Un locataire ne rend pas les clefs à temps : cette décision qui bouscule la fin de bail
La question paraît simple, mais elle empoisonne beaucoup de relations entre locataire et propriétaire. Faut-il continuer à payer un loyer quand le contrat a pris fin, mais que les clefs n’ont pas encore été rendues ?
Dans un arrêt récent, la plus haute juridiction française a apporté une réponse qui en surprendra plus d’un. Et surtout, elle rebat les cartes sur ce que signifie vraiment « mettre fin à un bail ».
Dans cette affaire jugée à l’automne 2024, un couple avait donné congé dans les règles. Mais les clefs n’avaient pas été restituées au moment prévu. Le bailleur a donc réclamé des loyers sur plusieurs mois supplémentaires… Avant que la Cour de cassation ne vienne totalement changer la tournure du dossier.
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Une fin de bail plus piégeuse qu’il n’y paraît
La fin de bail est souvent vécue comme une formalité. On envoie un courrier, on fixe un état des lieux. On rend les clefs et chacun reprend sa route. En pratique, c’est l’un des moments les plus sensibles d’un bail d’habitation. Parce que tous les droits et devoirs s’y cristallisent.
Le locataire doit respecter un préavis, continuer à payer son loyer jusqu’à son expiration, remettre le logement en bon état. Et procéder à la remise des clés au terme du contrat. Le propriétaire, lui, doit organiser l’état des lieux de sortie, restituer le dépôt de garantie. Et parfois déjà préparer une nouvelle mise en location. Tout retard ou maladresse peut alors se transformer en litige locatif.
En théorie, une fois le préavis terminé et les clefs rendues, les obligations contractuelles des deux parties prennent fin. Mais la pratique ne colle pas toujours à ce scénario idéal. Certains partent précipitamment sans organiser correctement la restitution. D’autres laissent un jeu de clés « au cas où », ou restent quelques jours de plus pour terminer un déménagement. C’est dans ces zones grises que les conflits s’installent.
Quand l’absence de remise des clés met le feu aux poudres
Dans le dossier qui est remonté jusqu’à la Cour de cassation. Un couple de locataires donne son congé en novembre 2014. Autrement dit, ils notifient officiellement à leur propriétaire qu’ils souhaitent mettre fin au bail. À ce stade, le calendrier est posé. Le préavis court, la date de départ est connue et chacun sait, en principe, quand le logement doit être libéré.
Le bailleur soutient toutefois que les clefs n’auraient été restituées qu’un an plus tard, en décembre 2015. Selon lui, cette seule circonstance suffisait à maintenir les effets du contrat et donc, l’obligation de payer le loyer. Ainsi que les charges jusqu’à cette date très tardive.
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La cour d’appel de Montpellier lui donne raison. Pour les juges de second degré, tant que les clefs ne sont pas remises en main propre au bailleur. La restitution du logement n’est pas complète. Le couple est alors considéré comme toujours lié par son bail d’habitation. Avec toutes les conséquences que cela implique. Loyer dû, charges à payer, et responsabilité sur l’usage du logement.
Cette approche, assez fréquente dans les contentieux, repose sur une idée simple. Si le bailleur ne récupère pas les clefs, il ne peut ni reprendre son bien, ni le relouer sereinement. Il serait donc logique que l’ancien occupant continue à payer comme si le bail n’avait jamais pris fin. Une logique qui, en apparence, semble plutôt favorable aux propriétaires.
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Quand la Cour de cassation casse le raisonnement des juges
Saisie de l’affaire, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rend le 12 septembre 2024 (arrêt n° 23-18132). Une décision qui va refroidir plus d’un bailleur. Elle casse purement et simplement l’arrêt de la cour d’appel.
Les juges rappellent un principe central du droit immobilier : le congé, lorsqu’il est régulièrement délivré, est un acte unilatéral qui met fin au bail à l’expiration du préavis. Autrement dit, dès que ce congé a été donné dans les formes et délais prévus, le bail d’habitation prend fin à la date annoncée, sans qu’il soit besoin d’un autre geste pour éteindre l’obligation de paiement du loyer.
La haute juridiction insiste sur un point souvent méconnu : la validité du congé ne dépend pas de la remise des clés. Ce courrier recommandé ou cet acte d’huissier constitue, à lui seul, la manifestation de volonté du locataire de mettre un terme au contrat. Une fois le délai de préavis arrivé à son terme, les obligations nées du bail cessent, en particulier celle de régler les loyers.
En d’autres termes, pour obtenir des loyers au-delà de la date de fin de bail, le propriétaire ne peut pas se contenter de dire « je n’ai pas reçu les clefs ». Il doit démontrer que le congé n’a pas été correctement donné, ou qu’il est entaché d’un vice tel que le contrat n’a en réalité jamais pris fin. À défaut, la demande de loyer supplémentaire n’a pas de fondement.
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Remise des clés, congé, loyer : ce qu’il faut vraiment distinguer
La décision du 12 septembre 2024 ne signifie pas pour autant que l’occupant qui garde les clefs est entièrement tranquille. En principe, celui qui se maintient dans les lieux après la fin du bail devient un occupant sans droit ni titre. À ce titre, le propriétaire conserve la possibilité de solliciter son expulsion et de réclamer une indemnité d’occupation.
Là encore, la nuance est importante. L’indemnité n’est pas un loyer au sens classique du terme. Elle ne repose plus sur le contrat initial, mais sur le fait que l’occupant continue à utiliser un bien qui ne lui est plus légalement loué. Elle vise à compenser l’impossibilité, pour le bailleur, de disposer librement de son logement ou de le relouer.
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La Cour de cassation rappelle donc deux choses à la fois : d’un côté, le congé met un terme au bail et au paiement du loyer à l’issue du préavis ; de l’autre, le maintien dans les lieux sans titre peut être sanctionné sur un autre terrain, celui de l’occupation injustifiée. Il ne faut pas confondre la fin des obligations contractuelles et la fin de toute responsabilité financière.
Ce détail, que peu de non-juristes connaissent, explique pourquoi la haute juridiction peut, dans la même affaire, refuser des loyers supplémentaires tout en laissant la porte ouverte à une demande d’indemnité d’occupation. L’un relève du contrat de location, l’autre d’une situation de fait : quelqu’un occupe un logement alors qu’il n’en a plus le droit.
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Ce que cela change concrètement pour les locataires et les propriétaires
Pour les locataires, cet arrêt apporte une forme de sécurité juridique. Si le congé est donné correctement, dans les délais et formes requis, le paiement du loyer cesse à l’expiration du préavis, même en cas de cafouillage dans la remise des clés. Cela évite de voir la facture s’allonger pendant des mois, simplement parce qu’un jeu de clefs a été rendu tardivement ou de façon informelle.
Mais la décision ne doit pas être lue comme un blanc-seing. Un occupant sans droit ni titre reste exposé à une procédure d’expulsion et à une indemnité d’occupation parfois calculée sur la base d’un loyer équivalent, voire légèrement supérieur. Rester dans les lieux pour « gratter quelques semaines » n’est donc pas une bonne idée, d’autant que le conflit avec le propriétaire peut rapidement se durcir.
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Un message clair
Pour les bailleurs, le message est tout aussi clair. En cas de départ d’un locataire, le réflexe ne doit plus être de réclamer automatiquement des loyers jusqu’au jour exact de restitution des clefs. Le point de départ de toute réflexion doit être la validité du congé : a-t-il été donné dans le bon délai ? Par la bonne personne ? Avec le bon formalisme ?
Si la réponse est oui, réclamer un loyer supplémentaire au-delà du préavis a peu de chances d’aboutir. En revanche, si l’occupant reste dans les lieux, la voie de l’indemnité d’occupation demeure ouverte, à condition de démontrer ce maintien et de respecter la procédure adéquate. C’est là que le choix des mots et des demandes dans une assignation peut faire toute la différence.
Cette affaire rappelle enfin un enseignement simple : à la fin de bail, tout ce qui est flou finit devant le juge. Une date approximative de départ, une remise des clés mal organisée, un congé oral ou envoyé à la mauvaise adresse… Autant de détails qui, quelques années plus tard, peuvent coûter cher à l’une ou l’autre des parties.
Ce que la Cour a réellement tranché
Au bout du compte, la question posée à la justice était presque brutale : un locataire qui ne rend pas les clefs à la date prévue doit-il continuer à payer un loyer comme si le bail courait toujours ? La réponse de la Cour de cassation est nette : non, pas si le congé a été régulièrement donné et que le préavis est arrivé à son terme.
La simple remise des clés ne conditionne pas l’extinction des obligations contractuelles nées du bail d’habitation. Ce qui met fin au contrat, c’est l’acte de congé et le respect du délai, pas le moment précis où le trousseau change de main. Pour obtenir un loyer supplémentaire, un propriétaire doit donc prouver que le congé est invalide ou inexistant, et non se contenter de souligner un retard dans la restitution des clefs.
Rien n’empêche en revanche de réclamer une indemnité d’occupation si l’occupant se maintient dans les lieux après la fin du bail. Toute la subtilité de cette décision tient donc en une phrase : ce n’est plus la clef qui crée le loyer, mais la validité du congé qui met un point final au contrat.