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Des logiciels surveillaient l’activité des employés en télétravail : la banque décide de licencier 1000 personnes

Publié par Killian Ravon le 17 Sep 2025 à 2:33

La promesse d’autonomie du télétravail se heurte à une réalité moins reluisante dès lors que des logiciels prennent la main pour mesurer ce que font les salariés. Dans une grande institution financière d’Amérique latine, la direction a lancé une investigation d’ampleur sur les comportements à distance, en invoquant la protection de sa « culture » et de la confiance envers ses clients et ses équipes. L’épisode a fait l’effet d’un électrochoc, car il pose une question simple et explosive à la fois : que mesurent vraiment ces indicateurs d’activité et jusqu’où peut aller une entreprise qui prétend assurer la performance en distanciel ?

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Écran d’ordinateur en télétravail affichant des graphiques d’activité, symbole de surveillance et de contrôle numérique.

La banque dit avoir conduit une « évaluation minutieuse des conduites relatives au télétravail ». Selon elle, certains salariés auraient profité du distanciel pour s’accorder de longues pauses et ne pas avancer sur leurs tâches. En quelques jours, la tension est montée d’un cran entre dirigeants, syndicats et collaborateurs, chacun campant sur une lecture opposée d’une même réalité, faite de données numériques, de ressentis et d’objectifs rarement explicités.

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Des outils qui voient tout… sauf les nuances

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La direction évoque des « indicateurs robustes d’activité numérique provenant de plusieurs logiciels ». Concrètement, ces systèmes peuvent agréger des signaux comme les connexions aux outils internes, les temps d’utilisation d’applications, l’envoi de messages, la participation à des réunions ou le rythme des livrables. Sur le papier, l’addition de métriques doit dessiner un portrait fidèle du travail effectif.

Dans la pratique, ces tableaux de bord oublient souvent la part invisible de l’activité. Rédiger une note stratégique hors ligne, réfléchir, analyser des données ou téléphoner en mode mains libres n’alimentent pas forcément les compteurs. Un statut « inactif » sur une messagerie ou une absence de clics sur un laps de temps donné ne prouvent pas une inactivité fautive. La question des seuils et de l’interprétation devient alors cruciale : quand un creux dans la journée traduit-il un manque de sérieux et quand traduit-il simplement un rythme de travail différent, compatible avec la mission confiée ?

Ce flou nourrit les contestations. Un salarié, persuadé d’être bien évalué et même pressenti pour une promotion en informatique, raconte son incompréhension et son sentiment d’injustice. Pour lui et pour d’autres, l’affaire revient à coller l’étiquette de « paresseux » sans droit de réponse. C’est précisément ce qui crispe les représentants du personnel.

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Bureau sombre avec laptop allumé affichant une activité à l’écran.
Poste de télétravail avec ordinateur portable, symbolisant les indicateurs d’activité. Crédit : Pixel.la Free Stock Photos — CC0, via Wikimedia Commons.

Colère syndicale et angles morts de la direction

Les syndicats dénoncent un manque de transparence et des « arguments lâches ». Deux questions reviennent en boucle : de quels objectifs parle-t-on, et comment sont-ils mesurés ? Sans cadre chiffré clair, sans méthode d’évaluation partagée, la sanction apparaît arbitraire. L’irritation est d’autant plus forte que l’institution affiche des profits records l’an passé, à hauteur de 6,4 milliards d’euros, ce qui alimente l’idée d’une décision expéditive, motivée par un affichage d’exemplarité plus que par un besoin économique.

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Pour les salariés, l’équité ne peut pas être un slogan. Elle se prouve par des procédures contradictoires, des entretiens où l’on confronte la donnée et le réel, et des critères compris de tous. Faute de cela, un suivi présenté comme « robuste » ressemble à une mécanique à sens unique, où l’algorithme tranche et où l’humain justifie après coup.

Ordinateur portable posé sur table dans un salon cosy.
Télétravail dans le salon, ambiance domestique. Crédit : Henry McIntosh — Unsplash/CC0, via Wikimedia Commons.
@laulevy

Ton employeur t’espionne sûrement quand tu es en télétravail ! Mais attention : il doit légalement t’en informer au préalable. Sources : – l’ADN : télétravail : 96% des entreprises surveillent leurs employés – étude : Resume Builder : 1 in 3 remonte employers are watching your work from home on camera – AideSocial.fr : Surveillance des télétravailleurs : tout ce que vous devez savoir pour protéger votre vie privée ! #teletravail #travail #surveillance #entreprisefrancaise #droitdutravail

♬ son original – Laurène ✨

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France : ce que change le RGPD et le droit du travail

Si un employeur français reproduisait une telle démarche, il buterait rapidement sur deux piliers : le RGPD et le Code du travail. D’abord, toute surveillance doit reposer sur une base légale solide, en général l’« intérêt légitime » de l’entreprise. Mais cet intérêt se heurte à la proportionnalité : l’employeur doit choisir un dispositif nécessaire, pertinent et le moins intrusif possible au regard du but poursuivi. Des outils qui traquent en continu les mouvements de souris, des captures d’écran ou des keyloggers systématiques seraient quasi impossibles à justifier dans la plupart des fonctions.

Ensuite, l’information préalable des salariés est obligatoire. L’entreprise doit expliquer qui collecte quoi, pour quelles finalités, avec quelles durées de conservation, qui a accès aux données et quels sont les droits des personnes. Les représentants du personnel, via le CSE, doivent être consultés avant le déploiement d’un système de contrôle. Lorsque la surveillance est susceptible d’engendrer un risque élevé pour les droits et libertés, une analyse d’impact (AIPD) s’impose. Autant d’étapes qui cadrent fortement la tentation de trancher au seul vu d’un score de productivité.

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Le principe de minimisation interdit de collecter plus de données que nécessaire. L’exactitude des données doit être garantie. La sécurité et la confidentialité des journaux techniques sont à démontrer, notamment pour éviter des dérives internes ou des usages secondaires. En bref, le RGPD impose une hygiène stricte qui rend les démarches massives et opaques très difficiles à défendre en France.

Personne travaillant sur laptop dans un café.
Télétravail en café ; illustre la diversité des environnements à distance. Crédit : perzon seo — CC BY 2.0, via Wikimedia Commons.

Les risques pour une entreprise en cas d’excès

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Une entreprise qui s’affranchirait de ces garde-fous s’exposerait à un double front. Sur le plan social, des licenciements fondés principalement sur des traces numériques fragiles pourraient être requalifiés en licenciements sans cause réelle et sérieuse devant les prud’hommes, avec à la clé des dommages et intérêts, un rappel de salaire ou une éventuelle réintégration selon les cas. Des défauts d’information ou de consultation du CSE peuvent aussi annuler ou fragiliser la procédure.

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Sur le plan informatique et libertés, la CNIL pourrait sanctionner un dispositif disproportionné, insuffisamment documenté, ou déployé sans information claire. Les plafonds du RGPD vont jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires mondial, selon le montant le plus élevé, même si les montants varient au cas par cas. Des pratiques clandestines, comme des captures d’écran secrètes, pourraient également relever d’infractions pénales. Au-delà des sanctions, l’atteinte à la réputation serait immédiate, surtout dans un contexte où la confiance est au cœur de la relation bancaire.

Écran d’ordinateur avec graphiques d’analyse.
Tableaux de bord et graphiques d’activité sur écran ; métaphore des logiciels de suivi. Crédit : Pixabay — licence Pixabay
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Productivité : ce que les indicateurs ne disent pas

La grande faiblesse des indicateurs d’activité est de confondre parfois activité apparente et valeur créée. Une réunion supplémentaire, un flot de messages instantanés ou une présence continue dans un document partagé ne garantissent ni la qualité du travail ni sa pertinence. À l’inverse, un temps de recul, une analyse menée hors réseau, un appel téléphonique ou une maquette préparée localement peuvent être invisibles, alors qu’ils sont décisifs.

La vraie robustesse suppose des objectifs connus, des jalons documentés, des livrables mis en perspective avec la mission. Elle exige aussi le regard du management, capable de remettre la donnée à sa place, comme un indice parmi d’autres. Sans cette pédagogie, l’entreprise dérive vers une politique du clic, où l’on optimise le tableau de bord plutôt que le service rendu.

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Bureau à la maison avec ordinateur et café.
Poste de travail à domicile avec tasse de café ; symbole d’autonomie en distanciel. Crédit : Pixabay — licence Pixabay

Une décision qui fait débat, portée par des profits record

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Le décalage entre un discours de confiance et un recours massif à la surveillance numérique choque d’autant plus que l’institution concernée affiche des bénéfices sans précédent. Les syndicats y voient un symptôme : l’entreprise voudrait rassurer les marchés et afficher une exigence de discipline interne, quitte à réduire la complexité humaine à des courbes et à des ratios. La presse économique a d’ailleurs relaté l’ampleur du coup de balai, en soulignant sa brutalité et les zones d’ombre laissées par la communication officielle.

Derrière l’événement, le débat est universel : comment concilier la liberté d’organisation promise par le télétravail avec des exigences légitimes de résultats ? Où placer le curseur entre autonomie et contrôle ? Et surtout, qui décide de la vérité quand la donnée dit une chose et que l’expérience de terrain en raconte une autre ?

Le cas qui embrase aujourd’hui la discussion s’est déroulé chez Itaú, l’une des plus grandes banques du Brésil. À l’issue de son enquête interne, l’établissement a procédé au renvoi de 1 000 salariés, soit 1 % d’un effectif d’environ 100 000 collaborateurs, d’après Les Échos. La direction a justifié la mesure par des « conduites incompatibles avec nos principes reposant sur la confiance ». Les syndicats, eux, continuent de dénoncer l’opacité des critères et des « arguments lâches » qui, selon eux, ont servi à balayer des carrières sur la foi de logiciels et d’indicateurs dont personne n’a vu les règles.

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