Elle travaillait en pharmacie depuis 27 ans… un contrôle administratif déclenche une bataille judiciaire inattendue
Pendant près de trois décennies, « Martine » a occupé le même poste dans sa pharmacie, sans vague et sans histoire.
Puis un contrôle de routine a mis au jour un détail que personne n’avait vraiment voulu regarder. Et, de rebondissements en décisions contraires, l’affaire est devenue un vrai feuilleton devant les juges.
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Une embauche discrète, une carrière qui s’installe
Tout commence en 1998, dans une officine du Sud de la France. Martine (prénom d’emprunt) est recrutée comme préparatrice en pharmacie et signe son premier contrat. À l’époque, rien ne laisse penser que ce dossier puisse un jour se retrouver au cœur d’un contentieux.
Les années passent, et la routine s’installe. Martine travaille, assure ses missions, et s’inscrit dans le paysage de la pharmacie. Dans ce type de commerce, la stabilité d’une équipe compte beaucoup : on connaît les habitudes, on apprend à gérer la pression, on rassure les clients.
Ce détail que peu de gens connaissent, c’est qu’un parcours aussi long crée parfois une forme d’évidence : on ne questionne plus ce qui semble acquis. Quand quelqu’un est là depuis des années, on finit par confondre l’ancienneté avec la conformité parfaite du dossier. Et c’est précisément ce qui va se jouer ici.
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Deux changements de propriétaires, et un dossier qui suit
Au fil du temps, l’officine change de mains. Une première fois en 2002, puis de nouveau en 2015. À chaque reprise, le contrat de Martine est transmis au nouvel exploitant : c’est le principe même du transfert de contrat lors d’une cession, avec continuité de la relation de travail.
Sur le papier, tout se déroule donc sans accroc. Martine reste en poste, les titulaires changent, mais l’activité continue. Et, surtout, personne ne semble remettre en cause sa place ni sa capacité à exercer.
Mais saviez-vous que ces périodes de reprise sont aussi celles où un employeur est censé vérifier que tout est en ordre ? Dans la pratique, l’urgence de relancer l’activité et de stabiliser l’équipe peut prendre le dessus. Le dossier “passe”, encore et encore, comme s’il était complet.
C’est là que se niche la fragilité : pendant des années, l’officine fonctionne sans que la question d’un diplôme requis soit réellement posée pour Martine. Jusqu’au jour où l’administration, elle, demande une preuve.

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Le contrôle qui fait tout basculer
Fin 2017, un contrôle inopiné intervient. L’Agence régionale de santé (ARS) se présente et réclame les diplômes des salariés. Ce type de contrôle inopiné a quelque chose de mécanique : on sort les pièces, on vérifie, on coche.
Sauf que, cette fois, un document manque. Le diplôme de Martine est introuvable. L’inspecteur le demande, la pharmacie cherche, mais rien ne vient compléter le dossier. Et, très vite, ce qui ressemblait à un simple oubli administratif devient un problème majeur.
À ce moment-là, Martine est en arrêt maladie depuis décembre. Malgré plusieurs relances, elle ne fournit aucun justificatif. Le silence dure, l’employeur s’impatiente, et la situation se crispe.
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En février 2018, la rupture tombe : Martine est licenciée pour licenciement pour faute grave, précisément en raison de l’absence de diplôme et du défaut de production du document demandé. Dans l’esprit de l’employeur, l’affaire paraît simple : le poste exige une qualification, et l’absence de preuve devient une faute.
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Sept ans de procédure, et deux lectures opposées
Mais l’histoire ne s’arrête pas au licenciement. Martine conteste, et l’affaire atterrit devant les prud’hommes. Elle affirme que ses employeurs successifs étaient au courant de sa situation, ou, à tout le moins, qu’ils ne pouvaient pas découvrir “d’un coup” un problème qu’ils n’avaient jamais cherché à vérifier.
En 2021, le conseil de prud’hommes lui donne raison. Les juges considèrent le licenciement comme dépourvu de cause réelle et sérieuse. Autrement dit, la rupture n’est pas jugée suffisamment justifiée au regard des circonstances.
Mais l’employeur fait appel. Et en 2023, la cour d’appel infirme la décision des prud’hommes. Pour les magistrats, Martine aurait manqué à son obligation de loyauté en dissimulant l’absence de diplôme : la faute grave redevient, à leurs yeux, défendable.
Cette alternance de décisions résume le cœur du débat : est-ce au salarié de prouver qu’il a le bon titre, ou à l’employeur d’avoir vérifié avant et pendant l’exécution du contrat ? Sur le terrain, la question paraît presque philosophique. Devant un tribunal, elle devient très concrète.
Et puis, après l’appel, Martine choisit de ne pas en rester là. Elle se pourvoit devant la Cour de cassation, l’étape qui, dans beaucoup d’affaires, ressemble à la dernière porte avant l’épuisement total.
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Le détail que la haute juridiction a refusé d’ignorer
Le dossier arrive donc devant la haute juridiction, et la décision tombe le 26 mars 2025. À ce stade, l’enjeu dépasse Martine : la question posée touche à la responsabilité de l’employeur dans la vérification des qualifications, et à ce qu’un employeur peut ou non reprocher après des années de relation de travail.
Car la chronologie pèse lourd. Martine a travaillé longtemps, l’officine a été reprise plusieurs fois, et aucun titulaire n’a exigé la preuve au moment opportun. Ce n’est qu’après le contrôle administratif que l’absence de document devient le déclencheur d’une rupture immédiate.
C’est précisément ce point que les juges examinent : peut-on invoquer une règle, après avoir laissé durer la situation, alors même qu’on n’a pas fait les vérifications nécessaires ? La question est d’autant plus sensible que l’exercice en pharmacie est encadré, et que la qualification professionnelle fait partie des éléments fondamentaux.
La décision rappelle d’ailleurs un principe clair : il appartient au pharmacien de s’assurer que ses subordonnés disposent bien des diplômes exigés pour exercer. Et le feuilleton n’est pas clos : l’affaire doit encore repasser devant une nouvelle formation, avec un renvoi devant la cour d’appel d’Agen, pour rejuger après cette étape.
Mais voici le point que Martine attendait depuis le début, et qui change la lecture de tout le dossier : la Cour de cassation estime que l’employeur, ayant poursuivi la relation de travail pendant des années sans vérifier la situation, ne pouvait pas se prévaloir de sa propre négligence pour reprocher à la salariée une faute grave. Dit autrement, la plus haute juridiction tranche en faveur de Martine, et son employeur est condamné sur ce point, au nom d’une responsabilité qui ne peut pas être effacée par un contrôle tardif.