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Il avait licencié 800 salariés pour les remplacer par des travailleurs sous-payés, ce patron quitte ses fonctions

Publié par Killian Ravon le 03 Sep 2025 à 11:02

Au printemps 2022, P&O Ferries a déclenché une véritable onde de choc en licenciant 800 marins du jour au lendemain. L’épisode a marqué durablement l’opinion publique britannique, transformant son dirigeant, Peter Hebblethwaite, en symbole d’un capitalisme jugé brutal et décomplexé. Deux ans plus tard, les remous de cette affaire continuent de se faire sentir, jusque dans les couloirs du pouvoir. Dans les tribunaux et au cœur de l’entreprise.

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Montage montrant un ferry P&O accosté au port et Peter Hebblethwaite lors d’une audition parlementaire.

Retour sur un séisme social et politique qui a remodelé le débat autour des salaires minimums. Des pratiques d’externalisation et de la responsabilité des patrons en Royaume-Uni.

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Un licenciement éclair qui a stupéfait le pays

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Le 17 mars 2022, P&O Ferries annonce la rupture immédiate des contrats de 800 marins. La décision, brutale dans sa forme comme dans son timing. Vise à substituer ces équipages historiques par des travailleurs externalisés rémunérés en-dessous du salaire minimum britannique. Pour des milliers de passagers habitués aux liaisons transmanche et pour les familles des marins, la sidération est totale. Les images de personnels débarqués, de navires immobilisés et d’employés médusés font rapidement le tour du pays.

Dans les jours qui suivent, le débat public explose. Les syndicats crient au scandale, des élus dénoncent une « privatisation des coûts sociaux » et l’opinion se braque. Le nom de Peter Hebblethwaite s’impose alors comme celui de l’homme à abattre, incarnation d’une décision jugée froide et calculée. La presse lui collera bientôt l’étiquette d’« homme le plus détesté » du pays.

@waylemedia

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« Un modèle de coûts intenable » : la ligne de défense

Face à la tempête, Peter Hebblethwaite répète inlassablement que le modèle économique de P&O n’était plus tenable, évoquant 100 millions de livres de pertes par an. Selon sa défense, maintenir les anciens contrats mettait en péril la survie de l’entreprise et donc l’emploi à plus long terme. Ce raisonnement, purement économique, se heurte cependant à l’émotion suscitée par la méthode. Les critiques pointent l’absence de phase de consultation syndicale, pourtant prévue par la loi britannique, ainsi que l’idée qu’un grand groupe puisse prospérer en comprimant la rémunération de marins travaillant régulièrement dans les eaux du Royaume-Uni.

Cette ligne de défense s’est d’autant plus fragilisée que les aveux ont été publics. En commission parlementaire, le patron de P&O a reconnu que la direction avait enfreint la loi en connaissance de cause, confirmant l’intuition d’un passage en force qui laissera une trace durable.

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Ferry P&O Spirit of Britain quittant le port de Douvres par beau temps
Le Spirit of Britain de P&O quitte le port de Douvres.© Ad Meskens / Wikimedia Commons — CC BY-SA 4.0

Un pays qui se découvre un totem de colère

L’affaire P&O a dépassé le seul cadre du transport maritime. Elle a cristallisé des colères sociales accumulées, réactivant les souvenirs d’industries démantelées, d’emplois fragilisés et de régions entières redessinées par la mondialisation. Sur les plateaux télé, à la Chambre des communes et sur les quais, un mot revient alors sans cesse : dignité. Dignité des travailleurs, dignité de la loi et dignité des rémunérations dans un pays qui adore évoquer le fair play.

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Dans ce contexte, Peter Hebblethwaite devient une figure repoussoir. L’étiquette d’« homme le plus détesté du Royaume-Uni » colle à sa peau. La sanction symbolique intervient la même année, lorsque des organisations internationales du monde du travail le désignent « pire patron du monde ». Le titre frappe les esprits, d’autant qu’il succède à des noms connus comme Michael O’Leary ou Jeff Bezos, déjà épinglés par le passé. Pour l’opinion, c’est la confirmation que le cas P&O n’est pas un simple dérapage, mais un cas d’école.

Des suites politiques et judiciaires immédiates

Le fracas médiatique se double rapidement d’un électrochoc politique. Les autorités britanniques ouvrent des enquêtes pénales et civiles pour examiner les décisions et les procédures suivies par P&O. Au-delà des responsabilités individuelles, c’est la robustesse du cadre légal qui est interrogée. Les parlementaires s’emparent du dossier avec une question simple et brutale : comment empêcher que des marins opérant régulièrement vers les ports britanniques soient rémunérés en-dessous du salaire minimum au motif qu’ils seraient employés via des montages d’externalisation ou sous des pavillons plus accommodants ?

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Cette interrogation aboutit à une réponse législative. En 2023, une loi vient rehausser les protections des marins qui entrent régulièrement dans les eaux britanniques. Le texte prévoit plusieurs leviers pour rétablir un socle salarial aligné sur le salaire minimum britannique.

Grand ferry P&O s’approchant du port de Douvres
Le Spirit of Britain approche le port de Douvres (Kent). Crédit : © Stavros1 / Wikimedia Commons — CC BY-SA 3.0

Ce que change la loi de 2023 pour les marins

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Le principe est clair et lisible pour le grand public. Désormais, les armateurs dont les navires fréquentent régulièrement les eaux du Royaume-Uni doivent garantir une rémunération au moins équivalente au salaire minimum. Cette exigence ne se limite pas à une simple déclaration d’intention. Les autorités peuvent imposer une surcharge à ceux qui ne prouvent pas cet alignement, et même refuser l’accès aux ports en cas de non-conformité persistante.

Cette architecture rééquilibre le rapport de force. Aux marges de manœuvre offertes par l’externalisation, le législateur oppose un instrument simple : l’accès aux ports britanniques devient conditionnel à des rémunérations décentes. Dans un secteur où la fluidité opérationnelle est cruciale, l’outil a tout d’un levier dissuasif.

Port de Douvres vu depuis la mer, ciel dégagé et jetées
Vue lointaine du Port of Dover et des installations portuaires. Crédit : andrewslockwood50 / Pixabay — Licence Pixabay
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Une entreprise ballotée par quatre années de crise

Pour P&O Ferries, la période récente n’a rien eu d’un long fleuve tranquille. La pandémie de Covid-19 a frappé de plein fouet les liaisons maritimes et la mobilité en général, comprimant les recettes et bousculant les plans de flotte. Les arbitrages économiques, déjà serrés, se sont faits dans l’urgence. C’est dans cet arrière-plan de crise et de pertes que l’entreprise a justifié sa réorganisation de 2022. Mais la secousse a été telle que la compagnie n’a jamais vraiment retrouvé une relation apaisée avec l’opinion.

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Ces quatre années ont façonné un récit public que l’entreprise n’a pas réussi à reprendre à son compte. Même lorsque l’exploitation a repris des couleurs, l’image de P&O est restée associée à l’épisode des 800 marins et aux salaires sous le minimum, un héritage difficile à dissiper.

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@franck.carpentier.avocat

Vous pouvez être licencié sans motif. Cela peut paraître surprenant dans la mesure où le Code du travail indique expressément qu’un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Cependant, en pratique, je suis confronté tous les jours à des situations dans lesquelles des salariés ont été licenciés sans raison valable. En effet, il faut garder à l’esprit que votre employeur peut à tout moment vous licencier, qu’il ait ou non un motif légitime pour ce faire. La seule question que va se poser un employeur pour licencier un salarié de manière injustifiée est celle de savoir combien cela peut lui couter en cas de procès. Or, le barème dit Macron qui existe depuis 2017 a très clairement simplifié la vie des employeurs peu scrupuleux puisqu’ils savent à l’avance combien cela peut leur couter. Ainsi, pour un salarié d’une grande entreprise ayant 3 ans d’ancienneté, l’indemnité à lui verser sera comprise entre 3 et 4 mois de salaire. Pour un salarié ayant 3 ans d’ancienneté dans une TPE, l’indemnité minimale sera d’un mois de salaire. Pour les patrons, la question n’est donc pas de savoir s’ils peuvent mais combien ils risquent. Grace à la réforme d’Emmanuelle Macron de 2017, la chose est simple. Heureusement, il existe des astuces pour contourner ces plafonds. N’hésitez pas à me contacter pour en savoir plus. #droitdutravail #licenciement #licenciementabusif #proces #justice #avocat

♬ son original – Franck Carpentier Avocat

Le poids du symbole « pire patron du monde »

Le sceau « pire patron du monde » attribué en 2022 a eu un impact qui dépasse le simple coup de projecteur militant. Il a cadré la perception de Peter Hebblethwaite à l’international, consolidant une réputation de dirigeant prêt à tordre les règles pour servir un modèle de coûts. Dans la hiérarchie des blâmes publics, la métaphore a de la force : elle inscrit le patron de P&O Ferries dans une lignée d’exemples cités lorsqu’il s’agit de débattre du dumping social et des chaînes de valeur mondialisées.

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Pour les marins, pour les syndicats et pour une partie des responsables politiques, ce label n’est pas qu’une étiquette. Il rappelle un moment de bascule, le jour où l’aveu d’une infraction assumée a semblé primer sur toute autre considération. L’épisode a aussi réhabilité, dans le débat public britannique, la question des contre-pouvoirs et des garde-fous légaux.

Panorama du port de Douvres, terminaux ferries et navires P&O
Quais du Port of Dover avec navires P&O à quai. Crédit : © Robert Zozmann / geograph.org.uk / Wikimedia — CC BY-SA 2.0

Un débat qui dépasse P&O

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L’affaire a mis en lumière des mécanismes souvent invisibles pour le grand public : la sous-traitance internationale, les pavillons de complaisance, les écarts de rémunération d’un pays à l’autre pour des activités pourtant déployées sur les mêmes routes maritimes. En réponse, les autorités ont choisi d’agir au point d’entrée du système : les ports. C’est là que se matérialise désormais la conditionnalité salariale, un outil simple à manier et clair à expliquer.

Ce débat a également servi d’étalon à d’autres secteurs. Dans la logistique, l’aviation ou certains services transfrontaliers, l’effet P&O est devenu un avertissement. La tentation d’ajuster les coûts par une externalisation agressive peut se heurter à un coût réputationnel et à des risques juridiques durables. À l’inverse, la mise en place d’un plancher social commun peut rétablir des règles du jeu mieux acceptées.

Terminal ferry à Douvres avec passerelles d’embarquement
Rampe d’embarquement d’un terminal ferry à Douvres. Crédit : Pixabay / Licence Pixabay
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Une page se tourne au sommet de P&O

Dans ce climat toujours chargé, l’entreprise a choisi un registre feutré pour parler de son dirigeant. P&O Ferries a salué la « contribution » de Peter Hebblethwaite au cours des quatre dernières années, une formule classique pour accompagner une transition sensible. Les mots sont pesés, calibrés pour ne pas rallumer d’anciennes braises tout en signant la fin d’un chapitre. Le narratif officiel insiste sur la dimension familiale, un motif habituel lorsqu’il s’agit d’expliquer une sortie sans entrer dans le détail des arbitrages internes.

L’histoire retiendra pourtant un épisode très précis : l’aveu public d’une infraction assumée, la colère d’un pays, la riposte législative et un débat social relancé à grande échelle. À l’heure où les grandes entreprises redéfinissent leurs priorités entre soutenabilité économique et responsabilité sociale, le cas P&O restera un repère.

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Après des mois d’une pression ininterrompue, Peter Hebblethwaite a communiqué son intention de démissionner de son poste de directeur général de P&O Ferries, officiellement pour « consacrer plus de temps à ses affaires familiales ». La compagnie a remercié son patron décrié pour son action, refermant une séquence qui aura redéfini, au Royaume-Uni, les lignes rouges en matière de salaires, de droit du travail et de responsabilité patronale.

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