« 10 € par mois pour chaque enfant », la surprenante idée pour ancrer l’épargne retraite dès le plus jeune âge
Dès six ans, chaque enfant allemand pourrait recevoir 10 € par mois placés en Bourse jusqu’à la retraite. Derrière cette proposition portée durant la campagne par Friedrich Merz.
Un objectif simple : créer très tôt un réflexe de capitalisation pour compenser des pensions de base plus modestes qu’en France. Présentée comme une évidence par certains outre-Rhin, l’idée pourrait entrer en vigueur à partir de 2026 si le projet aboutit.
Sur les marchés de Freiburg-im-Breisgau, l’accueil paraît favorable. Beaucoup y voient un moyen de « penser à 67 ans » bien avant d’y être, alors que l’âge légal de départ a déjà été repoussé et que l’hypothèse d’une cible à 70 ans existe désormais dans le débat public.
Crédit : Flocci Nivis / David Rasp – CC BY 4.0
Une épargne automatique de 6 à 18 ans, bloquée jusqu’à la retraite
Le mécanisme imaginé est très direct. À partir de l’âge de six ans et jusqu’à dix-huit ans, l’État verserait 10 € mensuels sur un compte individuel de retraite. Ce compte, géré par des acteurs privés, serait verrouillé jusqu’à l’âge légal de départ : impossible d’en retirer le moindre euro avant. Une fois majeur, le titulaire pourrait continuer à l’alimenter à ses frais, comme on prolonge un effort commencé très tôt.
Ce cadre entend éviter l’écueil des « bonnes résolutions » qui n’aboutissent jamais. Ici, l’investissement régulier est déclenché automatiquement, sans friction, et dure douze ans.
Une façon d’ancrer durablement la culture de l’épargne longue. Et, détail qui change tout, le versement n’est pas symbolique : chaque mois, une part de fonds vient s’ajouter, quel que soit l’humeur des marchés. C’est précisément ce que les économistes appellent l’effet de lissage dans le temps.
Pensions plus basses, capitalisation encouragée : le contexte allemand
En Allemagne, les salariés cotisent moins qu’en France pour le pilier de base. Résultat : les pensions moyennes y sont plus faibles. En 2023, elles s’élevaient à 888 € pour les femmes et 1 309 € pour les hommes. Dans ce paysage, compléter par un capital individuel est plus qu’un choix : c’est souvent un nécessaire complément pour maintenir son niveau de vie une fois la carrière terminée.
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Ce projet de versement automatique à l’enfance s’inscrit dans une dynamique déjà ancienne. Dès 2023, le conseil des “sages économiques” a suggéré de faciliter l’accès des jeunes au marché des capitaux : pour ces experts, fournir 10 € par mois sous forme de parts de fonds à chaque enfant à partir de six ans est une manière simple d’ouvrir la porte à l’investissement et d’installer un cap psychologique : « la retraite se prépare tôt ».
Au-delà des chiffres, il y a ce réflexe culturel qu’on veut encourager. En France, on aime la répartition et la promesse d’un droit acquis par les trimestres. Outre-Rhin, on admet davantage que la capitalisation puisse compléter la part publique. Ce détail que peu de gens connaissent.
Pour une même somme modeste, un versement régulier effectué tôt peut produire des montants significatifs sur plusieurs décennies, tout simplement grâce aux intérêts composés.
Crédit : Daderot – CC0
Que peut réellement produire « 10 € par mois » à 18 ans ?
La promesse, répétée par le camp de Friedrich Merz, est parlante : avec un rendement moyen visé de 6 % par an, chaque jeune disposerait de plus de 2 000 € sur son compte à 18 ans. Ce montant n’a rien d’un « trésor » immédiat, puisque l’argent resterait intouchable jusqu’à la retraite. Mais l’idée est ailleurs : à la majorité, le titulaire hérite d’un actif bien réel, déjà ouvert, avec un historique d’investissements ; il suffit de poursuivre l’effort, même petit, pour que le capital prenne de l’ampleur sur la durée.
Au-delà de la somme, c’est l’habitude qui est visée. Sur le plan pédagogique, voir son nom associé à un compte dédié à long terme crée un effet d’appropriation. Beaucoup d’adolescents ne se projettent pas au-delà des 67 ans ; ce « démarrage automatique » sert donc d’amorce. « Peut-être dans dix ans », souriait une fillette dans le reportage : précisément, ce versement de 10 € veut raccourcir ce « peut-être ».
Crédit : Gerd Eichmann – CC BY-SA 4.0
Combien cela coûterait-il à l’État, et qui gère quoi ?
Le coût public est chiffré à environ 1,5 milliard d’euros par an. Une dépense récurrente, certes, mais ciblée et prévisible. En face, pas de gestion étatique directe : ce sont des acteurs privés qui administreraient les fonds, avec des règles définies en amont. L’État finance, le privé gère, les familles n’ont rien à faire : la mécanique se déploie seule, mois après mois, jusqu’à la majorité.
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La question de la gouvernance n’est pas anodine. Qui sélectionne les fonds ? Quel niveau de risque est admis ? Quelles garanties sur les frais ? Si l’architecture retenue privilégie des fonds indiciels diversifiés et peu chargés en frais, la promesse de rendement de long terme devient plus crédible.
Tout en restant soumise aux aléas de marché. Mais saviez-vous que même de petites variations de frais annuels, sur quarante ans, peuvent grignoter une part importante de la performance ? C’est l’un des non-dits de toute épargne longue.
Crédit : Wikimedia Commons
Pourquoi l’idée séduit-elle autant… et que reste-t-il à trancher ?
Sur le terrain, l’idée semble plutôt bien accueillie. Les ménages y voient un signal clair : l’État encourage l’épargne, dès l’école primaire, et donne le coup d’envoi. Psychologiquement, il est plus facile de continuer un effort en propre une fois qu’il a été inité pour vous. Dans un pays qui a vieilli plus vite que la France, où l’âge légal a déjà été repoussé à 67 ans, cette « petite étincelle » a donc une portée symbolique forte.
Reste l’équilibre politique : comment cadrer la gestion privée pour éviter les dérives ? Comment garantir une transparence irréprochable des frais ? Quel profil d’investissement imposer ou proposer ? Autant de paramètres qui feront la différence entre un dispositif pédagogique utile et un simple gadget.
Et au fond, une question demeure : faut-il donner à tous les enfants la même somme, ou moduler selon la situation des ménages ? Le projet, tel qu’évoqué, vise la simplicité, avec un montant universel.
En filigrane, un alignement se dessine : compléter des pensions publiques plus faibles par une capitalisation accessible, régulière et précoce. Sans renverser le système, cette contribution pourrait changer la trajectoire de millions de futurs retraités. À condition, bien sûr, que la promesse reste lisible et que la mécanique ne s’alourdisse pas de frais ou de contraintes inutiles.
Crédit : mdgrafik0 – Pixabay
Derrière 10 € par mois, un réflexe qui pourrait durer toute une vie
On pourrait sourire : 10 €, ce n’est pas grand-chose. Mais sur douze ans, mis mensuellement et capitalisés, cela crée un sillon. À 18 ans, le compte n’est pas un chèque à encaisser, c’est un levier à prolonger.
C’est là tout l’enjeu : habituer une génération à voir l’épargne longue comme un réflexe, non comme une corvée tardive. Et si la véritable force de cette mesure n’était pas le montant versé, mais l’habitude qu’elle installe ?
- 09/11/2025 à 15:27C'est déjà ce qui existe depuis longtemps ...Les fameux "livrets de caisse d'épargne", bien avant nos problèmes actuels et ma propre naissance, ont été -en partie- créés pour ce genre de disposition ; au-delà du transfert d'une partie du résiduel des "dépenses du pouvoir de consommation", autrement dit les restes secs et nets qu'on peut transmettre, ceci a été toujours considéré comme un volant de trésorerie pour le budget de l'état, ainsi qu'un indicateur de tendance pour l'évolution de la consommation interne, laissant toute une part à l'imagination créative (en ce domaine) pour 1) organiser comment capter ces flux, et 2) taxer ceux qui seraient hors des limites politiques imposées.
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