VIDEOÀ marée basse, l’îlot d’Aloès n’est plus qu’une langue de roche sombre cernée d’algues brillantes. En s’en approchant, Bruno remarque d’abord une forme allongée d’un gris métallique inquiétant. Deux mètres d’inertie, la tête tournée vers le large, les nageoires pectorales à moitié enfouies dans le goémon : un requin, bel et bien mort, gît là, comme échoué par une houle capricieuse.
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Entre curiosité et prudence, l’appel des experts
Le pêcheur décide d’attacher la bête avec la corde de son kayak pour la tirer jusqu’à la plage principale. À peine l’animal hissé hors de l’eau, la rumeur enfle : « Un requin à Pénestin ! ». Craignant un émoi disproportionné, Bruno téléphone aussitôt à l’APECS – l’Association pour l’étude et la conservation des sélaciens – organisme de référence en Bretagne pour ce type d’observation.
Lever de soleil sur l’Île d’Arz, au cœur du golfe du Morbihan.
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Une espèce emblématique des grands larges
Le requin peau bleue est reconnaissable à son corps fuselé et sa teinte bleu cobalt qui se fond dans l’océan profond. Présent dans la plupart des mers tempérées, il effectue de vastes migrations, parfois sur plusieurs milliers de kilomètres. Bien que classé comme quasi-menacé par l’UICN en raison de la surpêche et des captures accidentelles, il reste relativement fréquent dans l’Atlantique Nord-Est. Sa présence au large des côtes bretonnes n’est donc pas exceptionnelle, mais le voir échoué sur une plage l’est beaucoup plus.
Un rôle clé dans l’équilibre marin
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Prédateur opportuniste, le requin bleu contribue à réguler les populations de poissons et de céphalopodes, maintenant ainsi l’équilibre des écosystèmes marins. Son régime alimentaire varié en fait un acteur indispensable dans la chaîne trophique. Les scientifiques soulignent que sa disparition provoquerait un déséquilibre, favorisant la prolifération d’espèces intermédiaires et affectant la biodiversité. Comprendre son comportement et protéger ses zones de passage est donc essentiel pour préserver la santé des océans.
Les falaises de la Mine d’Or à Pénestin — Zairon / CC BY-SA 4.0.
Des squales plus proches qu’on ne le pense
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Contrairement aux clichés véhiculés par certains blockbusters hollywoodiens, les requins fréquentent régulièrement les côtes bretonnes. Le golfe du Morbihan , riche en sardines, maquereaux et lançons, constitue un garde-manger idéal. Les biologistes rappellent que plusieurs espèces y croisent chaque été, attirées par la frénésie alimentaire liée au plancton. Les signalements se font plus visibles depuis l’essor des sports nautiques et des caméras embarquées, mais la cohabitation reste, selon eux, « statistiquement sans danger ».
Une mémoire collective marquée par l’épisode de 2013
Pourtant, la simple évocation du mot « requin » réactive le souvenir d’un autre spécimen échoué il y a douze ans quasiment jour pour jour. En août 2013, un jeune squale d’une espèce réputée plus agressive s’était laissé mourir sur la plage de la Pointe du Bile , à moins de cinq cents mètres d’où Bruno a tracté sa découverte. Les anciens se rappellent encore le cordon de sécurité improvisé par les sauveteurs et le ballet des curieux venus immortaliser la scène. Rien d’équivalent cette fois-ci, mais l’écho médiatique est immédiat.
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Requin bleu en chasse en haute mer — Jim Benante / NOAA.
Le rôle crucial des observations citoyennes
Les spécialistes de l’APECS saluent l’attitude de Bruno. Chaque requin signalé, vivant ou mort, constitue une pièce supplémentaire du puzzle scientifique permettant de mieux comprendre les migrations de ces grands prédateurs. Les bénévoles récoltent des échantillons d’ailerons, de peau et parfois de contenu stomacal pour en tirer de précieuses informations sur l’alimentation, l’âge ou la provenance géographique du poisson. « Sans ces signalements, la recherche avancerait à pas de tortue », confie un biologiste rencontré sur la plage.
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Pourquoi les échouages se multiplient-ils ?
Plusieurs facteurs expliquent la présence accrue de squales près du littoral. Le premier, bien sûr, est le réchauffement de l’eau, qui modifie les routes de migration et la disponibilité de proies habituelles. Le second est la pollution sonore, qui perturbe leur système sensoriel et peut désorienter certaines espèces. Enfin, la pêche industrielle et ses filets dérivants blessent parfois des individus qui dérivent ensuite vers la côte. Pour Laurent Layan, océanographe à Lorient, « ces échouages sont les symptômes d’un écosystème marin chamboulé ».
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Prionace glauca photographié entre Faial et Pico — Diego Delso / CC BY-SA 4.0.
La chaîne écologique locale sous surveillance
Les mairies de Pénestin et de Damgan ont déployé des panneaux rappelant les consignes de prudence : maintenir une distance raisonnable avec tout animal marin échoué, ne pas tenter de le déplacer sans équipement adapté et prévenir les autorités compétentes. Les écoles primaires du secteur ont déjà inscrit, pour la rentrée de septembre, des sorties pédagogiques avec l’APECS afin de sensibiliser les enfants à la préservation des sélaciens.
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Le devenir du squale
Après le passage des experts, la carcasse sera acheminée vers le laboratoire d’Ifremer à Concarneau pour une autopsie complète. Les premières observations externes n’ont révélé aucune trace évidente de capture accidentelle ni de morsure inter-espèces. De nombreux internautes, fascinés par les photos partagées sur les réseaux, militent pour qu’une partie du squelette soit exposée au musée de la mer de Vannes, rappelant ainsi la fragilité et la richesse du milieu marin breton.
Cordon littoral et estran à Pénestin — Zairon / CC BY-SA 4.0.
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Un phénomène qui fascine et inquiète à la fois
Si la vue d’un squale inerte attire immanquablement les curieux, elle soulève aussi des interrogations sur l’état global des océans. Les scientifiques insistent : un requin échoué n’est pas toujours un signe alarmant, mais il peut aussi être le révélateur de bouleversements profonds dans l’équilibre marin.
En Bretagne, la multiplication de ces épisodes pourrait inciter à renforcer les programmes de suivi des populations de requins, tout en menant des actions pédagogiques auprès du grand public pour dépasser les peurs et comprendre l’importance de ces prédateurs dans la chaîne alimentaire.
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Ce n’est qu’au terme des examens préliminaires que l’APECS a dévoilé l’identité précise du visiteur : il s’agit d’un requin bleu – ou requin peau bleue –, une espèce réputée curieuse mais peu dangereuse pour l’homme .