« En dépression du post-partum, elle étouffe ses jumelles de trois mois avec leur doudou » : le procès s’ouvre à Bordeaux
Un dossier glaçant arrive ce mercredi à la barre de la cour d’assises de la Gironde. Une mère de 37 ans, en dépression du post-partum, est jugée pour l’étouffement de ses jumelles de trois mois.
Elle reconnaît des gestes commis au moment de la sieste, mais conteste toute intention de tuer. Au cœur des débats, des autopsies qui concluent à une asphyxie par suffocation et une question lourde : jusqu’où la maladie mentale pèse-t-elle sur la responsabilité pénale.
Le drame de Lamarque, chronologie d’un après-midi qui bascule
Le 19 décembre 2022, dans la commune de Lamarque en Gironde, la jeune mère installe ses deux bébés pour la sieste, vers midi. L’ordinaire d’un foyer s’installe, silencieux. Près de quatre heures plus tard, elle découvre qu’Ambre et Emma ne respirent plus.
Au téléphone, la panique affleure dans une phrase répétée, presque mécanique : « c’est ma faute ». Les secours sont alertés, des voisins interviennent et prodiguent des gestes de réanimation jusqu’à l’arrivée des pompiers. Ambre est déclarée morte sur place. Emma décède quelques heures plus tard au CHU de Bordeaux.
Cette séquence serrée dans le temps, avec ce silence de l’après-midi qui s’éternise, deviendra un axe central du procès. Elle dit l’isolement, la fatigue, mais aussi la matérialité des gestes. Car si la mère admet avoir posé un doudou sur le visage de ses jumelles, elle nie l’intention d’ôter la vie. Le dossier, lui, raconte autre chose, plus précis, plus implacable.
Crédit : GFreihalter, CC BY-SA 3.0
Une mère sous traitement, un suivi en hôpital de jour, des signaux qui s’accumulent
Deux semaines auparavant, la trentenaire sortait de l’unité mère-enfant du centre hospitalier Charles-Perrens à Bordeaux, après deux mois d’hospitalisation pour dépression du post-partum. Elle poursuivait un suivi en hôpital de jour, avec traitement. Dans ses messages, un appel au secours affleure : « il me faut de l’aide », écrit-elle début octobre à son mari, redoutant de « faire une connerie » ou de devoir « faire adopter » ses enfants.
Ce type de formulation revient souvent dans les dossiers où l’épuisement maternel serre l’étau, entre nuits hachées, pleurs, et culpabilité. Mais saviez-vous que ces SMS, replacés dans une chronologie psychiatrique, pèsent parfois autant que des expertises complètes au moment d’évaluer la dangerosité immédiate au domicile ?
Les jours précédant le drame, les recherches internet listées dans la procédure attestent d’une inquiétude diffuse et d’une quête de solutions radicales ou administratives. Elles évoquent « placer mon enfant », « faire adopter mon enfant », jusqu’à des lectures sur la mort subite du nourrisson. Rien, juridiquement, n’équivaut à un passage à l’acte. Tout, cliniquement, dessine une mère qui vacille.
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Dans la chambre des jumelles, la version des faits et l’expertise médico-légale
La version de l’accusée tient au rituel de l’apaisement : elle dit avoir posé le doudou « sur tout le visage » des deux bébés « car cela les apaise ». Elle finira par reconnaître avoir maintenu le tissu environ une minute sur chacune, en appuyant. À l’audience, cette durée, ce « une minute chacune », sera ausculté.
Une minute, à l’échelle d’un adulte, paraît courte. Sur un nourrisson de trois mois, c’est une éternité. La cour d’assises retournera sans doute ce détail comme un galet, jusqu’à sa vérité anatomique.
Les autopsies concluent à une asphyxie par suffocation. Les médecins légistes écartent l’hypothèse d’un simple objet posé sur le visage, et retiennent l’action combinée du textile avec l’occlusion totale du nez et de la bouche par une pression manuelle. C’est tout l’enjeu pénal : l’intention.
Le dossier médico-légal décrit un mécanisme incompatible avec la seule maladresse. Il dessine une volonté de maintenir l’obstruction. Entre le récit de l’accusée et les constatations des experts, le hiatus est majeur. C’est là que se joue la qualification criminelle.
Crédit : Symac, CC BY-SA 3.0
Calme apparent, chaos intérieur : la perception des témoins et l’épreuve du doute
Deux voisins, alertés par le père, racontent avoir trouvé une mère calme et détachée. Ce détail surprend souvent le public. On attend des larmes et l’effondrement. Dans les faits divers les plus tragiques, l’atonie, la sidération, la dissociation émotionnelle sont fréquentes. La justice ne juge pas un affect.
Elle s’accroche à des éléments matériels, aux expertises, aux échanges téléphoniques, aux recherches web, au timing. La défense, elle, plaidera la maladie et l’abolition partielle ou totale du discernement au moment des faits. Elle invoquera le contexte : des jumelles nées le 26 août, un accouchement récent, un état dépressif reconnu, des idées suicidaires admises par l’accusée, des soins engagés mais encore fragiles.
Ce point est crucial et souvent mal compris par le grand public. Être malade n’exonère pas systématiquement de la responsabilité pénale. Tout dépend du degré d’altération du discernement au moment précis des faits.
Si l’altération est retenue, elle peut atténuer la peine. Si l’abolition totale est reconnue, l’irresponsabilité pénale s’impose. Ici, l’accusée dit ne pas avoir voulu tuer. Les rapports d’autopsie, eux, décrivent une action consciente, prolongée, incompatible avec un simple geste d’apaisement mal maîtrisé.
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Un procès sous haute tension émotionnelle, avec ses pièges narratifs
À l’audience, chaque mot comptera. Le père, absent du domicile au moment des faits, mais prévenu par son épouse, devra déposer. Les voisins, les secouristes, les médecins légistes, les psychiatres et psychologues se succéderont.
La cour d’assises cherchera l’alignement des planètes : paroles, gestes, médecine et temps. Les jurés entendront aussi cette phrase répétée au téléphone : « c’est ma faute ». Aveu de culpabilité morale ou reconnaissance de l’acte ? La différence est ténue, mais elle est capitale en droit.
Dans ce type de dossier, l’argument de la routine apaisante cache parfois un usage d’objets inadéquats pour faire taire des pleurs vécus comme des assauts. La défense cherchera les nuances : les bébés s’endormaient-ils plus vite avec un tissu sur les yeux ? Y avait-il un geste habituel, mal compris, auquel la mère a ajouté une pression involontaire ?
L’accusation, s’appuyant sur l’expertise médico-légale, rappellera la mécanique physiologique d’une obstruction prolongée. Ce détail que peu de gens connaissent : chez le nourrisson, l’asphyxie peut survenir en quelques dizaines de secondes si les voies aériennes supérieures sont totalement occluses.
Crédit : Gzen92, CC BY-SA 4.0
Le poids du contexte psychiatrique et la question de la prévention
La dépression du post-partum reste un angle mort de nombreuses politiques publiques, alors que des unités mère-enfant, comme celle du centre Charles-Perrens à Bordeaux, existent et sauvent des situations chaque année. Ici, la mère était sortie d’hospitalisation depuis peu et poursuivait un suivi.
Le continuum de soins, entre établissement spécialisé et domicile, est toujours délicat. Entre possibilités de rechute, isolement, surcharge de tâches et culpabilité, l’équilibre est fragile. Les magistrats disposent du regard croisé des psychiatres : antécédents, traitement, dynamique des idées noires, capacité à solliciter de l’aide.
La prévention se niche aussi dans les mots. L’SMS du 3 octobre, « il me faut de l’aide », est l’un de ces signaux faibles qui deviennent décisifs lorsqu’on les relit après coup. On pense à tort que demander de l’aide est un cap facile.
C’est l’inverse. Le dire, l’écrire, revient à nommer la peur d’un dérapage. Les professionnels de santé, comme les proches, savent que ces phrases doivent déclencher des renforts. Au procès, elles pèseront en humanité. En droit, elles ne suffisent pas à expliquer le mécanisme létal relevé par les autopsies.
Le verdict se jouera sur un dernier détail médico-légal
Le droit, la psychiatrie et la médecine légale ne parlent pas la même langue, mais la cour d’assises tentera de les faire converger. La peine encourue et la qualification exacte des faits dépendront de l’intentionnalité et de l’altération du discernement.
Les autopsies livrent un point de bascule, simple et terrible, qui referme le dossier sur une réalité anatomique : la révélation principale, attendue au terme des débats, tient à ceci que la mort d’Ambre et d’Emma ne résulterait pas d’un doudou posé par accident, mais d’une obstruction complète du nez et de la bouche, maintenue par une pression de la main.