Autrement dit, pour la première fois depuis presque 100 ans, des saumons chinook ont été vus en train de frayer dans cette rivière de Californie du Nord que beaucoup pensaient perdue pour eux.

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