Fin de la hausse de l’âge de départ : l’Italie dit stop à la retraite à 70 ans
Depuis plus d’une décennie, l’Italie s’est imposée une mécanique réputée implacable pour préserver son système de retraite. Après la crise des dettes souveraines, Rome a fait le choix d’indexer l’âge légal sur l’espérance de vie. Avec une révision possible tous les deux ans. Cette règle, austère mais lisible, a fait bondir l’âge de départ à 67 ans en 2019. Plaçant le pays parmi les plus exigeants d’Europe. En toile de fond, un défi démographique lourd. Une population qui vieillit, un nombre d’actifs qui se contracte, et une fécondité basse, autour de 1,2 enfant par femme.
Dans ce cadre, la trajectoire était connue. À partir de 2027, l’âge devait progresser de trois mois, avant de bouger à nouveau selon les projections de l’Istat. Les scénarios publiés évoquaient 67 ans et 9 mois à l’horizon 2031, puis 69 ans et 6 mois autour de 2051. Sous l’effet mécanique de l’allongement de la vie. Une philosophie simple, presque automatique. Si l’on vit plus longtemps, on travaille plus longtemps, histoire d’alléger la pression sur les comptes publics.
Quand la boussole démographique devient une cible politique
Sauf que cette boussole, jugée trop brutale par une partie du pays, vacille. Les syndicats défendent depuis des années l’idée de décorréler la retraite d’un algorithme d’espérance de vie qui ne dit rien de la pénibilité. Des carrières longues ou des accidents de parcours. Dans le sillage de cette contestation, la majorité actuelle a laissé entendre que la règle n’était plus intangible. Claudio Durigon, sous-secrétaire d’État au Travail et figure de la Lega, a parlé d’une politique « brutale envers les travailleurs ». Appelant à revoir le dispositif.
Le signal politique s’est doublé d’une ouverture au sommet de l’exécutif. Giorgia Meloni s’est dite disposée à étudier une révision. Et Giancarlo Giorgetti, le ministre des Finances, a évoqué l’hypothèse de suspendre la hausse automatique jusqu’en 2029. Prudence affichée toutefois : selon lui, « l’idée est encore en discussion » et dépendra de la conjoncture économique. Autrement dit, l’exécutif mesure le coût potentiel d’une volte-face. Dans un pays où la dette pèse près de 135 % du PIB.
Le calcul qui fâche : ce que coûterait la suspension
Dans un pays où la démographie se dégrade, le moindre coup de canif à la règle menace la trajectoire budgétaire. D’après les évaluations avancées, supprimer l’indexation à l’espérance de vie pourrait amputer la richesse de 0,4 point de PIB d’ici 2040. Surtout, la dette suivrait une courbe moins favorable, passant potentiellement à 139 % du PIB en 2031, contre 132 % dans le scénario où la mécanique continue de s’appliquer.
Ces projections nourrissent le camp des prudents. Tito Boeri, ancien président de l’Istat, met en garde : le mécanisme, « très précieux », ne devrait pas être modifié, au risque d’effets « assez dramatiques » pour les finances publiques. Son argument est clair : dans une économie qui a longtemps connu une croissance molle et une productivité inégale, la crédibilité tient à quelques ancrages solides. L’indexation en était un.
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Le choc de réalité démographique
Ce débat ne se résume pas à une querelle technique. En Italie, le vieillissement s’accélère et le volume d’actifs recule. Moins d’entrées sur le marché du travail, davantage de retraités : mécaniquement, le système est sous tension. Avec une fécondité stabilisée nettement sous le seuil de renouvellement des générations, l’équation ne peut être résolue que par un cocktail de mesures rarement populaires et de réformes structurelles qui prennent du temps.
Le dispositif d’indexation sur l’espérance de vie avait l’avantage de la prévisibilité, un atout précieux pour les ménages, les entreprises et les marchés. Son défaut est de ne pas voir les histoires individuelles. Un maçon de 62 ans n’a pas le même corps qu’un cadre du même âge, et l’algorithme ne distingue pas les deux. D’où l’idée, avancée par certains, d’un compromis : maintenir une boussole macroéconomique tout en élargissant les dérogations ciblées pour les métiers pénibles ou les carrières longues.
L’ombre portée de la comparaison française
C’est ici que la comparaison avec la France pèse lourd, et pas à l’avantage de l’Italie. Paris a choisi de repousser l’âge légal, d’allonger la durée de cotisation, bref de durcir les paramètres pour sécuriser l’équilibre du système. La décision a été socialement coûteuse, politiquement inflammable, mais elle envoie un signal : la soutenabilité est prioritaire, même au prix d’un coût politique élevé.
Vu de Rome, le contraste pique. Alors que l’Italie part d’un stock de dette bien plus élevé et d’une démographie plus dégradée, elle envisagerait de relâcher l’une de ses rares ancrages de crédibilité. La France a consolidé un pilier de sa trajectoire budgétaire, l’Italie s’apprêterait à affaiblir le sien. Dans les deux cas, l’objectif est de rassurer sur le long terme, mais la méthode française, austère, verrouille mieux l’horizon que la méthode italienne, plus conciliatrice à court terme. Sur les marchés, cette divergence peut se traduire par un coût de financement supérieur pour Rome, accentuant la vulnérabilité de ses finances publiques.
Les lignes de fuite possibles à Rome
Si le gouvernement Meloni confirme la suspension, il lui faudra un récit cohérent et des mesures de compensation. Parmi elles, un traitement au scalpel de la pénibilité, l’ouverture de voies anticipées pour les carrières longues, et une réflexion sur les incitations au travail des seniors. Mais aucune de ces réponses ne remplacera totalement la force comptable d’une règle automatique adossée à l’espérance de vie. Il faudra donc faire preuve de pédagogie pour convaincre les jeunes actifs, qui supportent déjà une incertitude plus forte que leurs aînés.
La question clé reste la croissance. Sans un sursaut durable de l’activité, les effets budgétaires d’un gel se verront d’autant plus vite. À cela s’ajoute l’impératif de remettre au travail une partie de la population éloignée de l’emploi, d’améliorer la qualité des postes et d’attirer des compétences. L’Italie n’a pas de marge magique ; elle a, en revanche, des choix à assumer.
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Le risque d’un message brouillé
Un gel annoncé sans architecture de remplacement ajouterait une couche d’incertitude. Les marchés ont salué les efforts récents de Rome, et une partie des agences de notation a reconnu ces progrès. Mais la crédibilité se gagne lentement et se perd vite. Tout l’enjeu est de clarifier les contours d’une réforme qui protège les plus vulnérables sans désarmer la soutenabilité générale. Faute de quoi, l’Italie enverrait un message paradoxal : protéger aujourd’hui au risque d’affaiblir demain.
Dans cette optique, la France offre un miroir peu flatteur. Malgré les tensions sociales, Paris a tranché en faveur d’un resserrement des paramètres. Résultat : une feuille de route plus lisible pour les investisseurs, une trajectoire perçue comme davantage sous contrôle, et une prime de risque potentiellement moins élevée. À Rome, le choix inverse exposerait le pays à des doutes sur sa capacité à tenir ses engagements dès que la conjoncture se détériore.
Entre justice sociale et arithmétique
Le débat italien oppose deux principes légitimes. D’un côté, la justice sociale, qui refuse qu’un indicateur macro préempte les destins individuels. De l’autre, l’arithmétique d’un système par répartition, qui ne peut survivre sans équilibre entre cotisants et retraités. L’équation n’a jamais été simple. Mais elle se tend dans un pays où la démographie fit rarement des cadeaux et où la dette laisse peu d’air.
Pour sortir par le haut, l’Italie devrait articuler son éventuel gel avec des critères ciblés d’aménagement et une révision périodique encadrée. Le pays n’a pas intérêt à basculer d’une rigueur automatique à une indétermination permanente. Il lui faut un cadre clair, prévisible, qui sécurise tout autant un maçon de 61 ans qu’un investisseur qui regarde les obligations à dix ans.
Ce que révèle vraiment l’épisode
Au-delà des chiffres, l’épisode dit quelque chose de l’Italie contemporaine : une démocratie soucieuse de cohésion sociale, prête à étreindre les inquiétudes du moment, mais contrainte par un héritage budgétaire lourd et une démographie qui se retourne. C’est aussi une invitation à la vérité politique : promettre un gel sans expliquer comment l’équilibre sera retrouvé n’est plus audible dans une Europe qui a appris, parfois dans la douleur, que les promesses n’effacent pas les ratios.
Dans le miroir français, la stratégie paraît plus lisible et plus crédible, même si elle reste impopulaire. C’est précisément ce différentiel de lisibilité qui pourrait peser sur l’Italie si Rome choisit d’emprunter la voie du gel sans garde-fous robustes. Là où Paris a posé des jalons clairs, Rome semble prête à desserrer l’étau sans plan de rechange pleinement structuré.
Après des semaines de signaux et de débats, le Financial Times rapporte que l’exécutif italien envisage bien de geler l’âge légal à 67 ans, stoppant la mécanique qui devait l’emmener vers près de 70 ans autour de 2050. En clair, la révision automatique indexée sur l’espérance de vie serait mise en pause, au moins jusqu’en 2029, une inflexion qui, comparée à la ligne française, place l’Italie sur un chemin plus incertain pour ses finances publiques et sa crédibilité à moyen terme.