Fraude massive autour des compteurs Linky : un ex-technicien d’Enedis jugé à Bordeaux
Depuis plusieurs mois, la justice se penche sur une fraude aux compteurs Linky d’une ampleur rarement vue en France. Au cœur du dossier, un ancien agent technique. Jugé pour avoir aidé des abonnés à faire chuter artificiellement leurs factures d’électricité.
Le préjudice, estimé à plus d’un million d’euros, met en lumière les nouvelles formes de délinquance liées aux compteurs communicants. Alors que l’automne 2025 est déjà marqué par de fortes tensions autour de l’énergie.
Ce 24 novembre, l’homme de 59 ans a comparu devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Derrière les chiffres et les procédures, se dessine une affaire très concrète. Celle d’un technicien qui, contre rémunération, aurait modifié des compteurs à grande échelle. Et ce n’est qu’au terme de l’audience que la nature précise de la peine demandée par l’accusation a été dévoilée.
Un ex-technicien au centre d’un système bien rôdé
L’histoire commence en Gironde, quand Enedis repère une série d’anomalies sur le réseau. Des baisses de consommation impossibles à expliquer par des raisons techniques classiques, qui finissent par alerter les équipes de contrôle. L’entreprise dépose alors plusieurs plaintes auprès de la gendarmerie de la Gironde. Enévoquant des pertes non techniques suspectes liées à la modification de compteurs communicants.
Très vite, l’enquête remonte jusqu’à un ex-salarié d’Enedis, âgé de 59 ans. Cet homme, qui connaît parfaitement le fonctionnement des installations, est soupçonné d’avoir mis à profit son expérience. Pour proposer un service illégal à des particuliers. Selon le dossier, il ne s’agissait pas d’un simple coup ponctuel, mais d’un dispositif organisé, étalé sur plus d’un an.
Les enquêteurs le présentent comme le pivot d’un véritable réseau de fraude. Même si celui-ci se compose ici essentiellement d’un homme. Et de nombreux clients complices. Les abonnés ne sont pas de simples victimes. Ils auraient, pour beaucoup, demandé ou accepté la manipulation de leur compteur. En échange d’une promesse claire et assumée de baisse de facture.
Placé en garde à vue en février, l’ancien technicien a finalement reconnu les faits. Pour les magistrats, cette reconnaissance est déterminante. Elle confirme que les manœuvres n’étaient ni involontaires ni ambiguës. Mais bien pensées et assumées, avec l’objectif explicite de contourner le paiement réel de l’électricité consommée.
374 compteurs modifiés et des factures qui s’effondrent
Au fil des investigations, l’ampleur des manipulations apparaît peu à peu. Entre juin 2023 et septembre 2024, 374 interventions frauduleuses sont recensées. Chaque fois, le même mode opératoire est décrit. Une intervention sur les compteurs Linky pour faire chuter la consommation affichée, parfois jusqu’à 90 % de baisse. Pour les clients, la facture grimpe beaucoup moins ; pour le réseau, la consommation réelle n’a pourtant pas disparu.
Une telle réduction artificielle, répétée des centaines de fois, finit par représenter une fraude à grande échelle. L’ancien technicien aurait facturé ses services environ 800 euros par compteur modifié. Au total, il aurait empoché près de 300 000 euros en un peu plus d’un an. Une somme qui illustre le caractère lucratif d’un dispositif pourtant totalement illégal.
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Pour les clients complices, la promesse est simple : payer beaucoup moins d’électricité sans changer leurs habitudes. Mais ce détail que peu de gens anticipent, c’est que ces interventions laissent des traces.
Les compteurs communicants permettent de repérer des courbes de consommation incohérentes. Des baisses brutales ou des écarts entre la réalité du réseau. Et ce qui remonte dans les systèmes informatiques. C’est précisément ce décalage qui va alerter les équipes techniques.
Dans cette affaire, les investigations ont donc combiné données de consommation, contrôles de terrain et recoupements. C’est en confrontant ces éléments qu’a pu être reconstitué le nombre d’interventions attribuées au suspect. Et évalués les montants en jeu, aussi bien pour lui que pour l’entreprise.
Un préjudice record pour Enedis et des biens saisis
Pour l’entreprise, le dossier ne se limite pas aux 300 000 euros empochés par le prévenu. Le manque à gagner lié à l’électricité consommée mais non facturée est évalué à plus d’un million d’euros. Les magistrats parlent d’un préjudice supérieur à 1 million d’euros, ce qui en fait, selon le parquet de Bordeaux, « la plus importante affaire de fraude aux compteurs Linky élucidée à ce jour en France ».
Face à de tels montants, les enquêteurs ne se sont pas contentés d’établir des responsabilités : ils se sont également intéressés au patrimoine du suspect. Dès février, lors de sa garde à vue, une saisie des biens est décidée.
Plus de 72 000 euros sont gelés sur des comptes bancaires et un contrat d’assurance-vie. À cela s’ajoutent plusieurs biens immobiliers : une maison à Saint-Aubin-de-Médoc, en Gironde, un appartement à Argelès, dans les Pyrénées-Orientales, ainsi qu’un camping-car.
Cette étape est loin d’être anecdotique. Elle répond à une logique simple : s’assurer que le produit de l’infraction, ou les biens acquis grâce à lui, ne puissent pas être librement utilisés pendant que la justice se prononce.
Mais saviez-vous que, dans ce type de dossier, la confiscation peut aller bien au-delà des seules sommes détournées, pour toucher l’ensemble du patrimoine saisi si la justice l’estime justifié ? C’est précisément l’un des enjeux soulevés par cette affaire.
Au procès, le ministère public a d’ailleurs demandé que l’intégralité de ces biens soit confisquée. Cette demande vient s’ajouter à la peine de prison sollicitée, et traduit la volonté des autorités judiciaires de frapper là où la fraude a été la plus rentable : sur l’enrichissement personnel lié aux manipulations des compteurs.
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Une vague de fraudes aux compteurs déjà sanctionnée ailleurs
L’affaire jugée à Bordeaux ne survient pas dans un vide judiciaire. Ces dernières années, les cas de fraude autour des compteurs d’électricité se sont multipliés, à mesure que les dispositifs communicants se sont généralisés. D’autres dossiers retentissants ont déjà été jugés, avec des schémas proches : des manipulateurs se présentant comme des « experts » capables de faire baisser la facture en intervenant sur les installations.
En décembre 2023, deux hommes à la tête d’un vaste réseau de fraude ont ainsi été condamnés à Besançon. Là encore, il était question de compteurs modifiés en série, avec la promesse d’économies importantes pour des clients prêts à franchir la ligne rouge. Quelques mois plus tard, en mars, une habitante de Gironde était elle aussi condamnée pour sa participation à une fraude de ce type.
Ces décisions montrent à quel point la justice regarde désormais de près ces affaires, qui mêlent avantages immédiats pour certains particuliers et désorganisation du système de facturation. Elles rappellent aussi que la responsabilité ne se limite pas à la personne qui intervient sur les installations : les clients complices peuvent eux aussi être poursuivis.
Face à cette montée des fraudes, l’entreprise a réagi. En juillet, Enedis a lancé une vaste opération de contrôle dédiée aux compteurs communicants. Pas moins de 121 contrôles simultanés partout en France ont été menés le même jour. L’objectif est clair : vérifier sur le terrain les installations jugées suspectes et envoyer un signal ferme à ceux qui seraient tentés de contourner leur facture.
Ces opérations illustrent un changement de stratégie : la fraude sur les compteurs n’est plus perçue comme un phénomène marginal, mais comme un véritable risque pour le réseau et pour l’équité entre usagers. Dans ce contexte, l’affaire bordelaise, avec ses centaines d’interventions, prend une valeur exemplaire.
À Bordeaux, un procès emblématique et des réquisitions lourdes
C’est dans cette atmosphère, marquée par la multiplication des fraudes et le renforcement des contrôles, que s’est ouverte l’audience de ce 24 novembre au tribunal correctionnel de Bordeaux. L’ex-technicien y comparait pour escroquerie, après plusieurs mois d’enquête, de garde à vue et de procédures de saisie.
À l’audience, le parcours de l’homme, son ancien poste, le rôle joué par ses connaissances techniques et l’ampleur des manipulations ont été passés au crible. Le prévenu ne nie plus les faits : il reconnaît avoir modifié les compteurs et avoir perçu de l’argent en échange. Le débat porte alors sur la gravité de la faute, la durée du système, le nombre de bénéficiaires et les conséquences pour l’entreprise.
Pour le ministère public, la symbolique est forte. Un salarié – même ancien – qui détourne à ce point la technologie mise en place par son employeur pour en tirer un bénéfice personnel, tout en faisant peser le coût sur la collectivité, fragilise non seulement la confiance dans le dispositif, mais aussi dans l’idée de justice tarifaire entre abonnés. C’est ce qui justifie, selon le parquet, des réquisitions particulièrement fermes.
En toile de fond, une question plus large se pose : comment concilier la promesse d’outils modernes capables de mieux suivre la consommation et la nécessité de les protéger contre les détournements ? Les compteurs communicants de nouvelle génération ont été conçus pour apporter plus de transparence, mais ils peuvent aussi devenir des cibles pour ceux qui cherchent à profiter de leurs failles. L’affaire jugée à Bordeaux en est l’illustration concrète, quelques jours seulement avant la fin novembre 2025.
Que retenir ?
Au terme des débats, le parquet de Bordeaux a donc requis une peine d’emprisonnement avec sursis, assortie de sanctions financières fortes. Plus précisément, il a été demandé la condamnation de l’ancien technicien à deux ans de prison entièrement avec sursis.
Ainsi que la confiscation de l’ensemble des biens saisis dans le cadre de la procédure, représentant plusieurs dizaines de milliers d’euros et plusieurs biens immobiliers. Le jugement est désormais attendu, et dira si le tribunal suit ou non ces réquisitions particulièrement lourdes pour une fraude d’un peu plus d’un an, mais aux conséquences considérables.