Uranium nigérien : ce choix stratégique qui change la donne avec la France
Le régime militaire de Niamey vient de franchir une nouvelle étape dans sa reprise en main du secteur minier. Au centre des tensions, un métal aussi discret que stratégique. Devenu l’un des principaux leviers du bras de fer avec Paris.
Et derrière les déclarations de souveraineté. Un geste très concret interroge désormais autant les acteurs du nucléaire que les partenaires étrangers du pays.
Un bras de fer qui dépasse une simple mine
Depuis le coup d’État de 2023. L’uranium est devenu l’un des symboles les plus visibles de la recomposition en cours entre le Niger. Et l’ex-puissance coloniale. Pendant des décennies, l’extraction du gisement d’uranium nigérien s’est faite à travers des sociétés contrôlées. En grande partie par le groupe français Orano, héritier d’Areva.
Ce modèle reposait sur des coentreprises où l’industriel français détenait la majorité, tandis que l’État nigérien restait minoritaire. La Somaïr, Société des mines de l’Aïr, en est l’exemple le plus parlant. 63,4 % du capital pour Orano, 36,6 % pour l’État nigérien. Au fil du temps, cette répartition est devenue un sujet de contestation récurrent. Nourrissant l’idée d’un partage jugé déséquilibré des recettes tirées de l’uranium.
Avec l’arrivée de la junte au pouvoir, ce ressentiment longtemps contenu s’est transformé en ligne politique assumée. La question n’est plus seulement économique ou technique. Elle touche désormais au cœur de la souveraineté, dans un pays où l’uranium est l’une des rares ressources capables de peser sur les rapports de force internationaux.
Une filiale nationalisée au cœur du désert
À partir de 2024, le ton monte. Orano acte la perte de contrôle opérationnel sur ses trois grandes filiales minières. La Somaïr, la Cominak – fermée depuis 2021 – et le projet d’Imouraren, présenté comme l’un des plus vastes gisements au monde. Avec des réserves estimées à 200 000 tonnes d’uranium. L’entreprise française se retrouve peu à peu écartée d’un terrain où elle évoluait depuis plus d’un demi-siècle.
En juin 2025, Niamey tranche : la Somaïr est nationalisée. Cette décision fait basculer l’unique mine d’uranium encore en activité sous contrôle direct de l’État nigérien. Pour les autorités, il s’agit de corriger ce qu’elles décrivent comme une relation inéquitable. Pour Orano, c’est au contraire une expropriation unilatérale.
C’est dans ce contexte que le général Abdourahamane Tiani prononce des mots soigneusement choisis. À la télévision publique, il revendique « le droit légitime du Niger de disposer de ses richesses naturelles, de les vendre à qui souhaite acheter, dans les règles du marché, en toute indépendance ». Une formule qui sonne comme un manifeste politique autant qu’un programme économique.
Derrière cette rhétorique, un point reste longtemps flou : à qui, comment et sous quelles conditions l’uranium extrait par la Somaïr sera-t-il désormais commercialisé ? C’est précisément ce flou que le régime commence à dissiper.
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Niamey change de camp
Le bras de fer avec la France ne se limite pas aux questions minières. Il s’inscrit dans un mouvement plus large de repositionnement diplomatique. Les militaires au pouvoir ne cachent pas leur volonté de rompre avec certaines alliances traditionnelles et d’en forger de nouvelles.
Dans ce cadre, l’uranium devient une carte maîtresse. Les autorités évoquent ouvertement la possibilité de travailler avec de nouveaux partenaires comme l’Iran ou la Russie, pendant que Moscou fait savoir, dès juillet, son intérêt pour l’exploitation du uranium nigérien. Le message implicite est clair : si la France se retire ou conteste, d’autres puissances sont prêtes à prendre le relais.
Mais saviez-vous que ce changement de partenaires potentiels ne concerne pas seulement les contrats futurs ? Il s’étend aussi à la façon dont le Niger entend désormais fixer les règles du jeu, en se présentant comme un vendeur libre sur le marché international, plutôt que comme un fournisseur presque captif d’un groupe historique.
Ce repositionnement participe d’un récit plus large : celui d’un État qui ne veut plus être perçu comme simple réserve de matières premières, mais comme acteur souverain définissant lui-même les conditions d’accès à ses ressources.
Le duel se transporte devant les juges
Face à la nationalisation et à la perte de contrôle de ses filiales, Orano ne se contente pas de dénoncer la décision sur le plan politique. Le groupe, détenu à plus de 90 % par l’État français, saisit plusieurs instances d’arbitrage international pour tenter de contester les mesures prises par Niamey.
L’un de ces dossiers concerne directement la Somaïr. Saisie, une juridiction ordonne au Niger de ne pas vendre l’uranium issu de cette mine. En jeu, un stock d’environ 1 300 tonnes de concentré d’uranium, dont la valeur marchande est estimée à quelque 250 millions d’euros. Cette décision vise à figer la situation en attendant une issue juridique au conflit, afin d’éviter que le contenu du site ne disparaisse avant que les responsabilités ne soient tranchées.
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Pour le Niger, cette bataille judiciaire est perçue comme une extension du bras de fer politique. Les autorités dénoncent une tentative d’entrave à leur capacité à monétiser des ressources présentes sur leur sol. Pour Orano, au contraire, il s’agit de faire respecter le droit et les engagements contractuels, qui auraient été brutalement rompus.
Ce détail que peu de gens connaissent, c’est que cette suspension de vente place le pays dans une forme de impasse : d’un côté, un stock de grande valeur économique ; de l’autre, une décision de justice qui en bloque l’écoulement. C’est précisément ce blocage que les dernières annonces de Niamey viennent bousculer.
Ce que cette décision révèle vraiment
En déclarant que « le Niger, digne, met sur le marché international sa propre production », la télévision d’État donne enfin le contenu concret de la nouvelle ligne défendue par le général Tiani. Le régime ne parle plus seulement de souveraineté, il annonce clairement qu’il va vendre lui-même l’uranium produit par la Somaïr à « qui souhaite acheter », selon les règles du marché.
Ce choix a plusieurs implications. Il signifie d’abord que le Niger entend se présenter comme un fournisseur autonome, libre de négocier ses contrats avec des clients divers – existants ou nouveaux – sans être limité par l’historique de sa coopération avec la France. Dans un contexte mondial où la souveraineté énergétique redevient un sujet central, la capacité à contrôler une ressource aussi stratégique offre au régime un puissant argument politique.
Il envoie ensuite un signal aux autres investisseurs étrangers : le rapport de force a changé. En assumant de reprendre la main sur la commercialisation de l’uranium, Niamey renverse le schéma dans lequel le partenaire industriel maîtrisait l’essentiel du processus, de l’extraction à la vente.
Les futurs acteurs intéressés par le sous-sol nigérien devront composer avec un État plus exigeant, plus interventionniste et prêt à trancher unilatéralement en cas de désaccord.
Que retenir ?
Enfin, cette annonce pose une question sensible : comment concilier cette volonté de vendre l’uranium avec la décision du tribunal qui avait précisément demandé au Niger de ne pas toucher au stock de la Somaïr ? C’est là que la « révélation » prend tout son relief.
Car en choisissant d’affirmer publiquement qu’il met sur le marché international l’uranium produit par la Somaïr, le régime nigérien acte de fait une rupture avec la France et avec Orano, mais aussi une forme de défi ouvert à l’arbitrage international.
Concrètement, cela revient à annoncer que les quelque 1 300 tonnes de concentré stockées sur le site – évaluées à environ 250 millions d’euros – seront mises en vente malgré l’injonction de ne pas les commercialiser. Une décision qui pourrait bien transformer un contentieux économique en véritable test de la capacité du Niger à imposer sa lecture de la souveraineté face aux règles du jeu global.