Le milliardaire chinois fondateur d’Alibaba se lance à Bordeaux avec la production de vin blanc haut de gamme
Dans l’Entre-Deux-Mers, le château de Sours affine sa mue. Propriété de Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, le domaine bordelais se donne une nouvelle mission. Devenir un moteur des vins blancs et des crémants à Bordeaux.
Un virage assumé, pensé sur le temps long, où la viticulture de précision. Et une vision « à la bourguignonne » redessinent chaque parcelle.
Un domaine singulier, à l’image de son propriétaire
*Au cœur de Saint-Quentin-de-Baron, le château de Sours ne ressemble à aucun autre. L’histoire du lieu, exploitation viticole depuis 1792, a connu des ères très distinctes. Longtemps surnommé « la Rolls-Royce des rosés » sous ses précédents propriétaires britanniques pour ses volumes en rosés et crémants rosés. Il a changé d’échelle en 2015 avec son rachat par Jack Ma. L’homme d’affaires chinois, disparu des radars durant trois mois fin 2020 avant de réapparaître, a d’abord transformé la propriété en vitrine d’agroécologie et de permaculture. Récemment, c’est une autre ambition qui s’affirme. Tirer Bordeaux vers le blanc et l’effervescent premium. En capitalisant sur un vignoble conduit « comme en Bourgogne », avec une logique de climats et une lecture parcellaire très fine.
Mettre le vin au centre : une stratégie assumée et premium
Arrivé en 2022, le directeur général Sébastien Jacquey, œnologue de 41 ans passé par le Canada (Clos Jordanne, Megalomaniac Winery), a reçu une feuille de route claire. « Remettre le vin au cœur du projet ». Concrètement, cela signifie repenser l’intégralité du vignoble de 200 hectares (140 hectares de vignes, dont 60 en production aujourd’hui). En adéquation avec chaque style recherché.
Ici, la précision prime. Affectation parcellaire selon les objectifs, suivi méticuleux de la maturité. Et cap affiché vers des effervescents premium qui ne seraient plus un « second choix ». Mais un premier choix assumé, « des vins médaillables et reconnaissables en tant que grand vin », insiste le dirigeant. Le message est adressé à « Monsieur Ma », comme l’appellent les équipes, qui vient régulièrement sur place dans un château totalement redécoré. Où ses propres tableaux ornent les murs.
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Production rééquilibrée et viticulture de précision
Le plan de marche est clair. Sur environ 250 000 bouteilles annuelles, l’objectif est d’atteindre 100 000 bouteilles de rouge. 100 000 de blanc et 50 000 de crémant. La commercialisation reste focalisée sur le marché chinois, portée par le réseau personnel de Jack Ma.
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La méthode, elle, se construit pas à pas. L’équipe assume des essais, des rectifications. Et cette quête d’une identité aromatique propre, née du dialogue entre les parcelles et les gestes au chai. La viticulture « à la bourguignonne » se traduit par une mosaïque de climats, une lecture précise des sols. Et l’adaptation de l’encépagement si nécessaire. Remplacer du merlot par du cabernet franc sur les zones les plus ensoleillées du plateau calcaire. Ou introduire ponctuellement des cépages comme l’alvarinho, le colombard ou l’ugni blanc. Pour servir le projet des blancs et des bulles.
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Dans l’Entre-Deux-Mers, un îlot de prospérité… et d’exigence
Ce repositionnement intervient dans un contexte délicat. La région de l’Entre-Deux-Mers est l’épicentre du vaste plan d’arrachage (2023-2025) en Gironde. Sur 100 737 hectares en production, près de 18 000 hectares sont visés par des initiatives spontanées. Ou soutenues par l’État pour faire face à la crise. Dans ce paysage, le château de Sours fait figure d’anomalie prospère.
Visuellement d’abord : vignes tirées au cordeau, palissages impeccables, vallons paysagés, jardins débordant de roses et d’hydrangéas, allées de gravillons blancs qui découpent les parcelles. Et une gentilhommière aux airs provençaux en pierres blondes issues de l’immense carrière souterraine de la propriété. L’outil technique suit : un chai dernier cri dimensionné pour accueillir le double de la production actuelle, et une « armée » de robots, au service d’une montée en gamme revendiquée.
Des bulles « grands vins », sans s’enfermer dans l’étiquette
À la cave, Clarisse Naulet, directrice technique arrivée en 2012, constate avec satisfaction l’effet de cette professionnalisation, particulièrement sur les blancs et les effervescents. L’œnologue-consultant Jérôme Barret, spécialiste des bulles (champenoises, américaines, sud-africaines, roumaines ou belges), pousse cette exigence : viser des grands effervescents dont la qualité ferait oublier l’origine.
Pas de totem ni de microcosme : la provenance importe moins que la précision, de la vigne au chai. L’approche se veut libre, y compris vis-à-vis des cadres d’appellation : s’il faut s’émanciper ponctuellement de l’AOC bordelaise pour préférer la dénomination Vin de France, plus souple sur certains assemblages ou présentations, la porte reste ouverte. Une latitude qui colle à l’esprit « la seule constante, c’est le changement », cher à l’univers d’Alibaba.
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Deux collections identitaires pour marquer le virage
Cette année, deux gammes ont été lancées, en blanc, rouge et effervescents premium, habillées de flacons bourguignons pour signifier la singularité de l’approche. La collection Quarry rend hommage aux terroirs calcaires autour de la carrière ancestrale ; en bulles, elle s’appuie sur des raisins noirs vinifiés pour viser une texture précise et une tension ciselée.
La collection MonteSours assume, elle, une production parcimonieuse et intransigeante : des bouteilles numérotées, signées par « Monsieur Ma » et ornées de l’une de ses toiles. Le tout prend la direction de la Chine, avec la volonté de surprendre et de bousculer quelques repères bordelais. Le prix suit la promesse : à 60 € le Quarry blanc, le marché français fronce encore le nez ; mais l’équipe préfère laisser le temps au vin… et aux regards.
Une philosophie : si la vigne va bien, le vin suivra
Le fil conducteur ne faiblit pas. « Si la terre va bien, si la vigne va bien, le vin sera bon », résume Sébastien Jacquey, qui défend une pratique la moins interventionniste possible à la vigne comme au chai, dans le respect du climat et de l’identité parcellaire. L’agriculture pérenne et la recherche de sérénité guident les décisions, malgré des exigences élevées, des délais serrés et des objectifs ambitieux.
Les corrections font partie de l’apprentissage, et c’est précisément dans ces ajustements que le domaine pense tenir sa différence : sculpter des vins identitaires, lisibles, capables de porter l’Entre-Deux-Mers au-delà de ses habitudes. Saviez-vous que certains grands terroirs de l’appellation, encore sous-estimés en blanc sec, n’attendent qu’un projet technique et stylistique pour se révéler ?
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Le marché, la technique, l’œnotourisme : la vision d’ensemble
Le château de Sours n’avance pas par à-coups. Si la vente reste concentrée sur la Chine, l’œnotourisme demeure un horizon possible : l’adresse possède déjà ce qu’il faut pour accueillir, avec un château redécoré au style international, un atelier d’artiste pour « Monsieur Ma », et même une salle de karaoké, clin d’œil aux invités venus de Chine. Rien ne presse toutefois : la priorité demeure au vin, et à l’assise technique qui permettra à ces blancs et ces bulles d’exister durablement dans les dégustations à l’aveugle.
En parallèle, l’œnologue-consultant Julien Belle (cabinet OenoTeam) accompagne les blancs, dans une logique où chaque parcelle parle, et où la vinification vient souligner, non masquer, les nuances. À terme, le domaine veut assumer un rôle catalyseur : être, dans l’Entre-Deux-Mers, ce « moteur » qui prouve que Bordeaux peut signer des effervescents premium capables de rivaliser hors de leur vignoble d’origine.
Que retenir ?
Ce détail que peu de gens connaissent : pour souligner sa singularité, la nouvelle gamme part en Chine… dans des bouteilles bourguignonnes, comme un manifeste visuel qui raconte, dès le premier regard, l’ambition du château de Sours.