Relance du service national : pourquoi les jeunes Français regardent de plus en plus vers la défense
Alors qu’Emmanuel Macron vient d’annoncer un nouveau « service national » volontaire et purement militaire pour les majeurs, une autre tendance se confirme discrètement depuis plusieurs mois.
Les jeunes Français s’intéressent de plus en plus aux métiers liés à l’armée et à la sécurité. Une étude menée par la plateforme d’emploi Indeed permet justement de mesurer ce glissement, aussi discret que massif.
Un nouveau « service national » qui change la donne
En annonçant un dispositif de dix mois, volontaire, « purement militaire » et pensé pour répondre aux besoins opérationnels des armées, Emmanuel Macron assume clairement le contexte. Le chef de l’État évoque les menaces russes, le risque accru de conflit et la nécessité de renforcer les moyens de la France. En filigrane, une conviction : « Notre jeunesse a soif d’engagement ».
Ce nouveau service national ne remet pas en place la conscription telle qu’elle existait autrefois. Il se veut ciblé, assumé comme militaire, et adapté aux attentes d’une génération qui cherche un cadre sans pour autant renoncer à choisir son parcours. Reste une question centrale, que l’exécutif observe de près : les jeunes suivront-ils massivement ?
Pour l’instant, il est trop tôt pour mesurer l’impact concret de cette annonce sur les inscriptions. Mais un autre indicateur, déjà disponible, donne une idée du mouvement à l’œuvre. C’est du côté des offres d’emploi et des recherches en ligne que les premiers signaux apparaissent.
Une jeunesse en quête de sens… et de stabilité
Selon une étude réalisée par Indeed en juin dernier, l’intérêt des jeunes Français pour les métiers de la défense ne date pas de la seule déclaration présidentielle. La tendance est apparue après l’invasion de l’Ukraine, puis s’est installée dans la durée. Le conflit a visiblement rebattu les cartes dans la manière de percevoir ce secteur.
Loin de l’image poussiéreuse d’une armée réservée à quelques profils très spécifiques, les métiers de la défense sont désormais perçus comme une façon concrète de protéger la population, les valeurs démocratiques et le mode de vie. Pour des candidats en quête de sens, cette dimension joue un rôle important, presque autant que la sécurité de l’emploi ou la rémunération.
Il y a aussi la question de la stabilité à long terme. Dans un contexte économique marqué par l’incertitude, un secteur qui recrute, affiche des besoins identifiés et se projette sur plusieurs années devient naturellement attractif. Beaucoup de jeunes regardent désormais la défense comme un champ de carrière possible, là où elle n’était qu’un recours secondaire il y a encore quelques années.
L’industrie de défense, longtemps persona non grata
Pendant longtemps, l’industrie de défense a traîné une réputation compliquée. Pour une partie de l’opinion, elle était associée avant tout à la fabrication d’armes, aux conflits lointains et à des considérations éthiques sensibles. Les critères ESG – environnement, social, gouvernance – l’ont d’ailleurs souvent tenue à distance des portefeuilles d’« investissement responsable ».
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Indeed rappelle que ces entreprises étaient fréquemment exclues de certaines stratégies d’investissement, au profit de secteurs jugés plus vertueux. Résultat : une image peu séduisante pour les jeunes diplômés, qui privilégiaient d’autres domaines, comme le numérique, la santé ou les énergies renouvelables.
La guerre en Ukraine a brutalement changé cette grille de lecture. Les investisseurs, mais aussi le grand public, redécouvrent que ces acteurs jouent un rôle central dans la protection des sociétés. Cette bascule est visible en Bourse, où les valeurs de la défense ont fortement progressé depuis 2022. Mais elle se voit aussi dans les choix de carrière des candidats, qui n’hésitent plus à explorer ces opportunités.
En se présentant désormais comme des « protecteurs des démocraties » plutôt que comme une industrie du passé, ces groupes se replacent dans une narration beaucoup plus acceptable. Pour les jeunes qui veulent concilier utilité sociale et carrière solide, c’est une porte d’entrée inattendue.
Des métiers hyper-techniques, bien au-delà de l’uniforme
Autre élément qui explique cet engouement : la variété des métiers proposés. Les données d’Indeed montrent que les grandes entreprises du secteur embauchent d’abord dans l’ingénierie et l’informatique, mais aussi dans le management. Autrement dit, la défense ne se résume plus aux postes en treillis.
Les ingénieurs, techniciens et développeurs participent au maintien en condition opérationnelle de systèmes complexes : avions de combat, navires, systèmes embarqués de dernière génération, radars, réseaux de communication. Ils travaillent en coulisses, mais leurs compétences sont essentielles pour garantir la fiabilité des matériels utilisés sur le terrain.
Ces profils alimentent aussi la R&D dans des domaines très pointus, comme l’imagerie satellitaire, la cybersécurité, la navigation par satellite ou l’observation de l’espace. Des secteurs où les frontières entre usages militaires et civils sont de plus en plus poreuses. Ainsi, les technologies développées pour sécuriser les communications stratégiques peuvent être réutilisées dans les services du quotidien.
Indeed souligne par exemple le rôle d’emplois comme ingénieur logiciel ou ingénieur intégration. Ces spécialistes conçoivent des flux de données sécurisés et des architectures robustes, utilisées à la fois dans les équipements militaires et dans des services grand public, qu’il s’agisse de la météo, des communications cryptées ou des systèmes de guidage type Galileo ou GPS.
Quand la défense se rapproche du quotidien des Français
Ce lien entre technologies de défense et usages civils est souvent méconnu. Pourtant, il explique en partie pourquoi certains candidats, parfois peu attirés par l’uniforme, se tournent malgré tout vers ce secteur. Ils y voient un terrain d’application de leurs compétences techniques, avec un impact concret sur la sécurité mais aussi sur la vie de tous les jours.
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Un ingénieur en traitement d’images ne travaille pas uniquement pour repérer des objectifs militaires : ses algorithmes peuvent servir à améliorer l’observation de phénomènes climatiques. Un spécialiste des réseaux sécurisés ne protège pas seulement des communications sensibles : il contribue aussi à renforcer la résilience de services numériques utilisés par des millions de personnes.
Ce détail, que peu de gens connaissent encore, change progressivement la manière dont les jeunes diplômés jugent ces entreprises. Ils les perçoivent moins comme un univers fermé sur lui-même, et davantage comme un écosystème technologique complet, où l’on peut évoluer, se spécialiser et transférer ses compétences vers d’autres secteurs en cas de besoin.
Un marché de l’emploi dopé par le réarmement européen
Cette transformation d’image n’aurait cependant qu’un impact limité si la demande n’était pas au rendez-vous. Or c’est tout l’inverse. La hausse de l’effort budgétaire en faveur de la défense, en France comme chez plusieurs voisins européens, a déclenché un véritable renouveau industriel.
Indeed observe que les offres d’offres d’emploi publiées par les plus grandes entreprises de défense en Europe progressent plus vite que le reste du marché du travail. Autrement dit, les besoins de recrutement y augmentent plus rapidement que dans la moyenne des autres secteurs. Ce décalage confirme que la défense est devenue un moteur important de la dynamique de l’emploi qualifié.
Dans un marché global où les annonces reculent légèrement, le maintien d’un volume soutenu dans la défense agit comme un amortisseur. Pour les candidats, cela signifie un éventail de postes plus large, avec des perspectives de carrière diversifiées, que ce soit dans les bureaux d’études, les services informatiques, la gestion de projets ou la maintenance de systèmes complexes.
Pour les armées et les industriels, l’enjeu est désormais de convaincre ces talents de franchir le pas. Car la demande ne porte pas uniquement sur les profils opérationnels, mais sur des compétences transverses très recherchées, qui pourraient tout aussi bien s’exprimer dans d’autres secteurs.
La France, poids lourd européen… et championne de l’attraction
C’est là que les chiffres détaillés de l’étude prennent tout leur sens. Selon Indeed, la part des recherches liées à la défense a atteint près de 0,15 % de l’ensemble des recherches d’emploi sur la plateforme au début de l’année 2025. Un pourcentage qui peut paraître modeste, mais qui se situe très au-dessus des niveaux observés avant la guerre en Ukraine, et qui place la France en tête des pays étudiés en Europe.
Du côté des recruteurs, la dynamique est tout aussi marquée. En avril 2025, le volume d’offres publiées par les plus grands acteurs de la défense reste 45 % au-dessus de son niveau de 2021, alors même que le marché global se situe, lui, 2 % en dessous de ce seuil de référence. En clair, alors que de nombreux secteurs ralentissent, la défense continue d’accélérer.
Dernier indicateur, et non des moindres : Indeed souligne que la France représente à elle seule environ 43 % des offres d’emploi de son échantillon européen en mai 2025.
Entre la relance du service national volontaire, l’attrait renouvelé des jeunes Français pour les métiers de la défense et un tissu industriel qui recrute, le pays s’impose ainsi comme le premier pourvoyeur de postes du secteur sur le continent. Une situation qui pourrait encore évoluer à mesure que le nouveau dispositif militaire pour les jeunes majeurs se mettra en place.