Pourquoi dit-on encore « con comme un balai » ? Et ce que cachent nos autres expressions préférées
Dans la langue française, certaines tournures familières intriguent autant qu’elles amusent. Des formules comme « con comme un balai », « vieille branche » ou « faire du barouf » semblent évidentes à l’oreille, alors que leur lien avec le sens réel n’a rien de spontané.
En s’appuyant sur les éclairages d’un ouvrage récent consacré aux tournures imagées, retour sur ces expressions du quotidien que tout le monde utilise sans toujours en connaître l’histoire… jusqu’à la petite révélation finale.
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Des expressions familières qui intriguent
La plupart des locutions imagées circulent sans explication. « Con comme un balai » est de celles qui frappent immédiatement par leur côté abrupt et presque absurde. Pourquoi un balai plutôt qu’un autre objet banal du quotidien ? L’image est forte, mais le lien avec la bêtise paraît, à première vue, assez gratuit.
Ce type d’expression française fonctionne justement parce qu’il rassemble plusieurs éléments : un registre familier, voire grossier, un objet très concret, facile à visualiser, et une situation où l’on veut marquer un jugement sans détour. Le décalage entre la formule colorée et la scène qu’elle décrit suffit souvent à provoquer le sourire.
De nombreuses locutions populaires jouent ainsi sur l’exagération. Traiter quelqu’un de « bête comme ses pieds » ou de « triple buse » marque moins une évaluation rationnelle qu’une façon de souligner l’écart entre ce que la personne devrait comprendre et ce qu’elle montre réellement. L’imaginaire collectif fait ensuite le reste : une fois la formule adoptée, elle se transmet et se répète, même si son origine précise finit par se dissoudre.
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Quand les amis deviennent de « vieilles branches »
Certaines tournures affectueuses semblent plus transparentes. L’expression « vieille branche » appartient à ce registre des surnoms chaleureux qu’on réserve à ses bons amis, même très jeunes. Elle donne l’impression d’un langage un peu daté, presque sorti d’un film en noir et blanc, mais garde une tonalité familière et bienveillante.
D’après les linguistes cités, l’image renvoie à l’idée de soutien fidèle. Une branche solide, assez ancienne pour avoir résisté au temps, peut servir de bâton sur lequel s’appuyer. La métaphore se prolonge naturellement dans le domaine des relations humaines : l’ami de longue date, celui qui tient bon malgré les épreuves, devient cette « vieille branche » rassurante et stable.
Dans le même esprit, le mot « pote » dériverait de « poteau ». Là encore, l’objet évoque quelque chose de fixe et de solide, sur lequel il est possible de se reposer ou de construire. Le passage du poteau au copain illustre bien la façon dont la langue française recycle les objets les plus simples pour parler de liens affectifs, d’amitié ou de loyauté, en donnant à la relation une dimension presque physique.
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« Faire du barouf » : du procès italien au boucan nocturne
L’expression « faire du barouf » appartient à ces tournures qui semblent spontanément liées au bruit. Elle s’emploie pour désigner des nuisances sonores très concrètes – des voisins trop agités, une fête qui se prolonge jusqu’au petit matin – mais aussi, au figuré, une agitation médiatique autour d’un livre ou d’un film.
D’après les spécialistes, le mot a connu un long voyage. Il viendrait de l’italien « baruffa », qui désignait à l’origine un « procès » ou une « querelle confuse ». Ce terme est ensuite passé dans un sabir méditerranéen mêlant plusieurs langues, où il a pris le sens de « bagarre ». De là, il se serait installé en français au XIXᵉ siècle, avant d’évoluer vers l’idée de grand vacarme.
L’évolution paraît logique : une bagarre se déroule rarement dans le silence. En quelques étapes, le mot s’est donc éloigné de l’univers juridique et conflictuel pour ne garder que la perception sonore de la scène. Aujourd’hui, « faire du barouf » permet aussi bien de décrire un tapage nocturne que l’emballement autour d’un prix littéraire ou d’un scandale, lorsque tout le monde veut se faire entendre en même temps.
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Quand l’âge « prend de la bouteille »
Autre tournure imagée très répandue : « prendre de la bouteille ». L’expression sert à évoquer le temps qui passe, l’expérience acquise, parfois aussi les premières rides. Elle peut être employée avec tendresse pour souligner la maturité d’une personne, ou avec un léger sourire lorsqu’il est question de l’âge qui avance.
Selon les linguistes, son origine remonterait à une coutume antique. Dans la Rome ancienne, les anniversaires pouvaient être célébrés en s’offrant des amphores de vin. Chaque année de plus s’accompagnait symboliquement d’un nouveau récipient. « Prendre de la bouteille » signifiait donc, très concrètement, accumuler plusieurs amphores au fil des années.
Cette image d’empilement s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui, même si plus personne n’aligne d’amphores dans son salon pour compter les anniversaires. Le lien entre âge et flacons de vin reste néanmoins parlant : il suggère l’idée de maturation, comme si la personne vieillissait un peu à la manière d’un bon cru. La formule permet ainsi de parler de l’avancée en âge avec une nuance de complicité plutôt qu’avec gravité.
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« Rouler quelqu’un dans la farine » : entre tromperie et maquillage
La formule « rouler quelqu’un dans la farine » relève, elle aussi, du langage familier. Elle décrit une situation où une personne est dupée, trompée, manipulée par plus habile qu’elle. La tromperie est au cœur de cette métaphore, qui ne concerne pas la pâtisserie mais bien l’art de cacher ses intentions.
Dans cette image, la farine ne sert pas seulement à cuisiner. Elle est associée à l’idée de dissimulation. Les linguistes évoquent notamment le maquillage abondant dont se couvraient jadis certains comédiens au théâtre. Les visages pouvaient être largement poudrés pour incarner un personnage, au point de rendre méconnaissable la personne qui se cachait dessous.
Transposée dans le langage courant, cette scène de théâtre devient une métaphore de la supercherie. Rouler quelqu’un dans la farine, c’est le recouvrir d’une apparence rassurante, d’un discours bien rodé, pour l’empêcher de voir ce qui se joue vraiment. En d’autres termes, lorsqu’une personne se laisse ainsi « fariner », elle ne perçoit plus la frontière entre jeu et réalité et se fait mener en bateau.
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Le mystère final de « con comme un balai »
Reste la question initiale, sans doute la plus intrigante. Pourquoi cette formule précisément, « con comme un balai », s’est-elle imposée dans le langage familier ? Après tout, un balai n’est pas plus ou moins « intelligent » qu’une casserole, un torchon ou n’importe quel autre objet du quotidien. L’association paraît presque arbitraire.
Les spécialistes expliquent que la locution ancienne était plus longue. La version d’origine aurait été « con comme un balai sans manche ». Le sens devient alors beaucoup plus clair : un balai privé de manche ne sert plus à rien, puisqu’il ne peut plus être saisi. L’objet perd toute utilité pratique, comme la personne dont on veut souligner la grande naïveté ou l’absence totale de jugeote.
Avec le temps, l’usage oral a simplifié la formule, comme il le fait souvent. La fin de l’expression française a disparu, ne laissant plus que l’image étrange du balai, dépourvue de son explication implicite. C’est cette coupure qui donne aujourd’hui à la locution son côté bizarre et un peu incohérent, tout en la rendant mémorable.
Les linguistes rappellent par ailleurs que le mot « balai » serait très probablement d’origine gauloise ou celtique. Il aurait d’abord désigné une branche d’arbre – de genêt ou de bouleau –, à partir de laquelle on fabriquait les balais eux-mêmes. Le parcours du terme résume ainsi l’histoire de nombreux mots et locutions : une réalité concrète, un usage quotidien, une image exagérée, puis, au fil du temps, une origine des expressions qui se brouille et ne subsiste plus que dans des ouvrages spécialisés.
Que retenir ?
Derrière ces tournures familières, un point commun apparaît : qu’il s’agisse de bons amis appelés « vieilles branches », d’un roman qui « fait du barouf », d’un adulte qui « prend de la bouteille » ou d’un naïf que l’on « roule dans la farine », la langue s’appuie sur des objets très concrets pour dire les relations, les bruits, l’âge ou la confiance.
Et, dans le cas de « con comme un balai », cette mécanique imagée ne se dévoile vraiment qu’en retrouvant la locution d’origine : ce balai… privé de manche, totalement inutile, qui donne enfin tout son sens à l’insulte.