Si vous êtes né à cette saison, la « science » dit que vos chances d’atteindre 100 ans grimpent
Et si tout se jouait plus tôt qu’on ne le pense, bien avant les choix d’hygiène de vie ou les progrès de la médecine. Une piste inattendue revient dans la littérature scientifique : la saison de naissance. Des chercheurs ont mis en évidence un signal statistique intriguant.
Sans rien promettre, il suggère que notre mois de naissance pourrait peser, un peu mais vraiment, sur la longévité. Alors, est-ce qu’une simple page du calendrier peut faire la différence quand on rêve de souffler sa centième bougie ?
Une piste étonnante venue des archives
L’hypothèse ne date pas d’hier, mais elle a été reprise avec sérieux par une équipe de l’Université de Chicago, dans une étude publiée dans le Journal of Aging Research. Les scientifiques ont remonté le temps pour suivre plus de 1 500 centenaires américains, nés entre 1880 et 1895. En comparant ces profils au reste de la population, une anomalie saute aux yeux : une surreprésentation des naissances à l’automne. À l’inverse, les mois de mars, mai et juillet affichent environ 40 % de centenaires en moins dans ces cohortes anciennes.
Pour démêler ce qui tient de la génétique ou de l’environnement, les auteurs ont mené un travail astucieux : comparer ces centenaires à leurs frères et sœurs ainsi qu’à leurs conjoints. Les fratries partagent l’enfance, les conjoints partagent la vie adulte. Si l’effet du mois de naissance résiste à ces comparaisons, c’est qu’il se passe quelque chose de plus profond. C’est précisément ce que l’équipe rapporte, expliquant que l’association persiste une fois prises en compte les caractéristiques familiales communes. Autrement dit, au-delà de l’ADN et du foyer, le calendrier laisserait une empreinte durable.
Cette observation ne vaut pas pour une époque isolée. Une étude danoise parue en 2008, portant sur 7 500 personnes, converge dans la même direction : les individus nés entre octobre et décembre vivent en moyenne plus longtemps. Deux contextes, deux pays, des méthodes différentes, et pourtant un signal qui se répète. De quoi relancer la question, sans trancher trop vite, sur ce qui lie l’environnement périnatal et la santé des décennies plus tard.
Pourquoi le calendrier pèserait-il sur la santé ?
On pourrait croire à une coïncidence. Les chercheurs avancent pourtant plusieurs explications plausibles. La première tient à la température. Naître en automne, dans l’hémisphère nord, c’est souvent éviter les pics de chaleur estivale dès les premières semaines de vie, tout en échappant aux froids extrêmes qui frappent certains territoires en hiver. Cette zone de confort thermique pourrait limiter des stress précoces qui perturbent parfois la croissance ou la maturation immunitaire.
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Vient ensuite la question des infections saisonnières. Les grandes épidémies ne frappent pas au hasard. Les scientifiques rappellent que les pics de poliovirus survenaient classiquement en juillet-août. L’exposition à certains agents infectieux à des moments clés de la gestation ou des premiers mois de vie pourrait laisser des traces silencieuses, qui pèsent des décennies plus tard sur le cœur, le cerveau ou le métabolisme. Des travaux plus anciens avaient même observé, dans des cohortes particulières, une association entre des expositions saisonnières et le risque ultérieur de schizophrénie chez des personnes nées en février. Rien d’un verdict définitif, mais assez pour nourrir une prudence éclairée.
La vitamine D s’invite également dans la discussion. Sa synthèse dépend de l’ensoleillement, même si l’alimentation compte. Des femmes enceintes traversant l’hiver et le printemps auraient, dans certaines régions, un statut vitaminique différent de celles qui vivent une grossesse centrée sur l’été. L’idée n’est pas de faire de la vitamine D la clef unique, mais de rappeler que les expositions saisonnières – lumière, aliments disponibles, infections – s’additionnent et façonnent un milieu foetal puis néonatal spécifique.
Enfin, un argument plus prosaïque tient à l’alimentation. Dans des sociétés moins mondialisées, la saisonnalité dictait ce qui se trouvait dans l’assiette. Des grossesses qui culminent au cœur du printemps et de l’été, avec une naissance en automne, pouvaient coïncider avec un accès plus large à des nutriments frais. Là encore, rien d’une recette magique, plutôt un faisceau de facteurs modestes qui finissent par peser.
Des résultats cohérents… à manier avec précaution
Impossible toutefois de transformer une corrélation en destin. Naître à l’automne n’ouvre ni un boulevard automatique vers le club des centenaires, ni un passeport santé à vie. L’interprétation exige de la nuance, d’abord parce que les cohortes historiques étudiées ont vécu un contexte radicalement différent du nôtre : autre exposition aux maladies infantiles, autre alimentation, autre prise en charge médicale. Ensuite parce que l’écart observé, même s’il est net, reste modeste au niveau individuel. C’est un avantage statistique, pas une promesse personnelle.
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Les auteurs ont cependant pris soin de réduire certains biais, en comparant les centenaires à leurs proches. Le fait que l’association survive à ces contrôles renforce l’idée d’un effet saisonnier durable. D’autres travaux viennent pointer la même direction. Le professeur David G. Phillips, dès les années 1990, s’était penché sur les liens entre mois de naissance et pathologies cardiaques. Depuis, plusieurs publications ont repris le fil, sans parvenir à un consensus total, mais en installant l’idée qu’un signal existe, discret et têtu.
Dans la France d’aujourd’hui, le décor a changé, mais la question garde du relief. Le pays comptait 31 000 centenaires en 2025 selon l’INSEE, et près de 90 % d’entre eux sont des femmes. La démographie de la longévité n’est donc pas neutre : elle mélange biologie, sociologie et chance, avec une part d’inégalités de santé qui se joue bien avant la retraite. On comprend alors pourquoi ces études sur la naissance intéressent autant la prévention : elles montrent que la trajectoire se dessine parfois très tôt, sans jamais enfermer qui que ce soit.
Ce que cette corrélation change – et ce qu’elle ne change pas
Qu’y a-t-il à faire de ces chiffres ? D’abord, résister à la tentation de l’astrologie health-washing. La saison de naissance n’est pas une baguette magique, ni un alibi pour relâcher les efforts sur le sommeil, l’activité physique, l’alimentation, la vaccination ou le suivi médical. Les données suggèrent un petit coup de pouce lié à des expositions précoces, pas un régime d’exception pour les uns et une fatalité pour les autres.
Ensuite, ces travaux rappellent une réalité souvent oubliée : les conditions de la gestation et des premiers mois de vie comptent énormément. Dans des systèmes de santé modernes, cela plaide pour des politiques qui protègent mieux la maternité, la nutrition et l’environnement des tout-petits. Réduire les infections respiratoires saisonnières, améliorer la qualité de l’air intérieur, renforcer l’accompagnement prénatal dans les périodes les plus sensibles : autant d’actions concrètes qui peuvent, à l’échelle d’une population, allonger la vie de milliers de personnes.
Enfin, il faut mesurer ce que ces études disent du hasard. Une partie de nos chances se joue sans nous, avant même notre premier cri. L’important est de ne pas fétichiser ce hasard, mais de s’en servir pour mieux cibler la prévention. On ne choisit pas sa date de naissance, on choisit en revanche ses habitudes et la qualité du système de soins que l’on soutient collectivement.
La saison qui semble donner une avance
Reste la question que tout le monde se pose depuis le début. À en croire l’étude de l’Université de Chicago, soutenue par des travaux européens, une fenêtre du calendrier se détache. Les données montrent que les personnes nées entre septembre et novembre sont statistiquement plus nombreuses à franchir le cap symbolique des 100 ans que celles nées à d’autres périodes, quand bien même des mois comme mars, mai ou juillet apparaissent moins représentés parmi les centenaires des anciennes générations. L’automne n’offre pas de garantie. Il dessine une probabilité un peu plus favorable. Dans le grand roman de la longévité, c’est un chapitre discret mais tenace qui commence parfois… au moment où les feuilles tombent.