90 km/h : ces départements qui reviennent sur la limitation à 80 km/h
Depuis 2018, le passage à 80 km/h sur les routes départementales sans séparateur central cristallise les critiques. Sept ans plus tard, plusieurs collectivités ont décidé de remonter la barre à 90 km/h, mais pas n’importe où ni n’importe comment.
À la faveur d’une approche au cas par cas, validée par une étude d’accidentologie, des tronçons jugés suffisamment sûrs retrouvent leur ancienne limitation. Entre arguments de sécurité routière, contraintes budgétaires et réalités locales, voici ce qui change concrètement sur le terrain.
Pourquoi le 80 km/h divise encore
Quand la limitation à 80 km/h a été imposée en 2018 sur les routes à double sens dépourvues de séparateur central, l’exécutif mettait en avant l’objectif de réduire la mortalité. Le message se voulait simple : moins vite, moins d’accidents. Mais cette uniformité a immédiatement heurté une partie des élus ruraux et une grande majorité d’usagers, qui peinaient à reconnaître leur quotidien sur des axes tantôt rectilignes et dégagés, tantôt sinueux ou traversant des hameaux. La règle, conçue pour tout le territoire, s’est ainsi heurtée aux particularités locales, nourrissant l’idée qu’un traitement différencié serait plus efficace. C’est dans ce contexte que la loi d’orientation des mobilités votée en 2019 a ouvert la porte à un retour encadré au 90 km/h, sous conditions strictes et avec l’aval des autorités compétentes.
Cette évolution n’a pas fait disparaître le débat. Les défenseurs du 80 km/h soulignent que la vitesse demeure un facteur aggravant des accidents. À l’inverse, les partisans du 90 km/h « à la carte » notent que la baisse de la vitesse n’a pas produit l’électrochoc espéré partout et qu’une différenciation, assortie de contrôles, permet d’éviter l’arbitraire. Entre ces positions, une conviction s’impose : la sécurité routière n’est pas une religion, et l’efficacité d’une mesure dépend de son adéquation avec le terrain.
Crédit : Marc Mongenet / Wikimedia Commons.
Comment un département peut revenir à 90 km/h
Le retour à 90 km/h n’a rien d’automatique. Il passe par un processus rigoureux piloté par le Conseil départemental, appuyé sur des critères techniques et un diagnostic précis des tronçons concernés. Les services étudient l’accidentologie, la visibilité, le profil des virages, la qualité du revêtement, la présence d’intersections, la densité du trafic et les traversées éventuelles d’agglomération. Autrement dit, on ne remonte pas la vitesse parce que « ça roulait déjà vite », mais parce que la route présente des caractéristiques qui limitent le risque.
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Les axes rectilignes situés hors agglomération, avec peu de conflits d’usages et un historique d’accidents limité, deviennent les premiers candidats. A contrario, les zones réputées dangereuses, encaissées, jalonnées de carrefours fréquents ou bordées de villages, restent plafonnées à 80 km/h. L’exemple de l’Eure illustre cette méthode : une campagne d’analyse a été engagée sur des centaines d’itinéraires pour déterminer, preuves à l’appui, où un relèvement à 90 km/h peut s’appliquer sans dégrader la sécurité. Cette approche graduée, presque chirurgicale, s’inscrit dans l’esprit de la loi : adapter la norme à la réalité, et non l’inverse.
Crédit : Marc Mongenet / Wikimedia Commons.
Changer les panneaux : un coût discret… mais bien réel
Derrière la décision politique, il y a la facture. En 2018, l’abaissement généralisé avait exigé le remplacement d’environ 20 000 panneaux, pour une note nationale estimée entre 6 et 12 millions d’euros. Ce ne sont pas tant les équipements eux-mêmes, facturés entre 30 et 80 €, que la pose – le poste le plus lourd – qui pèse, autour de 200 à 250 € par unité. Lorsqu’un département décide aujourd’hui de revenir à 90 km/h, il finance cette marche arrière sur ses propres deniers : pas de coup de pouce automatique, ni de caisse magique.
Les exemples récents donnent une idée des ordres de grandeur. En Haute-Vienne, la révision d’environ 10 % du réseau a été chiffrée à 200 000 €. Dans le Puy-de-Dôme, le retrait des panneaux « 80 » a représenté 50 000 €, soit 0,17 % du budget routier annuel. Le Morbihan, qui a relevé en juin 2025 la vitesse sur 344 km de routes, évoque une enveloppe d’environ 180 000 €. Ces montants, modestes à l’échelle d’un exercice budgétaire, rappellent toutefois que chaque décision d’implantation implique du matériel, des équipes, un calendrier et, souvent, des arbitrages.
Crédit : Sebleouf / Wikimedia Commons.
Les départements passés à 90 km/h sur tout leur réseau
Huit départements ont déjà franchi le pas pour la totalité de leurs routes départementales éligibles. Puy-de-Dôme, Aveyron, Allier, Corrèze, Creuse, Cantal, Ardèche et Eure (ce dernier ayant programmé l’application en 2026). Cette bascule intégrale découle d’un travail préparatoire dense. Inventaires de tronçons, retours d’expérience depuis 2018, échanges avec les acteurs locaux. Et validation au sein des commissions dédiées. Mais ce mouvement ne concerne pas toute la France. Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne ne disposent d’aucune route correspondant aux critères. Et restent donc en dehors du dispositif.
Ce « tout 90 km/h » a un avantage évident pour les usagers : réduire l’incertitude. Lorsque l’intégralité du réseau départemental bascule, la lisibilité gagne, et la signalisation s’en trouve simplifiée. Reste que cette option suppose un maillage d’axes comparables, souvent ruraux, où la cohérence d’ensemble prime. C’est précisément ce profil que revendiquent les départements pionniers. Qui défendent une lecture pragmatique de la limitation de vitesse. Quand la route s’y prête, la cohérence serait de revenir à 90 km/h.
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Crédit : Marc Mongenet / Wikimedia Commons.
Ceux qui relèvent la vitesse… mais seulement par sections
La majorité des territoires ont opté pour une remontée partielle, ciblée. Lozère, Orne, Yonne, Côte-d’Or, Seine-et-Marne, Doubs, Meuse, Haute-Marne, Sarthe, Marne, Loiret, Haute-Saône, Maine-et-Loire, Charente, Calvados, Haute-Vienne, Nièvre, Tarn, Gers, Hérault, Jura, Morbihan, Cher, Loir-et-Cher, Hautes-Alpes, Indre-et-Loire, Dordogne, Eure-et-Loir, Deux-Sèvres, Vosges, Charente-Maritime, Mayenne, Hautes-Pyrénées, Aube, Indre, Vienne, Var, Isère, Saône-et-Loire, Haute-Loire, Alpes-de-Haute-Provence, Bas-Rhin, Tarn-et-Garonne, Haut-Rhin ont choisi d’appliquer le 90 km/h sur des itinéraires précis. Plutôt que de tout relever en bloc. L’idée est simple. Privilégier les axes où la remontée de vitesse ne dégrade pas la sécurité. Et maintenir ailleurs le 80 km/h.
Pour l’automobiliste, cela impose de redoubler d’attention à la signalisation. Les alternances 80/90 km/h peuvent se succéder, surtout près des intersections et des entrées d’agglomération. Mais saviez-vous que certaines collectivités ont également profité de ces ajustements pour revoir d’autres paramètres ? Le reprofilage localisé d’un virage, la sécurisation d’un carrefour. Ou l’amélioration des accotements peuvent accompagner le changement de panneaux, de manière à consolider la cohérence globale de la mesure. Ce détail, que peu de gens connaissent, montre que la politique de vitesse s’articule souvent avec de petites interventions, parfois plus déterminantes que les chiffres inscrits sur les panneaux.
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Crédit : Grondin / Wikimedia Commons.
Ce qu’il faut retenir avant de reprendre la route
Dans les départements qui ont relevé la vitesse, la recommandation reste la même : se fier aux panneaux en toutes circonstances. Un axe à 90 km/h peut redevenir 80 km/h à l’approche d’une intersection, d’un village ou d’une zone plus exposée. À l’inverse, un tronçon longtemps limité à 80 km/h peut désormais afficher 90 km/h après réévaluation. L’important n’est pas d’anticiper ce que « devrait » être la règle, mais de lire ce qu’elle est effectivement sur place.
Pour les départements, l’enjeu est double : retrouver de la fluidité là où le réseau le permet, et maintenir la vigilance là où la densité d’usages ou la configuration des lieux l’exige. Les coûts de pose et de dépose des panneaux rappellent que chaque ajustement a un prix, mais les exécutifs locaux assument ce choix au nom d’une meilleure adéquation entre limitation de vitesse et risques réels. Et la saison joue aussi : à l’approche de l’hiver, visibilité réduite et chaussées froides peuvent inviter chacun à adapter sa conduite, même à 90 km/h. La règle ne remplace pas le jugement : elle le guide.
La vraie révélation, c’est qu’en dépit du bruit médiatique, le retour au 90 km/h se fait sans grand soir : il avance par tronçons, par étude d’accidentologie, par budgets maîtrisés, et selon les caractéristiques locales. Et ce détail que l’on oublie parfois : quatre départements d’Île-de-France (Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne) ne sont tout simplement pas concernés, faute de routes répondant aux critères, tandis que l’Eure a acté un rétablissement généralisé… mais au début de 2026 seulement