Un voilier landais pris pour cible par des orques au large de l’Espagne
Parti de Capbreton pour un long stage d’hiver vers les îles Canaries. Un voilier école s’est retrouvé face à des visiteurs aussi spectaculaires qu’encombrants. Au large de La Corogne, en Galice, un groupe d’orques a pris pour cible le bateau et son équipage.
Transformant une simple rotation pédagogique en épisode particulièrement stressant.
Ce récit s’appuie sur le témoignage du skipper Gary Ptak, relaté d’après le quotidien régional « Sud Ouest ».
Un stage de voile vers les Canaries qui tourne au cauchemar
Au départ, rien ne laissait présager le moindre incident. Ce dimanche 9 novembre 2025, Gary Ptak, moniteur de croisière à Capbreton, embarque six stagiaires pour un long convoyage vers les îles Canaries. L’objectif est simple : passer l’hiver en mer, apprendre la navigation côtière et hauturière. Et permettre à chacun de prendre en main un grand voilier de croisière dans des conditions réelles.
Le bateau, un monocoque de 17 mètres, doit suivre la façade atlantique en descendant progressivement vers le sud. L’ambiance est studieuse mais détendue, rythmée par les quarts de nuit, les briefings de sécurité et les exercices pratiques. Pour la plupart des stagiaires, cette traversée représente un vrai défi personnel, voire un premier grand voyage en océan Atlantique.
Après plusieurs jours de mer, l’équipage se retrouve au large de La Corogne, sur la côte nord-ouest de l’Espagne. Le vent vient du sud et la météo se dégrade. Gary Ptak prévoit alors une escale technique de deux jours dans le port galicien. Le temps de laisser passer le mauvais temps et de faire souffler tout le monde. Sur le papier, le planning reste maîtrisé.
Crédit : Pixabay / Mollyroselee
Une matinée ordinaire au large de La Corogne… jusqu’aux premiers chocs
Le jeudi 13 novembre, vers 8 h 30, le voilier progresse à environ huit nœuds. La mer est formée mais gérable, l’équipage commence sa journée. Et le skipper vient tout juste de modifier le cap d’une vingtaine de degrés. Il descend dans le carré pour consigner ce changement de route dans le journal de bord. Comme le veut la procédure.
C’est à ce moment précis que tout bascule. Il n’a même pas le temps de s’asseoir qu’un bruit sourd résonne dans la coque. Puis un deuxième coup, plus violent encore. En quelques secondes, Gary Ptak comprend de quoi il s’agit : un groupe d’orques vient d’entrer en interaction avec le bateau. Ces mammifères marins sont désormais bien connus des navigateurs qui fréquentent la péninsule Ibérique. Et leur présence s’est nettement intensifiée ces dernières années.
Le skipper n’est pas complètement pris au dépourvu. Conscient de ces épisodes devenus récurrents, il avait embarqué un pinger anti-déprédation, un petit dispositif censé éloigner les cétacés en émettant des signaux sonores à une certaine fréquence. Dans son esprit, ce boîtier devait permettre de limiter le risque d’attaque d’orques. Mais ce matin-là, le système ne change absolument rien au comportement du groupe.
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Les orques s’acharnent sur le gouvernail du voilier
En quelques instants, le calme relatif de la navigation laisse place à une succession de chocs inquiétants. Gary Ptak estime qu’il y a cinq ou six orques autour du bateau. Les animaux se concentrent sur l’arrière du voilier, au niveau de la barre et de la partie immergée. Ils reviennent plusieurs fois, frappent, disparaissent, puis reviennent encore.
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Selon le skipper, l’« interaction » dure environ une dizaine de minutes. Durant ce laps de temps, les animaux heurtent le bateau à de multiples reprises : il évalue à une quinzaine le nombre de coups portés. Cette répétition donne une impression d’acharnement, même si, pour les scientifiques, il ne s’agit pas d’une agression au sens strict mais plutôt d’un comportement de curiosité ou de jeu.
Très vite, les priorités à bord changent. Gary Ptak doit d’abord s’assurer que personne n’est en danger immédiat. Il faut réveiller les stagiaires encore couchés, faire enfiler les gilets de sauvetage, vérifier s’il n’existe pas de voie d’eau et établir un premier diagnostic sur l’état du bateau. Dans cette phase, chaque geste compte : rassurer les plus inquiets, donner des consignes claires, éviter toute panique alors que les chocs se succèdent encore.
Lorsqu’il teste la barre, le verdict tombe : le gouvernail a été sérieusement endommagé. Les orques, en frappant à répétition la partie arrière, ont fini par casser le système de direction. Le bateau ne répond plus, se met à tourner en rond et devient pratiquement incontrôlable. Même la meilleure navigation côtière ne sert plus à rien sans gouvernement.
Remorqués jusqu’à La Corogne et bloqués pour plusieurs jours
Une fois la situation de détresse confirmée, le skipper lance un appel aux secours. Les autorités espagnoles sont alertées, et des sauveteurs espagnols se dirigent vers le voilier en difficulté. L’attente dure une quarantaine de minutes, le temps que les secours rejoignent la zone, alors que le bateau continue de dériver, sans possibilité de le diriger précisément.
Finalement, les sauveteurs prennent le voilier en remorque pour le ramener jusqu’au port de La Corogne. Le convoi progresse prudemment, afin de ménager la coque et d’éviter d’aggraver l’avarie de gouvernail. Pour l’équipage, le soulagement se mêle à la frustration : le stage qui devait être une grande aventure vers le sud se retrouve stoppé net dans un port galicien.
Une fois amarré, le temps de l’expertise commence. Il faut inspecter minutieusement la barre, les appendices sous la ligne de flottaison et l’ensemble des systèmes de bord. Très vite, il apparaît que les dégâts ne pourront pas être réparés en quelques heures. Le voilier nécessitera des travaux conséquents, avec commande de pièces et intervention en chantier.
Gary Ptak évoque un délai d’environ quinze jours pour remettre le bateau en état de reprendre la mer. En attendant, tout l’équipage est bloqué à terre. Le quotidien s’organise entre démarches techniques, suivi des réparations et gestion des attentes des stagiaires, venus pour un stage de voile intensif et qui se retrouvent désormais à quai.
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Crédit : Pixabay / Ulisesphotography
Des attaques en série dans l’Atlantique, mais un comportement jugé « joueur »
Pour le skipper, cet épisode a d’autant plus de relief qu’il n’avait jamais vécu une telle scène auparavant. En cinq ans, il affirme être passé une trentaine de fois dans ce même secteur sans rencontrer le moindre problème avec les orques. Ce contraste entre des années de traversées sans incident et cette « interaction » brutale interroge forcément les navigateurs.
Depuis 2020, les témoignages d’interactions avec les orques se multiplient le long de la péninsule Ibérique. Des bateaux de plaisance, mais aussi d’autres types d’embarcations, signalent des épisodes où des groupes d’orques viennent frapper la coque ou s’attaquer au système de direction. Certains cas se terminent bien, d’autres laissent des dégâts très importants.
Il y a quelques semaines seulement, une famille française a vu son bateau couler au large du Portugal après un épisode similaire. Dans un autre cas cité dans le même contexte, un navire de plaisance français a été pris pour cible au large du Pays basque espagnol ; les personnes à bord ont dû être secourues et rapatriées, heureusement saines et sauves. Ces successions de récits nourrissent forcément une forme d’inquiétude chez les plaisanciers.
Les scientifiques, eux, privilégient une autre lecture. Ils parlent davantage « d’interactions » que d’attaque d’orques, rappelant que ces animaux pourraient surtout chercher à jouer avec les bateaux, à tester des comportements ou à reproduire une forme d’apprentissage social.
Gary Ptak, qui s’est lui-même penché sur ces analyses, explique que les orques « viennent vraiment pour jouer avec le bateau » et qu’il n’y aurait pas, selon ces travaux, de volonté délibérément agressive. Mais pour ceux qui se trouvent à bord, la nuance reste difficile à percevoir sur le moment.
Crédit : Gillfoto / Wikimedia Commons – CC BY-SA 4.0.
Un hiver aux Canaries compromis pour une partie de l’équipage
Pendant que les réparations s’organisent à La Corogne, le temps passe et les contraintes de chacun rattrapent la réalité du voyage. Certains stagiaires doivent bientôt reprendre le travail ou rentrer en famille. D’autres n’avaient prévu qu’une fenêtre limitée pour suivre ce stage de voile intensif. Plus les jours s’écoulent, plus il devient évident que tout le monde ne pourra pas attendre la fin du chantier naval.
Gary Ptak estime qu’il faudra « une bonne quinzaine de jours » avant de pouvoir reprendre la mer. Ce délai est trop long pour quelques participants, qui devront abandonner l’aventure en cours de route. Certains ne verront donc jamais les îles Canaries, destination pourtant prévue dès le départ, et rentreront à terre avec une expérience bien différente de celle imaginée.
Une fois le voilier remis en état, le skipper prévoit de repartir vers le sud avec une partie seulement de l’équipage initial. Le programme d’hiver n’est pas totalement annulé, mais il se fera avec un groupe réduit, marqué par cet épisode inattendu. Lui comme ses stagiaires devront désormais composer avec l’idée que ces mammifères marins peuvent transformer du jour au lendemain une traversée ordinaire en vraie épreuve de sang-froid.
Et lorsque le bateau quittera finalement le port galicien pour reprendre sa route vers le large, chacun aura en tête le même espoir discret : que cette rencontre musclée avec des orques au large de l’Espagne reste une expérience unique, et que les prochains milles vers l’Atlantique Sud se déroulent, cette fois, sans nouvelle visite insistante sous la coque.