La Banque centrale européenne invite les français à garder des espèces chez soi en cas d’ »instabilité majeure »
La Banque centrale européenne remet une idée très simple au centre du jeu : en période d’instabilité, rien ne remplace totalement les espèces. Dans une note au ton inhabituel, l’institution détaille ce que les crises récentes ont révélé sur nos habitudes de paiement et sur la capacité du cash à résister quand tout le reste vacille. Le message interpelle, parce qu’il va à rebours d’une décennie de transition vers le tout-numérique. Et parce qu’il s’adresse à chacun d’entre nous.
La publication s’intitule « Gardez votre calme et conservez de l’argent liquide ». Le titre résume l’état d’esprit : garder la tête froide, et garder une marge de manœuvre. La BCE ne renie pas les paiements dématérialisés, mais elle rappelle qu’ils sont vulnérables aux aléas : coupures, pannes, tensions financières ou simples mouvements de panique. Dans ces moments, le billet n’est pas seulement un moyen de paiement ; c’est aussi une assurance psychologique.
Quand l’exception devient la règle
La BCE s’appuie sur quatre chocs emblématiques. D’abord, la pandémie : début 2020, la demande de billets en euros a connu ce que l’institution appelle « une augmentation extraordinaire ». Sur une année dite « normale », environ 55 milliards d’euros en billets sont émis. En pleine crise sanitaire, l’émission nette cumulée a bondi de plus de 140 milliards. Cette accélération n’avait rien d’un caprice : à mesure que l’incertitude s’installait, les particuliers ont constitué des réserves domestiques.
Deuxième séquence : la guerre en Ukraine. Dans les pays proches du front, le déclenchement du conflit a entraîné un saut de 36 % des émissions de billets en euros. L’objectif n’était pas de spéculer : il s’agissait de sécuriser l’essentiel, de quoi s’alimenter, se déplacer, payer les services indispensables si les circuits électroniques venaient à craquer. La logique est la même : plus la situation paraît instable, plus la valeur pratique du cash augmente.
La panne espagnole, le lendemain qui panique
Troisième épisode : la panne géante survenue en Espagne au printemps 2025. Le plus frappant, note la BCE, n’est pas la panne elle-même, mais l’onde de choc du lendemain. Alors que le réseau revenait progressivement, les distributeurs ont été pris d’assaut. Les usagers voulaient reconstituer leurs stocks et, au passage, constituer un matelas de précaution. Le phénomène ne s’est pas limité aux zones touchées : les retraits ont augmenté jusque dans les régions épargnées, preuve qu’un incident local peut suffire à déclencher une réaction nationale.
Ce « lendemain qui panique » illustre une idée centrale de la note : la confiance est un capital fragile. Quand elle se fissure, l’argent liquide redevient le standard de secours. Le billet est hors ligne par nature, il n’a besoin ni de réseau ni d’électricité pour changer de main. C’est cette robustesse qui le rend utile quand tout le reste devient incertain.
La Grèce, laboratoire de la défiance prolongée
Enfin, la crise de la dette souveraine en Grèce a fonctionné comme un stress test sur la durée. À chaque épisode de turbulences politiques ou de rumeurs bancaires, la demande de cash repartait à la hausse. On ne parle pas d’un réflexe ponctuel mais d’une habitude qui s’installe et se renforce à mesure que la défiance persiste. Là encore, il ne s’agit pas de condamner la banque en ligne ni la carte, mais de rappeler qu’un équilibre entre digital et espèces est plus robuste qu’une dépendance totale à l’un seul.
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Une utilité pratique… et mentale
Dans sa note, la BCE souligne un double bénéfice du cash. Le premier est pratique : c’est un moyen de paiement universel qui fonctionne sans réseau et sans intermédiaire. Le second est psychologique : le billet est tangible, il donne un sentiment de contrôle quand les repères vacillent. Cette dimension immatérielle a des effets très concrets sur les comportements : on prévoit, on anticipe, on s’organise.
Ce « paradoxe », comme l’appelle la BCE, tient au fait que les paiements numériques n’ont jamais été aussi fluides, rapides et sûrs… tant que l’infrastructure tient. Mais les infrastructures, elles, ne sont jamais à l’abri d’un cygne noir : panne logique, incident électrique, cyberattaque, simple erreur humaine ou météo extrême. La résilience passe alors par la diversification des moyens de paiement.
Un message qui tranche avec la tendance mondiale
À l’international, la trajectoire est claire : moins d’espèces, plus de carte et de téléphone. C’est aussi vrai en Europe, où l’on paye le café par contact et les courses par smartphone. La BCE ne cherche pas à inverser cette tendance. Elle propose un complément de sécurité. Une marge de manœuvre matérielle, intime, que chacun peut constituer chez soi. La logique n’est pas d’épargner en billets, mais de disposer d’un fonds de roulement pour quelques jours si le numérique tombe à plat.
Le message peut surprendre, car il arrive au moment où se généralisent les services sans contact, la dématérialisation des démarches et l’essor des portefeuilles dans nos téléphones. Mais c’est précisément pour cette raison qu’il faut y prêter attention. Plus un système est optimisé, plus il peut devenir fragile quand une pièce maîtresse se grippe. Le cash, lui, n’a pas besoin d’écosystème pour rendre service.
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Le précédent des voisins européens
La note cite trois pays où les autorités ont déjà pris position : Pays-Bas, Autriche et Finlande. Là-bas, l’incitation à garder du liquide à domicile n’a rien d’un tabou ; elle fait partie d’une culture du risque qui valorise l’anticipation. La recommandation ne porte pas sur des montants démesurés. Elle vise à couvrir quelques jours de dépenses essentielles : nourriture, carburant, pharmacie, petits achats du quotidien, petites urgences.
En pratique, ce type d’orientation publique change peu les comportements ordinaires : on continue de payer par carte, on continue de faire ses transferts en ligne. Ce qui change, c’est la préparation à l’imprévu. Et cette préparation a un effet apaisant : moins de ruées vers les DAB, moins de paniques à chaud lors d’une interruption de service, moins de rumeurs auto-réalisatrices.
Ce que révèlent les chiffres
Les chiffres cités par la BCE racontent la même histoire, à des rythmes différents. Pendant le Covid, l’augmentation n’a pas été seulement rapide ; elle a été massive. Pendant la guerre en Ukraine, elle a été géographique, concentrée dans les pays aux frontières du conflit. Lors de la panne espagnole, elle a été réflexe, avec un pic au lendemain de l’incident. En Grèce, elle a été répétitive, revenant par vagues selon l’actualité politique.
Dans ces quatre cas, un trait commun : l’idée qu’il faut pouvoir continuer à payer même quand les systèmes numériques font défaut. Dès lors, disposer d’espèces chez soi devient une forme de réassurance. Ce n’est pas un pari contre la technologie, c’est un filet de sécurité quand la technologie a besoin de souffler.
Une recommandation sobre, mais très concrète
La BCE ne dresse pas une liste exhaustive des scénarios où le cash s’impose. Elle constate que des pannes et des turbulences surviennent, et que leurs effets sont amplifiés si les ménages n’ont aucune alternative sous la main. Elle invite donc à raisonner en autonomie de 72 heures : c’est la fenêtre pendant laquelle on a besoin de régler l’essentiel, le temps que les réseaux redémarrent, que la logistique se réorganise, que la confiance circule à nouveau.
Cette fenêtre de trois jours sert de boussole. Elle permet de raisonner concrètement, sans dramatiser. Elle évite aussi les excès : pas besoin de stocker des sommes disproportionnées ni de déstabiliser les habitudes de paiement. Il s’agit simplement de pouvoir tenir sans stress si l’électronique nous lâche quelques heures, ou quelques jours.
Et la « grande info » dans tout ça ?
C’est sans doute le passage qui fera le plus parler. Après avoir analysé ces crises et cité les pratiques de nos voisins, la BCE en arrive à une recommandation très lisible pour le grand public : garder chez soi une somme en liquide à même de couvrir les besoins essentiels pendant environ 72 heures. Dans les pays cités en exemple — Pays-Bas, Autriche, Finlande — les autorités incitent déjà les citoyens à conserver entre _70 et 100 euros_** par personne à domicile. Autrement dit, une enveloppe modeste, mais efficace pour parer au plus pressé si l’instabilité devient majeure.