Une nouvelle technique révolutionnaire pour mettre fin aux attaques de requins ?
Les attaques de requins restent rares, mais leur impact est considérable pour les surfeurs et plongeurs. En Australie, pays où la cohabitation avec les squales est la plus sensible, chaque drame relance la même question simple et obsédante : peut-on mieux se protéger, sans transformer l’océan en parc grillagé ni renoncer à nos activités nautiques ?
Depuis des années, la prévention s’appuie surtout sur des dispositifs collectifs, comme les filets anti-requins, la surveillance par drones, les patrouilles ou des zones temporairement fermées. Cette approche réduit le risque, mais elle ne l’annule jamais. Et lorsque l’on pratique le surf à l’aube, la plongée au large ou le bodyboard dans une houle chargée, la première ligne de défense devient… sa propre combinaison.
Une idée simple, un défi technique immense
Sur le papier, la promesse est limpide : des matériaux “anti-morsures” capables de résister aux dentitions les plus redoutées. Dans la réalité, c’est un défi de mécanique pure. La morsure d’un grand requin blanc ou d’un requin-tigre combine perforation, cisaillement et écrasement. La peau humaine se déchire, les tissus s’ouvrent, la perte de sang devient critique en quelques minutes. On n’attend pas d’un tissu miracle qu’il rende un squale inoffensif, mais qu’il limite l’ampleur des dégâts là où le néoprène classique cède net.
C’est précisément sur ce point que des chercheurs australiens ont décidé d’avancer. Leur approche tient en une intuition forte : mélanger le confort et la flottabilité d’une combinaison moderne à des fibres très résistantes — type Kevlar ou fibres techniques issues du nautisme — afin d’empêcher les dents de traverser complètement la matière.
Un protocole pensé pour le réel, pas pour le labo
L’étude, publiée dans la revue Wildlife Research et menée par l’université Flinders avec le Département des industries primaires de Nouvelle-Galles du Sud, a comparé quatre matériaux anti-morsures à un néoprène standard. Le parti pris est clair : tester en conditions naturelles, au contact de deux espèces réputées dangereuses.
Les essais se sont déroulés dans le golfe Spencer au sud de l’Australie pour les grands requins blancs, et près de Norfolk Island, dans le Queensland, pour les requins-tigres. Pour attirer et standardiser les morsures, les scientifiques ont remplacé des appâts par des panneaux à mordre, des planches recouvertes du matériau à évaluer, fixées à l’embarcation puis récupérées. À l’intérieur, une mousse chirurgicale reproduisait la densité et la texture des tissus humains. Ce protocole réplique l’enchaînement réel d’une morsure : pénétration, déchirement, écrasement.
152 morsures décortiquées, un même verdict
Sur la totalité des essais, les chercheurs ont analysé 84 morsures de grands requins blancs et 68 morsures de requins-tigres. Chaque impact a été classé en superficiel, léger, important ou critique. Résultat marquant : les quatre matériaux étudiés — Aqua Armour, Shark Stop, ActionTX-S et Brewster — ont nettement réduit la fréquence des dégâts majeurs par rapport au néoprène classique.
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L’explication est mécanique : “le matériau empêche la dent de percer complètement”, résume Tom Clarke, co-auteur à Flinders. En clair, les fibres et l’armature textile dissipent l’énergie de la denture, ralentissent la perforation et retiennent une partie du tranchant. Les coupures profondes sont moins franches, la peau et la chair résistent davantage, et la saignée devient moins cataclysmique dans les toutes premières minutes.
Ce que ces combinaisons changent… et ne changeront pas
Il faut rester lucide : même si la perforation est freinée, l’impact d’une mâchoire de plusieurs centaines de kilos reste violent. Les chercheurs le reconnaissent, il peut persister des lésions internes ou des traumatismes par écrasement. Autrement dit, une combinaison anti-morsures n’est ni un bouclier absolu, ni une armure. Elle gagne du temps. Et parfois, quelques minutes suffisent pour sauver une vie.
C’est là que l’avis des spécialistes de terrain est précieux. Pour le professeur Charlie Huveneers, directeur du Southern Shark Ecology Group à Flinders, ces combinaisons peuvent réduire la perte de sang et les traumatismes liés aux coupures profondes. C’est un levier crucial, car la majorité des décès surviennent après des hémorragies massives ou des lésions d’artères principales. Moins de perforations, moins de saignements, davantage de temps pour sortir de l’eau et être pris en charge.
La psychologie compte aussi : reprendre la main sur la peur
La peur des requins est nourrie par un facteur clé : le sentiment d’impuissance. La psychologue Brianna Le Busque (université d’Australie-Méridionale) le rappelle : proposer des stratégies fondées sur des preuves redonne du contrôle aux usagers de la mer. Porter une combinaison conçue pour limiter les blessures majeures, c’est transformer une angoisse diffuse en mesure active. Le bénéfice est double : physiologique et psychologique.
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Où placer le curseur entre responsabilisation et solutions collectives
Les filets anti-requins, la vidéosurveillance et les fermetures temporaires de plages restent des outils indispensables, notamment après un incident. Mais ils ont des limites : perturbation de la faune, coûts, controverses, et une efficacité qui dépend énormément des conditions locales. À l’inverse, une combinaison relève de la responsabilité individuelle, accompagne partout le pratiquant, et n’exige ni installation lourde ni maintenance publique.
La voie la plus crédible ressemble à un mix : continuer d’améliorer les dispositifs collectifs là où ils sont pertinents, tout en diffusant les innovations individuelles qui augmentent les chances de s’en sortir lorsqu’un contact a lieu.
Ce que “prometteur” veut dire, concrètement, pour un surfeur ou un plongeur
Dans l’eau, tout se joue vite. Un choc, un arrachement, une plaie qui se remplit d’eau salée, et l’on a des secondes pour réagir. Si la dent ne franchit pas complètement la combinaison, si la déchirure demeure partielle, si l’hémorragie est moins abondante, alors vous avez davantage de temps pour sortir du pic, appeler à l’aide, comprimer et attendre. À ce moment-là, ces fibres techniques ne sont pas un concept : elles sont un filet de sécurité.
C’est aussi un message de préparation. Une combinaison renforcée ne dispense ni du binômage en plongée, ni de la lecture des conditions, ni du respect des zones et des consignes locales. Elle ne remplace pas un plan d’évacuation et un kit de premiers secours à portée de main. Elle ajoute une couche de défense dans un milieu qui ne sera jamais totalement prévisible.
La réalité statistique, sans sensationnalisme
En Australie, les incidents restent peu fréquents à l’échelle d’un littoral immense, mais ils sont souvent graves. Sur la dernière décennie, les bilans annuels tournent autour d’une vingtaine de blessés et de quelques décès. Rares, donc, mais à très fort enjeu humain. L’actualité récente l’a rappelé de façon dramatique, avec la mort d’un surfeur près de Dee Why à Sydney. Ce sont précisément ces cas extrêmes que la réduction des perforations vise à mieux gérer.
Le grain de sel nécessaire : ce que les combinaisons ne disent pas
Un dernier mot sceptique s’impose. D’abord, toutes les marques et tous les modèles ne se valent pas : la qualité des fibres, la densité du tissage, l’ergonomie et la flottabilité varient. Ensuite, une morsure n’est jamais identique à une autre. L’angle d’attaque, la taille de l’animal, la localisation sur le corps et la durée de prise dans la mâchoire changent tout. Enfin, ces matériaux peuvent vieillir avec le sel, le soleil, les torsions et les accrocs. Une révision régulière, des tests et une formation aux gestes d’urgence restent indispensables.
La révélation centrale de ces travaux, c’est que quatre matériaux anti-morsures — Aqua Armour, Shark Stop, ActionTX-S et Brewster — réduisent significativement les dommages majeurs face aux morsures de grands requins blancs et de requins-tigres, en freinant la perforation par rapport au néoprène classique. Ce n’est pas une immunité, mais un gain de minutes et de sang qui peut faire la différence entre un accident grave et une issue fatale.