Sucre et moral en berne : ce que révèlent deux études sur le lien avec la dépression
La consommation excessive de sucre n’agit pas seulement sur la silhouette. Fin 2025, plusieurs travaux pointent une possible association entre ce que nous mettons dans notre assiette et notre moral avec la dépression.
Deux études récentes, citées par un article de la revue « Psychology Today », suggèrent un lien entre sucres, boissons sucrées et risque accru de dépression, sans pouvoir affirmer pour autant que le sucre en serait la cause directe.
En France, la dépression n’est plus un sujet marginal. Dès 2019, le Baromètre santé de l’INPES estimait qu’environ trois millions de personnes avaient connu un épisode dépressif au cours des douze mois précédents. Quelques années plus tard, en 2025, un sondage de la Mutualité Française, de l’Institut Montaigne et de l’Institut Terram mettait en lumière un phénomène très marqué chez les 15-29 ans : un quart d’entre eux déclaraient se sentir dépressifs.
Ces chiffres interrogent forcément les médecins et chercheurs qui tentent de mieux comprendre les facteurs impliqués dans ces troubles. C’est dans ce contexte qu’un psychiatre, le Dr Peter M. Hartmann, publie le 4 novembre 2025 un long article dans « Psychology Today », où il détaille pourquoi un régime très riche en sucres ou en édulcorants artificiels pourrait contribuer à fragiliser l’équilibre émotionnel.
Selon lui, cette piste n’est pas nouvelle. Elle est apparue lorsque les scientifiques ont remarqué que les personnes atteintes de diabète présentaient, en moyenne, plus de troubles dépressifs que d’autres patients souffrant pourtant de maladies chroniques comparables. De quoi se demander si ce n’était pas seulement la maladie, mais aussi la manière dont l’organisme gère le sucre, qui pouvait peser sur la santé mentale.
Un phénomène dépressif en forte hausse chez les jeunes
Le sondage publié en 2025 sur les 15-29 ans donne un éclairage particulier à cette hypothèse. Voir 25 % des jeunes adultes se déclarer dépressifs ramène le débat au quotidien : mode de vie, sommeil, stress scolaire ou professionnel, mais aussi habitudes alimentaires. Dans cette génération, la consommation de boissons sucrées et de produits ultra-transformés reste très élevée, ce qui intrigue les chercheurs.
Pour autant, la dépression ne se résume évidemment pas à ce que contiennent les verres et les assiettes. Les spécialistes rappellent qu’il s’agit d’un trouble multifactoriel, où l’hérédité, les événements de vie, l’environnement social ou encore le rythme de sommeil jouent un rôle majeur. Mais saviez-vous que certains scientifiques considèrent désormais qu’un excès de sucre pourrait être un facteur aggravant, au même titre que la sédentarité ou la privation de sommeil ?
Les observations réalisées chez les personnes diabétiques ont servi de point de départ. Les variations brutales de glycémie sont souvent suivies d’une grande fatigue, de difficultés de concentration ou d’une irritabilité marquée. À la longue, ces fluctuations répétées peuvent altérer la capacité à gérer le stress ou les émotions. Ce terrain fragilisé pourrait, chez certains, favoriser l’installation de symptômes dépressifs.
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Le Dr Hartmann insiste toutefois sur un point : il ne s’agit pas de dire que le sucre provoquerait automatiquement un épisode dépressif. Il évoque plutôt un « terrain » plus vulnérable, au sein duquel un mode de vie riche en sucres serait un élément parmi d’autres, venant alimenter un déséquilibre déjà présent.
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Ce que montrent les nouvelles études scientifiques de 2024
Deux études scientifiques publiées en 2024 et citées par l’article de « Psychology Today » confortent cette piste. La première, menée notamment à l’université de Chengdu, s’est intéressée à l’impact d’un apport supplémentaire de 100 grammes de sucre par jour. Les chercheurs y ont constaté que cet excès était associé à une augmentation de 28 % de la probabilité de développer une dépression.
Autrement dit, les participants consommant beaucoup plus de sucre que la moyenne présentaient plus de troubles de l’humeur. Il ne s’agit là que d’une corrélation, mais ce chiffre interroge dans un contexte où les produits sucrés sont omniprésents dans l’alimentation moderne. Ce détail que peu de gens connaissent : on peut atteindre rapidement ce seuil en cumulant boissons, desserts et snacks industriels au fil d’une journée.
La seconde étude, réalisée dans plusieurs universités chinoises, s’est concentrée sur la consommation de sucres ajoutés via des boissons sucrées artificiellement. Elle conclut qu’une ingestion plus élevée de ces boissons est associée à une probabilité accrue de ressentir des symptômes de dépression. Là encore, le lien reste statistique : les chercheurs parlent d’association, pas de preuve formelle de causalité.
Ces travaux rejoignent une intuition déjà présente chez certains cliniciens : une alimentation appauvrie en nutriments, mais riche en sucres rapides, pourrait peser sur le moral à moyen et long terme. Le sucre ne serait pas le seul responsable, mais il participerait à un environnement peu favorable à l’équilibre psychique.
Un point important demeure : aucune de ces études ne permet d’affirmer qu’en réduisant le sucre, on « guérit » automatiquement une dépression. Elles montrent seulement que, dans les populations étudiées, ceux qui consomment le plus de sucre ont tendance à aller moins bien sur le plan psychologique.
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Quand le microbiote intestinal s’en mêle
Pour expliquer ce lien, le Dr Hartmann met en avant une piste de plus en plus étudiée : celle du microbiote intestinal. Ce vaste ensemble de bactéries, de champignons et de micro-organismes qui peuplent nos intestins joue un rôle clé dans l’immunité, la digestion, mais aussi dans la communication entre l’intestin et le cerveau.
Selon lui, une alimentation très riche en sucres peut déséquilibrer ce microbiote. Certains micro-organismes, qui prospèrent particulièrement dans un environnement sucré, prennent alors le dessus, au détriment d’autres espèces bénéfiques. À terme, ce déséquilibre pourrait favoriser une inflammation chronique de bas grade dans l’organisme.
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Or, plusieurs travaux évoqués par le psychiatre suggèrent qu’une inflammation persistante pourrait intervenir dans certains troubles de l’humeur. Ce n’est pas une explication unique, mais plutôt un mécanisme parmi d’autres, qui viendrait s’ajouter à des facteurs génétiques, hormonaux et psychologiques.
Le microbiote intervient aussi dans la production de certaines molécules actives sur le cerveau. En perturbant cet équilibre, un excès de sucre pourrait modifier la façon dont l’organisme fabrique ou utilise certains messagers chimiques. Là encore, on parle de pistes de recherche plus que de certitudes, mais les scientifiques suivent de très près ce champ d’étude.
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Neurotransmetteurs, pics de glycémie et montagnes russes émotionnelles
Le second grand mécanisme évoqué par le Dr Hartmann concerne les neurotransmetteurs. Le sucre, consommé en grande quantité et de manière répétée, peut perturber la production de substances impliquées dans la régulation de l’humeur, comme la sérotonine ou la dopamine. Une alimentation très déséquilibrée pourrait ainsi brouiller, au fil du temps, les signaux du cerveau.
Dans le même temps, les pics de glycémie répétés, suivis de « chutes » rapides, peuvent générer irritabilité, coups de pompe et difficultés de concentration. Beaucoup de personnes décrivent ce « brouillard » mental après un repas très sucré, ce qui ne signifie pas qu’elles soient dépressives, mais illustre comment le corps réagit à ces variations.
Lorsque ces montagnes russes se répètent jour après jour, combinées à un stress chronique ou à un manque de sommeil, elles peuvent peser sur le moral général. Chez des personnes déjà vulnérables, ce déséquilibre pourrait contribuer à l’apparition ou à l’aggravation de troubles de l’humeur.
C’est ce qui expliquerait, au moins en partie, pourquoi certains patients diabétiques présentent un risque plus élevé de troubles dépressifs, même lorsqu’ils bénéficient d’un bon suivi médical. Le sucre n’est alors qu’un élément d’un ensemble plus large, où la maladie elle-même, les contraintes de traitement et le vécu psychologique jouent aussi un rôle central.
Crédit : Wikimedia Commons / Dr William Ju (CC BY 4.0)
Faut-il arrêter le sucre pour aller mieux ?
Face à ces données, la tentation est grande de considérer le sucre comme « l’ennemi absolu ». Certains médecins recommandent effectivement de réduire la consommation excessive de sucre chez les patients souffrant de troubles de l’humeur, ne serait-ce que pour stabiliser la glycémie et améliorer l’énergie au quotidien. Mais ils insistent aussi sur le fait qu’une dépression ne se soigne pas uniquement dans la cuisine.
Les spécialistes rappellent que le traitement de la dépression repose d’abord sur un accompagnement médical, une psychothérapie adaptée, et parfois un médicament prescrit par un professionnel de santé. Dans ce cadre, travailler sur l’hygiène de vie – alimentation, activité physique, sommeil – vient plutôt renforcer les autres approches.
Une réduction progressive des produits très sucrés, des boissons sucrées et des aliments ultra-transformés peut néanmoins aider certains patients à mieux gérer leur fatigue et leurs variations d’humeur. Elle peut aussi avoir des effets bénéfiques sur d’autres aspects de la santé, comme le poids, le métabolisme ou la qualité du sommeil.
Mais ce changement doit se faire sans culpabilisation. Les experts cités par « Psychology Today » rappellent que le plaisir alimentaire garde toute sa place, et que l’objectif n’est pas de supprimer tout sucre, mais d’éviter les excès réguliers. Chez les jeunes adultes notamment, l’enjeu est davantage de reprendre la main sur ses habitudes, sans tomber dans une nouvelle forme de restriction anxiogène.
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Que retenir ?
Au final, la « révélation » des études de 2024 et de l’analyse du Dr Hartmann tient surtout dans cette nuance : le sucre ne suffit pas à expliquer la dépression, mais il apparaît désormais comme un facteur à ne plus négliger lorsque l’on parle de santé mentale. La seule certitude, à ce stade, est que l’on ne pourra jamais réduire la complexité d’un trouble dépressif à un ingrédient unique dans l’assiette – même si, petit à petit, la recherche montre que ce que nous mangeons pèse bel et bien sur notre moral.