Saisie record de plus de six tonnes d’ailerons de requins destinés à l’Asie
La police péruvienne a mis la main sur une cargaison colossale d’ailerons de requins entreposée dans une maison du port de Callao. Près de Lima.

Valorisé à près de huit millions de dollars sur le marché asiatique. Ce lot devait être exporté illégalement, selon les autorités. Qui évoquent une des plus grandes affaires du pays. Trois Péruviens ont été arrêtés et le chef de la brigade criminelle dénonce une pêche interdite. Visant notamment des espèces menacées.
À Callao, une cache transformée en entrepôt d’ailerons
L’opération a été menée dans une habitation de Callao, principal port du pays et voisin immédiat de Lima. À l’intérieur, les enquêteurs ont découvert des sacs remplis d’ailerons, soigneusement conditionnés pour l’export.
La saisie dépasse six tonnes, un volume rare dans la région, que les autorités qualifient d’exceptionnel par son ampleur. D’après la police, la marchandise était prête à quitter le territoire par des voies détournées. Avec destination finale en Asie, où la demande reste forte.
L’enquête a conduit à l’interpellation de trois personnes soupçonnées d’appartenir à une organisation dédiée au trafic. Les premiers éléments évoquent une chaîne bien rodée, depuis les zones de capture jusqu’au stockage clandestin. Avec un passage par des intermédiaires chargés de donner une apparence « régulière » aux envois.
Crédit : Kris Mikael Krister, CC BY 2.0
Un marché lucratif, entre soupe traditionnelle et croyances tenaces
Les ailerons servent principalement à la préparation de soupes cérémoniales. Et de concoctions auxquelles des vertus aphrodisiaques ou anti-âge sont prêtées par les croyances populaires.
Dans plusieurs pays, cette demande se traduit par une pression économique considérable sur les pêcheurs et les réseaux illégaux. La valeur annoncée de la cargaison, huit millions de dollars, en dit long sur l’enjeu financier et sur la persistance de circuits bien établis.
Ce commerce reste officiellement encadré par les législations nationales et par des accords internationaux. Mais les contrôles sont mis à rude épreuve par la fragmentation des routes maritimes et la multiplication des points de sortie.
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À Callao, la brigade criminelle s’est appuyée sur des sources de terrain, déterminantes pour remonter jusqu’à l’entrepôt. Un détail que peu de gens connaissent : ce type de saisie s’effectue souvent au moment où les lots sont déjà reconditionnés, peu avant leur départ, quand les preuves matérielles sont les plus nettes.
Crédit : Luc Viatour, CC BY-SA 3.0
Des espèces ciblées, des pratiques destructrices
Le général Manuel Lozada a décrit des captures visant des requins requiem (Carcharhinidae) et des requins marteaux (Sphyrnidae), familles parmi les plus prisées pour la qualité et la taille des ailerons.
Les individus capturés seraient amputés en mer avant que le reste du corps ne soit rejeté, une technique tristement connue pour minimiser les volumes à bord et accélérer les rotations. Ce geste, pourtant interdit dans de nombreux pays, illustre la logique implacable du trafic : vider l’océan de ce qui se monnaie le mieux.
Dans les eaux péruviennes, la diversité des squales est remarquable. Oceana y recense 66 espèces sur environ 400 dans le monde. La pression sur certaines d’entre elles, dont les requins marteaux, est documentée depuis des années, avec un déclin local qui inquiète les biologistes.
On l’oublie souvent, mais les requins occupent une place clé dans les chaînes alimentaires : leur disparition perturbe l’équilibre des populations de poissons et d’invertébrés, avec des effets en cascade sur les pêcheries artisanales et l’état des récifs.
Crédit : James J. O’Hagan, CC BY 2.5
Rappels de droit international et portée de la décision de Panama
La conférence CITES réunie à Panama en 2022 a étendu la protection à une cinquantaine d’espèces de requins menacées par le commerce des ailerons. Concrètement, cela implique des permis d’exportation stricts, voire des interdictions pures et simples pour les espèces classées. Dans le cas péruvien, la police souligne que les ailerons provenaient d’espèces « strictement interdites » à la pêche, ce qui place la cargaison dans le champ des infractions les plus graves.
Ces garde-fous internationaux ne sont efficaces que s’ils s’accompagnent d’enquêtes solides et de contrôles portuaires rigoureux. L’affaire de Callao montre que la coopération entre services et la surveillance logistique sont essentielles pour tarir les sorties. Mais saviez-vous que la traçabilité repose aussi sur des expertises morphologiques et génétiques des ailerons ? Elles permettent d’identifier l’espèce et, parfois, la zone d’origine, rendant plus difficile l’argument de l’« erreur » ou de l’« incidental ».
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Un impact écologique sous-estimé, un enjeu régional
Au-delà du choc visuel des sacs d’ailerons, l’impact est écosystémique. Les requins, prédateurs supérieurs, régulent des proies qui, sinon, peuvent proliférer et dégrader les habitats.
Dans l’est du Pacifique, la raréfaction de certaines espèces modifie déjà les comportements des bancs de poissons pélagiques. Un effet domino qui fragilise des économies côtières dépendantes de la pêche. C’est tout le paradoxe : détruire les régulateurs naturels de l’océan revient, à moyen terme, à affaiblir les ressources halieutiques dont vivent les communautés.
Rappeler ce rôle n’a rien d’idéologique : il s’appuie sur des décennies d’observation scientifique. À l’échelle planétaire, la baisse de la biomasse de grands prédateurs marins est l’un des signaux forts de la pression humaine sur les mers.
Au Pérou, carrefour halieutique majeur, l’équation est d’autant plus sensible que la pêche illégale se mêle aux captures accidentelles et aux filières d’exportation. L’affaire du 10 novembre 2025 s’inscrit dans ce contexte : un coup d’arrêt ponctuel qui, s’il se répète, peut finir par assécher des stocks autrement invisibles.
Crédit : Baycrest, CC BY-SA 2.5
Une condamnation ferme, exprimée sans excès
Les autorités péruviennes ont dénoncé « l’impact terrible » de ces pratiques sur la faune menacée. Le vocabulaire est précis, presque clinique, et c’est ce qui lui donne sa force. Opposer une position claire à ce trafic, c’est d’abord rappeler la loi et les équilibres biologiques qu’elle protège.
L’affaire de Callao ne cherche pas à moraliser les traditions culinaires ; elle constate un décalage entre des usages hérités et l’état actuel des populations de requins. Cette nuance est capitale si l’on veut convaincre plutôt que braquer.
Dans ce dossier, la fermeté ne s’oppose pas au respect des cultures : elle s’appuie sur la hiérarchie des risques. Quand une espèce bascule vers l’extinction, la règle collective doit primer sur les intérêts privés.
C’est aussi une question de cohérence internationale, à l’heure où des conventions comme la CITES engagent les États à agir. Entre Callao et les marchés asiatiques, c’est toute une chaîne d’acheteurs, d’intermédiaires et de transporteurs qu’il faut éclairer, puis responsabiliser, pour que la demande s’oriente vers des alternatives.
Crédit : marcelllo via iNaturalist, CC BY 4.0
Ce que révèle la saisie de Callao
Cette affaire résume une tension bien connue en matière d’environnement : l’extrême rentabilité de filières illégales contre la lenteur des mécanismes de contrôle. En saisissant plus de six tonnes d’ailerons interdits à la pêche, la police péruvienne frappe un maillon coûteux du circuit.
Elle rappelle aussi un principe simple : sans tolérance dans les ports, le trafic perd son point d’appui. Et la révélation qui clôt ce dossier en dit long sur l’ampleur du phénomène : selon les autorités, il s’agit de l’une des cargaisons d’ailerons les plus importantes jamais découvertes dans le pays.