Vous devriez arrêter de courir après les compliments, avertit ce psy
Et si ce réflexe de se dévaloriser pour entendre « Mais non, tu es génial·e » n’était pas aussi innocent qu’il en a l’air ?
Dans une tribune publiée sur le site « Psychology Today », le professeur Joachim Krueger, spécialiste des sciences cognitives, linguistiques et psychologiques, décortique la pêche aux compliments et ses zones grises. Derrière ce petit jeu que beaucoup pratiquent sans y penser se cache une mécanique sociale plus risquée qu’on ne l’imagine.
Ce petit jeu social qui semble anodin
Dans la vie de tous les jours, demander l’avis des autres sur son look, son travail ou sa personnalité paraît banal. On lance une phrase un peu floue, on se rabaisse à moitié, et l’on attend une réponse rassurante. C’est précisément ce scénario que décrit Joachim Krueger : une interaction en apparence légère, mais où chacun avance ses pions.
Le psychologue rappelle que les études scientifiques sur le sujet sont encore rares. Quelques travaux ont tout de même exploré ces comportements, notamment à travers ce que l’on appelle le humblebrag, cette façon de se plaindre ou de faire preuve de fausse modestie pour glisser en réalité un détail flatteur sur soi. Ce n’est pas un hasard si ce procédé revient souvent dans les conversations du quotidien : il offre une voie détournée pour obtenir une réaction positive, sans avoir l’air de la demander ouvertement.
Ce manque de données n’empêche pas le spécialiste de proposer une lecture très concrète du phénomène. Selon lui, il faut voir la recherche de compliments comme une sorte de négociation silencieuse entre deux personnes. L’une veut être rassurée ou admirée, l’autre doit décider si elle joue le jeu ou non. Et c’est là que les choses se compliquent.
Quand l’insécurité se cache derrière la recherche de validation
Pourquoi, au juste, certaines personnes ont-elles besoin de multiplier ces petites perches lancées à leur entourage ? Pour Joachim Krueger, un élément revient souvent : l’insécurité personnelle. Quand l’image que l’on a de soi vacille, la tentation est grande de chercher une validation externe pour se sentir un peu plus solide.
Ce besoin peut se manifester de façon très discrète. On évoque un travail « pas terrible » alors qu’on sait qu’il est plutôt réussi, on critique son apparence devant quelqu’un dont on espère l’approbation, on insiste sur une prétendue maladresse pour provoquer un « Mais non, tu t’en es très bien sorti ». Chaque fois, le message implicite est le même : « Dis-moi que je vaux quelque chose ».
Le psychologue souligne que ce mécanisme n’est pas forcément conscient. Beaucoup de personnes ne se rendront jamais compte qu’elles guettent constamment ce type de réponses. Pourtant, au fil du temps, cette façon de faire peut fragiliser encore davantage l’estime de soi. Plus on s’habitue à recevoir une confirmation de l’extérieur, plus il devient difficile de se sentir légitime sans ce coup de pouce verbal.
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Ce détail que peu de gens remarquent, c’est que cette stratégie ne nourrit pas l’apaisement intérieur. Elle crée au contraire une sorte de dépendance à la réaction de l’autre, avec une question obsédante en toile de fond : « Serai-je encore apprécié·e si je cesse de tendre des perches ? ».
Quand le narcissisme s’invite dans la conversation
L’insécurité n’est pourtant pas la seule explication. Joachim Krueger évoque aussi la part de narcissisme qui peut se glisser dans cette quête de reconnaissance. Certaines personnes sont persuadées qu’elles peuvent orienter subtilement les échanges pour obtenir ce qu’elles veulent entendre, sans avoir à l’assumer frontalement.
Dans ce cas, la pêche aux compliments n’est plus seulement une demande de réassurance, mais un véritable outil de contrôle social. Se montrer faussement hésitant, insister sur un prétendu défaut, jouer la carte de la vulnérabilité calculée… Tout cela vise à pousser l’autre à réagir dans le sens souhaité. On ne demande pas : « Peux-tu me dire que je suis doué·e ? ». On met simplement en scène les conditions pour que l’autre le dise de lui-même.
Le psychologue rappelle que ces motivations ne sont pas idéales pour construire des relations authentiques. Quand la conversation devient un terrain de jeu pour nourrir son ego, la sincérité recule d’un cran. L’autre n’est plus vraiment un interlocuteur, mais un miroir chargé de renvoyer une image flatteuse. À la longue, cette manière de communiquer risque de créer un décalage entre ce que l’on montre et ce que l’on ressent réellement.
Et même quand la personne visée ne se sent pas directement manipulée, elle peut percevoir une légère tension. Une impression que l’échange n’est plus totalement gratuit, qu’il y a quelque chose à « fournir » en retour des confidences ou des plaintes de l’autre.
Un jeu social stratégique… et souvent inconfortable
Pour comprendre pourquoi cette habitude peut devenir lassante, Joachim Krueger propose de la voir comme un véritable jeu social. Celui qui cherche à être complimenté lance une sorte de défi silencieux : « Vas-tu me rassurer ou non ? ». En face, la personne ciblée se retrouve devant un choix qui n’a rien d’anodin.
Si elle décide de ne pas répondre, l’interaction se termine sur une forme de vide. Celui qui attendait une parole valorisante reste sur sa faim, parfois avec le sentiment d’avoir été ignoré. Mais répondre n’est pas forcément plus simple. Donner le compliment attendu peut laisser une sensation d’obligation, voire d’agacement. Comme si l’on s’était fait subtiliser un petit morceau de temps, d’attention ou d’énergie émotionnelle.
Le psy insiste sur ce point : chaque compliment spontané représente un effort réel. Il suppose de s’arrêter un instant sur l’autre, de formuler quelque chose de précis, d’assumer ce que l’on ressent. Quand ce geste devient une sorte de passage obligé parce que l’interlocuteur multiplie les sous-entendus, il perd peu à peu sa dimension chaleureuse.
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Ce mécanisme discret explique pourquoi certaines personnes finissent par se sentir oppressées par ces sollicitations répétées. Elles n’osent pas toujours dire qu’elles se sentent piégées, mais elles peuvent peu à peu prendre leurs distances, répondre de plus en plus vaguement ou éviter certains sujets de conversation.
Quand le compliment perd sa valeur
Dans l’analyse de Joachim Krueger, un point revient comme un fil rouge : un compliment perd de sa force dès qu’il est attendu. Plus il est sollicité, plus il ressemble à une monnaie d’échange et moins il résonne réellement.
Le psychologue décrit même un monde idéal où ni la demande ni l’offre de compliments ne seraient organisées. Dans ce scénario théorique, chacun agirait, parlerait, créerait sans chercher systématiquement une réaction valorisante. Les marques de reconnaissance continueraient d’exister, mais elles surgiraient uniquement lorsqu’elles s’imposent d’elles-mêmes.
On retrouve cette idée dans la critique de la fausse modestie. Faire semblant de se rabaisser pour susciter l’admiration de l’autre brouille le message. L’interlocuteur sait qu’il est censé répondre par quelque chose de positif, mais il sent aussi que la situation est orchestrée. Le compliment qui en résulte apparaît alors moins crédible, presque automatique, comme une réplique déjà écrite à l’avance.
Or, c’est précisément la spontanéité qui donne sa puissance émotionnelle à un mot gentil. Un « J’ai adoré ce que tu as fait » lancé sans préparation, au détour d’une phrase, marque souvent davantage qu’un long discours de félicitations arraché après plusieurs minutes de sous-entendus.
Une question de respect de l’autre
Derrière ces nuances, Joachim Krueger met surtout en avant une dimension très simple : le respect de l’autre. Complimenter quelqu’un n’est jamais un geste neutre. Cela demande du temps, une attention véritable, une capacité à observer et à mettre en mots ce que l’on apprécie.
Quand une personne réclame sans cesse cette reconnaissance, elle transfère en quelque sorte cette charge sur ceux qui l’entourent. Ceux-ci doivent alors fournir régulièrement un effort qu’ils n’ont pas toujours choisi. À force, les compliments deviennent des réponses automatiques, parfois données par politesse plus que par envie. Non seulement ils sont moins satisfaisants pour celui qui les reçoit, mais ils peuvent aussi devenir une source de lassitude pour celui qui les formule.
En cette fin d’année 2025, où les réseaux sociaux et les likes semblent déjà multiplier les demandes de confirmation, le message du psychologue prend une résonance particulière. Il suggère une forme de modestie plus exigeante qu’il n’y paraît. Pour lui, la vraie humilité consiste à exprimer sa reconnaissance avec sincérité, mais avec mesure, et surtout à renoncer à pousser les autres à nous rassurer.
Autrement dit, le « bon » compliment serait celui qui n’est ni réclamé ni calculé. Il est offert comme un petit cadeau, imprévisible, volontaire, libre de toute attente en retour. C’est précisément parce qu’il échappe aux stratégies, aux tactiques et aux petites manœuvres qu’il touche vraiment.
Et c’est pour cette raison que, selon Joachim Krueger, il vaut mieux apprendre à vivre sans courir après les louanges, pour laisser place à ces rares moments où la parole positive jaillit d’elle-même, simplement parce que l’autre en a eu envie.