Cet appareil électronique que tout le monde jette… et qui cache de l’or 22 carats
En plein essor des déchets électroniques, une équipe de chercheurs a mis au point une méthode aussi surprenante qu’innovante pour récupérer de l’or au cœur de nos appareils du quotidien.
À partir d’un simple sous-produit laitier, ils parviennent à extraire des pépites d’or 22 carats enfouies dans nos circuits imprimés. De quoi changer notre regard sur ce que l’on balance un peu trop vite à la poubelle, en cette fin d’année 2 025.
Car derrière ce procédé se joue bien plus qu’un simple tour de chimie verte. C’est tout un modèle de recyclage de l’or et des métaux stratégiques qui pourrait basculer, avec à la clé un enjeu économique, écologique et même géopolitique majeur. Et l’appareil que nous jetons sans y penser en est la parfaite illustration.

Crédit : Pixabay.
Et si nos déchets électroniques valaient plus qu’une mine d’or ?
L’industrie électronique génère chaque année environ 50 millions de tonnes de rebuts à l’échelle mondiale. Entre ordinateurs dépassés, box, accessoires et objets connectés, cette masse de déchets forme une montagne en constante augmentation. Pourtant, ces appareils ne sont pas de simples carcasses en plastique : ils regorgent de métaux rares et de composants à forte valeur, à commencer par l’or utilisé dans les circuits pour ses qualités de conduction et de résistance à l’oxydation.
Les chiffres donnent le vertige. Une tonne de déchets électroniques peut contenir jusqu’à 400 grammes d’or, alors qu’une tonne de minerai extrait dans une mine industrielle dépasse rarement les 5 grammes. Autrement dit, la « mine » la plus rentable ne se trouve plus forcément dans les profondeurs de la croûte terrestre, mais dans les entrepôts et décharges où s’accumulent nos appareils obsolètes. Mais saviez-vous que cette richesse potentielle reste, pour l’essentiel, totalement sous-exploitée ?
Car dans les faits, près de 80 % de ces déchets échappent encore à tout recyclage structuré. Ils sont souvent acheminés vers des filières opaques, parfois à l’autre bout du monde, où l’extraction des métaux se fait dans des conditions dangereuses.
Le mercure ou le cyanure sont encore utilisés, au mépris de l’environnement comme de la santé des populations locales. Ce paradoxe est saisissant : alors que les États cherchent à sécuriser leurs approvisionnements en métaux précieux et stratégiques, des gisements prêts à l’emploi partent en fumée, au sens propre comme au figuré.
Une méthode inédite qui transforme un déchet laitier en éponge à or
C’est dans ce contexte que des chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH Zurich) ont mis au point une technologie qui bouscule les codes. Leur idée de départ est simple.
Utiliser des protéines, et en particulier celles issues du lactosérum, ce sous-produit longtemps considéré comme un déchet par l’industrie fromagère, pour capter l’or dissous dans des solutions métalliques. Là où l’on voyait autrefois un problème de traitement industriel, ils ont vu une ressource.
Le procédé consiste à transformer ces protéines en fibrilles protéiques extrêmement fines. Assemblées entre elles, elles forment une sorte d’éponge biologique, capable de retenir sélectivement les ions d’or présents dans une solution obtenue après traitement de cartes mères.
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Plutôt que de recourir à des réactifs toxiques, on laisse ainsi un matériau d’origine naturelle « faire le tri » entre les différents métaux. Ce détail que peu de gens connaissent, c’est qu’une simple protéine issue du lait peut devenir l’outil central d’un recyclage de haute précision.
Une fois l’or capturé par cette éponge protéique, l’ensemble est chauffé à haute température. Les protéines se dégradent, ne laissant derrière elles qu’un résidu métallique compact. C’est ainsi que se forment des pépites d’or 22 carats, suffisamment pures pour être revalorisées. Sans mercure, sans cyanure, sans cocktails chimiques agressifs : la méthode promet un impact environnemental bien plus faible que les pratiques actuelles.
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Des rendements surprenants et un procédé presque propre
Pour comprendre la portée de cette innovation, il faut la replacer face aux techniques existantes. L’extraction minière traditionnelle, réalisée directement dans le sous-sol, offre un rendement de l’ordre de 1 à 5 grammes d’or par tonne de minerai. Cette activité mobilise d’immenses quantités d’énergie, d’eau et de produits chimiques, tout en générant des rejets et des paysages dégradés pour des décennies. Elle reste coûteuse, lourde et de plus en plus contestée.
Les méthodes chimiques classiques appliquées aux déchets électroniques sont plus efficaces en apparence : on peut récupérer entre 300 et 400 grammes d’or par tonne de déchets. Mais ce gain n’est obtenu qu’au prix d’un impact environnemental élevé, avec des bains acides et des solvants difficiles à traiter. Le coût reste moyen, et surtout, ces procédés peinent à s’inscrire dans une logique réellement durable.
La technique imaginée à Zurich adopte une autre logique. En pratique, les chercheurs ont montré qu’il était possible d’extraire environ 450 milligrammes d’or 22 carats à partir de 20 cartes mères.
Le volume d’or semble modeste, mais le procédé présente deux atouts déterminants : un impact environnemental faible et un coût lui aussi réduit, grâce à l’utilisation d’un sous-produit agricole abondant. On quitte la course au rendement à tout prix pour entrer dans un modèle plus résilient, où chaque gramme d’or récupéré l’est sans sacrifier la planète.
Cette approche dépasse donc la simple optimisation technique. Elle ouvre la voie à un modèle économique circulaire, centré sur la valorisation de ressources dormantes. En transformant des déchets électroniques et un résidu de l’industrie laitière en une source de valeur, ce procédé réconcilie trois exigences longtemps jugées incompatibles : rentabilité, sobriété et respect de l’environnement.

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Vers une véritable économie circulaire des composants électroniques
Pour que cette méthode change réellement la donne, elle doit s’intégrer dans une chaîne industrielle cohérente. C’est précisément ce que dessinent les chercheurs, avec un schéma qui commence dès la collecte des appareils. Il s’agit de récupérer les équipements usés, délaissés ou cassés avant qu’ils ne finissent dans les poubelles ordinaires ou dans des filières non contrôlées.
Vient ensuite le démontage manuel, une étape essentielle pour séparer les composants et isoler les cartes mères, là où se concentrent certains métaux les plus précieux.
Ces cartes sont ensuite traitées par voie protéique : on les réduit en une solution métallique dans laquelle les éponges à base de lactosérum peuvent capter l’or de manière ciblée. Le métal récupéré est alors reconditionné en lingots ou en petites pépites prêtes à être revendues ou réutilisées dans l’industrie.
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Ce chaînon centré sur l’or n’est qu’un début. D’autres métaux comme le cuivre, le palladium, le nickel ou l’argent restent présents dans ces déchets et peuvent, eux aussi, être récupérés. En combinant ce procédé biologique avec des techniques de pyrométallurgie ou d’hydrométallurgie déjà maîtrisées, il devient possible de valoriser presque intégralement certaines catégories de déchets électroniques. On se rapproche alors d’une économie circulaire des composants, où les matières circulent de produit en produit au lieu d’être extraites, utilisées puis abandonnées.
Derrière ces enjeux techniques se cache aussi une dimension géoéconomique. Les métaux contenus dans les millions d’appareils dormants ou stockés dans nos tiroirs représentent un gisement alternatif de premier plan. À l’heure où l’accès aux ressources minières peut devenir stratégique, voire source de tensions, disposer de filières de recyclage performantes offre une forme d’autonomie et de sécurité supplémentaires.
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Quand l’or physique redevient un repère dans un monde instable
Cette révolution annoncée dans le recyclage ne se joue pas en vase clos. Elle s’inscrit dans un environnement économique marqué par l’instabilité géopolitique, la montée de la dette et des risques bancaires jugés systémiques par certains analystes. Dans ce contexte, l’or physique garde un statut particulier : celui d’actif tangible que l’on peut conserver en dehors du système financier traditionnel.
Lingots, pièces d’or historiques, mais aussi argent d’investissement : ces supports restent prisés des épargnants qui cherchent à diversifier leur patrimoine. Ils ne promettent pas un rendement spectaculaire, mais offrent une forme d’assurance face aux secousses des marchés ou aux changements de règles fiscales.
Selon plusieurs observateurs, l’or pourrait même, à l’horizon 2 030, redevenir la seule monnaie de confiance mondiale en cas de crise profonde des systèmes monétaires actuels.
Cet intérêt renouvelé pour les métaux précieux renforce la pertinence des technologies de recyclage. Si l’or est perçu comme une valeur refuge, la question de sa provenance devient centrale.
Pouvoir le récupérer à partir de déchets électroniques, via un procédé respectueux de l’environnement, répond à la fois à une exigence éthique et à un impératif stratégique. L’épargnant qui choisit de se tourner vers l’or physique peut alors, potentiellement, soutenir une filière plus vertueuse.
Dans le même temps, cette logique offre un levier de débancarisation partielle. En convertissant une partie de leur épargne en actifs tangibles, certains particuliers cherchent à se protéger d’une volatilité jugée excessive des produits financiers complexes, qu’il s’agisse d’actifs numériques ou de produits dérivés déconnectés de l’économie réelle.
Le lien entre un lingot issu du recyclage et un vieux circuit imprimé n’est pas seulement symbolique : il illustre une manière différente de créer et de stocker la valeur.
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L’appareil que nous jetons sans réfléchir… et qui cache ce trésor discret
En filigrane de cette histoire, il y a donc cet appareil électronique que nous avons tous déjà jeté, oublié dans un carton ou relégué au fond d’un tiroir.
Derrière sa façade banale se cache une carte mère, et sur cette carte mère, une fraction de ce métal jaune que les chercheurs parviennent désormais à extraire autrement. Ce sont précisément 20 cartes mères de ce type qui permettent d’obtenir environ 450 milligrammes d’or 22 carats, grâce aux éponges protéiques issues du lactosérum.
Pris isolément, ce chiffre peut sembler dérisoire. Mais multiplié par des millions d’appareils, il révèle l’ampleur d’un gisement que nous laissons filer chaque année dans nos poubelles.
En comprenant que cet objet du quotidien renferme, au sens propre, de minuscules pépites, on change de regard sur nos habitudes de consommation et de tri. L’appareil électronique que nous jetons tous n’est plus un simple déchet : c’est une petite part d’une réserve stratégique, que la science commence à nous apprendre à récupérer sans abîmer davantage la planète.