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Ce département français vit un triple isolement : pas d’autoroute, pas de train, pas d’avion

Publié par Killian Ravon le 12 Août 2025 à 16:28

Au centre du sud-est, l’Ardèche compte près de 328 000 habitants qui ont appris à composer avec des trajets plus longs qu’ailleurs. Pour aller travailler, étudier, consulter un spécialiste ou retrouver de la famille, chaque déplacement se calcule en minutes supplémentaires, en kilomètres à rallonge et en confiance dans la météo. Beaucoup partent plus tôt, reviennent plus tard et s’organisent à l’avance, parce que le temps de transport ici n’obéit pas aux mêmes règles que dans les autres départements à cause de l’isolement.

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Route départementale sinueuse bordée de forêts et de collines en Ardèche, sous une lumière de fin de journée.

L’impression d’éloignement est d’autant plus forte que la vallée du Rhône frôle le territoire. L’A7, véritable colonne vertébrale du pays en été, déroule son ruban juste en face, sur la rive drômoise. On voit les files de voitures, on entend parfois le bourdonnement de la circulation, mais on ne s’y branche pas directement. Il faut d’abord trouver un pont, viser Valence, Montélimar ou Bollène, puis rejoindre l’échangeur. Pour beaucoup, ce simple « crochet » représente déjà une demi-heure de route.

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Une géographie qui complique tout

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Entre le Rhône et les montagnes, le relief compartimente les vallées, oblige les routes à sinuer et les conducteurs à anticiper la saison. L’hiver, le plateau gèle et la prudence devient la règle. L’été, les visiteurs affluent vers les Gorges de l’Ardèche et la Grotte Chauvet, gonflant un trafic qui sature vite. Sur 5 529 km², l’Ardèche a construit un réseau routier dense, mais la topographie limite la vitesse et la visibilité, et la moindre déviation rallonge tout.

Cette configuration pèse sur les habitudes de mobilité. Un rendez-vous à Lyon depuis Privas demande de planifier le trajet, prévoir l’accès au Rhône, puis l’A7, et enfin le stationnement. À l’échelle d’une semaine, ces « petits » délais font une grande différence, surtout pour les actifs qui doivent attraper une correspondance, un entretien ou l’horaire d’ouverture d’un service public.

Route panoramique dominant les gorges de l’Ardèche sous un ciel clair.
La D290 surplombe les gorges, axe touristique asphyxié l’été faute d’alternative au rail.
Crédit : Celeda — Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0.
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Les routes comme unique ossature

Sans autoroute traversant le département, la D86 le long du fleuve supporte l’essentiel du trafic nord-sud. Elle serpente entre villages, zones d’activité et vignes, accueille les voitures du quotidien, les poids lourds et les vacanciers. Ailleurs, la N102 vers Aubenas ou la D104 vers Privas absorbent des flux en hausse, avec des créneaux horaires qui s’allongent dès que la saison touristique démarre.

Sur le papier, ces axes relient tout. Dans la réalité, ils le font au rythme d’une route secondaire. Les conducteurs se partagent les lacets, patientent derrière un convoi agricole, s’interdisent de doubler dans une épingle. La route devient une salle d’attente à ciel ouvert. Les habitants s’y adaptent, mais la fatigue grandit quand la journée s’accumule de rendez-vous, d’horaires d’école et de trajets soins.

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Route sinueuse longeant la falaise des gorges de l’Ardèche.
Un ruban routier superbe… mais vite saturé en haute saison, loin de l’efficacité d’un TER.
Crédit : Marianne Casamance — Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0.

Des cars utiles, pas décisifs

Pour compenser, la région et le département ont étoffé l’offre de cars régionaux. Une vingtaine de lignes régulières quadrillent le territoire, y compris des liaisons express vers Valence TGV et Montélimar. C’est précieux pour les lycéens, les étudiants, ceux qui n’ont pas de voiture, et pour les déplacements ponctuels vers la vallée du Rhône.

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Mais la souplesse du car a ses limites. Impossible, par exemple, de relier directement Aubenas au sud et Annonay au nord sans correspondance. Surtout, les temps de trajet restent difficiles à battre face à un train. On met souvent près de deux heures entre Privas et Lyon, quand un rail bien connecté ferait fondre la distance. Cette différence de cadence décourage une partie des usagers potentiels, qui renoncent à changer leurs habitudes.

Bâtiment de l’ancienne gare de Vogüé reconverti, sans service voyageurs.
En Ardèche, les bâtiments de gares subsistent, pas les trains… un symbole du triple isolement.
Crédit : Chris0693 — Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0.

Le jour où le train s’est arrêté

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La mémoire locale a une date : 1973. Cette année-là, la ligne de la rive droite du Rhône a cessé d’accueillir des voyageurs entre Givors et Nîmes. Depuis, les gares ardéchoises ont fermé leurs guichets, leurs quais se sont vidés, leurs horloges se sont arrêtées. Des bâtiments subsistent, parfois reconvertis, comme des décors que l’on traverse sans que plus aucun TER ne s’y arrête.

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Cinquante ans plus tard, la situation nourrit une identité ambivalente : fierté d’un territoire qui sait se débrouiller, frustration d’être le parent oublié de la carte ferroviaire. Les générations se succèdent et répètent la même chose aux nouveaux arrivants : ici, on calcule autrement. On part plus tôt. Rentre plus tard. On s’arrange.

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Des trains qui passent… sans passagers

Depuis 2022, l’étrangeté a pris un tour presque kafkaïen. Des TER Occitanie effectuent leur retournement au Teil, sur sol ardéchois, mais ces rames circulent à vide pour des raisons techniques. Elles traversent le territoire, croisent les communes, longent les maisons et les ateliers, mais ne prennent personne à bord. Pour les habitants qui entendent le sifflet, c’est une scène absurde : le train est là, mais il ne sert pas.

L’idée de rouvrir la gare du Teil revient régulièrement. Annoncée, reprogrammée, elle a encore été repoussée. Des travaux ciblés ont été inscrits au budget régional pour permettre quelques allers-retours vers Avignon et Nîmes à l’horizon des prochaines années, mais les habitants, échaudés par les changements de calendrier, attendent des dates tenues plutôt que des promesses.

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Le grand projet qui manque encore la cible

Au-delà de la rive droite, le dossier jugé le plus logique par beaucoup reste la connexion vers Romans-sur-Isère et Valence TGV. C’est là que se trouvent les bassins d’emploi, les universités, les grands hôpitaux et, tout simplement, la vie quotidienne de milliers d’Ardéchois. Rattacher le département à cette dorsale naturelle aurait un effet immédiat sur les études, la santé, l’économie et l’attractivité.

Pour l’heure, ce scénario demeure en suspens. Les études se succèdent, les priorités nationales se déplacent, les budgets se négocient. Pendant ce temps, des familles déménagent pour gagner une heure par jour, des entreprises hésitent à s’installer faute de logistique fiable, des jeunes renoncent à une formation trop éloignée, non pas par manque d’envie, mais par manque de minutes gagnées.

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Le paradoxe du fret bien vivant

Sur la même rive droite du Rhône, le fret ne connaît pas la pause. Les convois de marchandises défilent jour et nuit, entre 70 et 80 trains quotidiens selon les périodes, avec des conteneurs, des matières dangereuses, des semi-remorques embarqués en autoroutes ferroviaires. Pour les habitants, ces circulations prouvent que la ligne est opérationnelle, entretenue et performante quand il s’agit de transporter des biens.

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Ce spectacle renforce le sentiment d’injustice. On accepte les nuisances sonores, les vibrations, l’éclairage, la présence d’une infrastructure lourde au cœur des communes, mais on n’en retire aucun bénéfice direct pour les déplacements du quotidien. La question revient sans cesse lors des réunions publiques : si la voie supporte le fret, pourquoi ne pourrait-elle pas accueillir quelques TER bien cadencés ?

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Plateau ardéchois avec village et reliefs, grande route de campagne au premier plan.
Dans l’arrière-pays, les déplacements s’organisent autour d’un réseau secondaire étendu mais lent.
Crédit : Ridoe — Pixabay

Vivre, travailler, se soigner : l’addition cachée

L’isolement n’apparaît pas seulement sur une carte. Il se lit sur les plannings d’entreprises, les bulletins d’inscription dans les écoles supérieures, les feuilles de soins et les emplois du temps des familles monoparentales. Un rendez-vous au CHU de Saint-Étienne ou de Lyon, un concours à Valence, une formation à Grenoble deviennent des projets logistiques. On réserve un logement d’appoint, on partage une voiture, on s’organise entre voisins.

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À l’échelle d’un territoire, cette perte de temps cumulé pèse aussi sur le développement économique. Les artisans planifient leurs tournées en intégrant les cols et les traversées de villages, les TPE renoncent à certains marchés par manque de réactivité, les recrutements se heurtent à la question de l’accès. Les élus locaux racontent tous la même chose : ce n’est pas une fatalité, mais c’est un handicap réel.

Équité territoriale et transition écologique

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Le discours public martèle la nécessité du report modal vers le rail, des mobilités douces et d’une baisse des émissions de CO2. L’Ardèche veut y contribuer, parce que ses paysages sont un trésor et son économie touristique dépend d’une nature préservée. Mais comment le faire quand la route demeure l’unique solution pour la majorité des trajets, y compris les plus banals ?

Sur ce point, les habitants ne demandent pas la lune. Ils veulent des liaisons fiables et prévisibles, capables d’absorber les flux saisonniers sans pénaliser ceux qui vivent ici à l’année. Ils veulent une offre cohérente avec la carte des études et des emplois, et des correspondances qui s’attrapent sans sprint. Bref, ils veulent ce que l’on propose déjà ailleurs, ni plus ni moins.

Vue rivière et arche naturelle du Pont d’Arc à Vallon-Pont-d’Arc.
Un site mondialement connu, desservi quasi exclusivement par la route. Crédit : Lesbains39 — Pixabay
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Des voix qui se font entendre

Associations d’usagers, collectifs citoyens, maires de petites communes et parlementaires locaux répètent la même exigence : passer des discours aux actes. On a même vu circuler, pour une journée symbolique, un train historique rappelant celui du dernier voyage de 1973. L’émotion était là, mais chacun sait que la solution sera moderne, cadencée, technique et budgétaire. Elle demandera des choix, de la coordination et un calendrier crédible.

Cette mobilisation n’est pas une posture. Elle exprime un besoin vital pour l’avenir d’un territoire qui refuse de décrocher. L’Ardèche ne veut pas être un cul-de-sac pittoresque, elle veut être une porte ouverte, avec ses spécificités, ses vallées, ses atouts et sa qualité de vie, mais reliée au reste du pays à la mesure de 2025.

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Ce que révèle vraiment l’Ardèche

Ce département raconte une histoire française plus large, celle des fractures territoriales. On investit massivement dans des métropoles, on creuse des tunnels, on lève des milliards pour des chantiers spectaculaires. Et, dans le même temps, des zones entières attendent juste le service public de la mobilité, celui qui déclenche des vies moins compliquées et des journées plus longues que le soleil.

C’est là que se trouve la clé de compréhension de ce dossier. Oui, l’Ardèche est belle, accueillante et résiliente. Oui, elle attire des visiteurs du monde entier. Mais derrière l’image, il y a un fait têtu que les cartes routières ne disent pas et que les habitants vivent depuis plus d’un demi-siècle. Et ce fait, le voici, enfin dit clairement, parce qu’il explique tout depuis le début : l’Ardèche est aujourd’hui le seul département de France métropolitaine qui cumule l’absence d’autoroute, d’aéroport commercial et de train de voyageurs.

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1 commentaire

  • P
    Paz
    13/08/2025 à 15:54
    Nous avons déménagé de l'Ardèche après 50 ans de vie professionnelle. Même à ce niveau nous avons été obligés de créer notre emploi par absence d'entreprises en proposant.Trop de contraintes de déplacement en vieillissant pour accéder aux soins médicaux, aux différents centres d'intérêt culturel. Tout était compliqué pour les loisirs en dehors de la nature superbe. Les jeunes ne peuvent s'y installer par manque de choix après leurs études. DommageAprès 50 ans d'Ardèche tout passe, tout casse, tout lasse!

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