Argent et bonheur : ce que dit vraiment la science sur le revenu « idéal »
Difficile de rester zen quand le compteur des factures s’affole et que le compte en banque plonge dans le rouge. Depuis des années, psychologues et économistes tentent pourtant de comprendre comment l’argent s’articule avec notre bonheur.
Une étude récente est même allée jusqu’à chiffrer le fameux palier à partir duquel notre bien-être ne progresse plus vraiment.
Mais la réponse n’est pas un simple montant magique. Elle dépend de votre humeur de départ, du pays dans lequel vous vivez et de la manière dont vous percevez l’argent au quotidien.
L’argent peut-il vraiment acheter le bonheur ?
On a tous grandi avec la formule « l’argent ne fait pas le bonheur ». Dans la réalité, l’expérience de la plupart des gens raconte plutôt autre chose : quand le frigo est vide, que les loyers s’enchaînent et que le moindre imprévu fait trembler, il devient très difficile de se sentir serein. Ce stress financier permanent finit logiquement par attaquer le moral.
Les chercheurs qui s’intéressent à la psychologie économique partent souvent de ce constat. L’argent n’est pas une émotion, mais il conditionne des éléments concrets de la qualité de vie : logement, nourriture, soins, transports, loisirs. Plus ces besoins de base sont menacés, plus le mal-être augmente. De là est née une idée simple, mais vertigineuse : peut-on déterminer un revenu annuel au-delà duquel, statistiquement, la vie ne devient pas vraiment plus satisfaisante ?
Déjà en 2010, Daniel Kahneman et Angus Deaton, deux chercheurs de renom, avaient tenté de répondre à cette question. Ils avaient alors identifié un premier plafond autour de 75 000 dollars par an, au-delà duquel le ressenti de bien-être quotidien ne progressait plus vraiment. Cette première conclusion a fait le tour du monde, alimentant l’idée qu’il existait un « salaire du bonheur ».
Depuis, d’autres travaux ont voulu vérifier, affiner, voire contester ce chiffre. L’une des dernières grandes enquêtes, menée en 2023, apporte une réponse plus nuancée, en montrant que ce « plafond » n’est pas le même pour tout le monde.
Une étude qui met un chiffre sur le fameux palier financier
L’étude récente ne se contente pas de relier mécaniquement revenu et satisfaction de vie. Elle s’intéresse à la manière dont chacun se sent au départ. Les participants ne sont donc pas seulement classés en fonction de leur niveau de vie, mais aussi selon leur état émotionnel initial. Ce détail change beaucoup de choses dans l’interprétation.
Les chercheurs ont ainsi observé que, pour les personnes qui se décrivent comme les moins satisfaites de leur existence, chaque hausse de revenu annuel est associée à un gain de bien-être… jusqu’à un certain point. Passé ce palier, l’effet positif de l’argent se tasse, comme si les problèmes principaux avaient été résolus, sans que la vie devienne pour autant idyllique.
Pour celles et ceux qui se disent déjà plutôt épanouis, le graphique n’a pas la même allure. Dans ce groupe, l’argent ne semble pas rencontrer de limite évidente : plus le revenu augmente, plus le niveau de satisfaction se renforce. C’est comme si l’argent venait nourrir des projets, des envies, des libertés qui étaient déjà là.
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Cette étude scientifique remet aussi en perspective le fameux 75 000 dollars de 2010. Ce montant ne serait pas totalement faux, mais plutôt incomplet.
Il décrit mieux le comportement des personnes les plus en difficulté émotionnelle que celui des individus déjà bien dans leur peau. Autrement dit, parler d’un seul chiffre valable pour tout le monde, tous pays confondus, est trop simpliste.
Crédit : Pixabay / CC0.
Pourquoi le même salaire ne rend pas tout le monde aussi heureux
Ce que l’enquête de 2023 montre, c’est que l’argent agit surtout comme un amplificateur. Si votre quotidien est dominé par la peur de manquer, la précarité, l’angoisse de ne pas pouvoir payer les factures, une progression de revenus va mécaniquement soulager cette pression. Le bien-être grimpe alors, presque par simple disparition d’un fardeau.
Mais une fois ce fardeau levé, l’histoire change. Lorsque les besoins de base sont sécurisés, la question n’est plus seulement « combien je gagne ? », mais « qu’est-ce que je fais de ce que je gagne ? ». Si vous êtes déjà entouré, soutenu, en bonne santé mentale, l’argent supplémentaire peut financer des expériences, du temps libre, des projets personnels ou solidaires. Le ressenti global devient alors plus positif.
À l’inverse, quelqu’un qui gagne correctement sa vie mais se sent isolé, stressé, ou piégé dans un travail qu’il déteste ne verra pas sa vie soudain transformée par quelques milliers d’euros de plus. L’étude suggère ainsi que, chez les personnes déjà malheureuses, l’argent a un impact limité au-delà d’un certain seuil de satisfaction, comme si la souffrance venait d’ailleurs.
On comprend mieux pourquoi deux salariés au même salaire annuel peuvent se sentir à des années-lumière l’un de l’autre. L’un a la sensation d’avoir enfin de la marge, l’autre ne voit dans son compte en banque qu’un chiffre qui ne compense ni la fatigue, ni le manque de sens de son quotidien.
Quand le pays et la culture pèsent autant que le compte en banque
Un autre élément vient compliquer l’équation : le contexte social et culturel. L’étude s’appuie notamment sur des données du Pew Research Center, qui compare le niveau de bonheur déclaré dans différents pays. Globalement, les habitants des nations les plus riches, comme les États-Unis ou l’Allemagne, se disent plus satisfaits de leur vie que ceux des pays moins favorisés économiquement.
Mais ce schéma n’est pas parfait. La France ou le Japon, pourtant considérés comme des pays prospères, affichent des scores de satisfaction étonnamment bas. Cela signifie que le pouvoir d’achat moyen ne suffit pas à expliquer comment les gens évaluent leur vie. D’autres facteurs entrent en jeu : la confiance dans les institutions, la stabilité de l’emploi, le rapport au travail, la place de la famille ou encore la façon de parler du mal-être dans l’espace public.
Les chercheurs insistent aussi sur un point souvent sous-estimé : le rapport intime à la consommation. Dans des sociétés où le matérialisme est très valorisé, le poids du regard des autres sur ce que l’on possède peut augmenter la frustration.
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À l’inverse, dans des environnements où l’argent est vu comme un simple outil, la pression pour « réussir » par la richesse est moindre, ce qui change la manière dont on vit son niveau de vie.
Ce détail que peu de gens connaissent, c’est que les comparaisons sociales pèsent parfois autant que le salaire lui-même. Se sentir « en retard » par rapport à ses pairs peut abîmer le ressenti, même avec un revenu confortable. À l’inverse, être dans la moyenne de son milieu, avec la même somme, peut sembler rassurant.
À quoi sert vraiment l’argent dans le bonheur ?
Au fil des résultats, une idée revient : l’argent n’est jamais une garantie, mais il reste un levier puissant. Concrètement, il permet d’abord de se libérer du stress financier du quotidien. Ne plus redouter chaque facture, pouvoir absorber un imprévu sans tout remettre en cause, éviter les choix impossibles entre se soigner et se loger dignement : tout cela pèse lourd dans le ressenti de bien-être.
Une fois ce socle posé, l’argent ouvre d’autres portes. Il peut offrir plus de temps pour soi, pour ses proches, pour la santé physique et la santé mentale. Et Il facilite l’accès à de meilleurs soins, à une alimentation de qualité, à des environnements de vie moins anxiogènes. Il apporte une forme de sécurité financière qui laisse de l’espace mental pour d’autres préoccupations que la survie.
Mais les chercheurs rappellent aussi qu’au-delà d’un certain point, l’argent ne fait qu’ajouter des options sans combler les manques affectifs ou relationnels. Avoir les moyens de voyager, de se divertir ou de consommer davantage ne supprime pas, par exemple, un sentiment de solitude ou un travail vide de sens. C’est là que le fantasme d’un montant miracle se heurte à la réalité humaine.
En résumé, ce n’est pas tant le chiffre en lui-même qui compte que ce qu’il permet de construire comme vie. Un même revenu peut financer une existence apaisée, centrée sur l’essentiel, ou au contraire nourrir une course permanente à « toujours plus ». Dans un cas, l’argent soutient le bonheur ; dans l’autre, il peut devenir une source d’insatisfaction supplémentaire.
Crédit : Pixabay / PabitraKaity
Alors, combien faut-il gagner pour être « vraiment heureux » ?
Reste la question qui intrigue tout le monde : si l’on devait vraiment donner un ordre de grandeur, à partir de quel revenu le bien-être cesse-t-il de grimper aussi vite ? L’étude menée en 2023 avance un chiffre, en se concentrant sur le ressenti des participants les moins heureux au départ.
Pour ce groupe-là, le confort de vie augmente nettement avec le revenu annuel jusqu’à atteindre un plateau autour de 100 000 dollars par an. En dessous de ce montant, chaque hausse contribue à alléger la pression, à sécuriser les besoins essentiels, à réduire la précarité. Au-dessus, l’effet positif se stabilise : la vie ne se dégrade pas, mais les gains de satisfaction deviennent beaucoup plus faibles.
Chez les personnes déjà épanouies, l’histoire est différente. Pour elles, les chercheurs n’observent pas de véritable plafond : plus le revenu augmente, plus la satisfaction progresse, comme si l’argent servait essentiellement à amplifier des émotions positives déjà présentes. Dans ce cas, le fameux seuil de 100 000 dollars n’est pas une limite, mais un repère parmi d’autres.
Cette fourchette ne signifie pas qu’il faudrait absolument gagner cette somme pour être heureux, ni qu’en dessous, le bonheur serait impossible. Elle montre simplement que, pour une grande partie des gens, l’argent joue son rôle le plus décisif jusqu’à ce niveau, en créant les conditions matérielles d’une vie plus libre et moins exposée aux urgences.
En fin de compte, l’étude rappelle une vérité simple : le seuil de satisfaction ne se résume pas à un nombre sur une fiche de paie. Le chiffre de 100 000 dollars donne un repère, mais il ne remplace ni les liens, ni la santé, ni le sens que chacun parvient à donner à sa vie. Le bonheur ne s’achète pas, mais l’argent peut, jusqu’à un certain point, lui ouvrir la porte.