USA : Un an que le journaliste Barret Brown est détenu arbitrairement
C’est une affaire qui n’avait que très peu traversé l’Atlantique. Pourtant, début septembre 2012, le journaliste américain Barrett Brown est arrêté à son domicile par des agents du FBI, inculpé pour des motifs très flous, et maintenu en détention depuis dans l’attente de son procès. Alors qu’a-t-il bien pu faire pour mériter à ce point les foudres de la justice américaine ? Il a un peu trop titillé le gouvernement sur quelques sujets très sensibles, notamment en contribuant à la mise au jour de « Theam Themis », un projet gouvernemental visant à ruiner financièrement les membres des Anonymous et de faire taire les journalistes prenant leur défense. Retour sur sa descente aux enfers.
Qui est Barret Brown ?
Fils d’un riche promoteur texan, rien ne prédestinait Barret Brown à devenir journaliste. En tout cas, pas à devenir CE type de journaliste. Un journaliste d’investigation farouche et culotté, qui n’hésite pas à fouiller au fond des choses les plus sales pour découvrir la vérité. Et c’est sans doute ce qui causé sa perte. Âgé de 31, il a tour à tour enquêté pour Vanity Fair, The Guardian, The Huffington Post, ou encore le journal satyrique The Onion. Il a également écrit un livre intitulé « Flock of Dodos » qui se moque ouvertement des théories créationnistes.
Mais c’est lorsqu’il commence à s’intéresser aux éléments dévoilés par Wikileaks que tout bascule. Il s’engage fermement aux côtés des Anonymous dont il se proclame le porte-parole au nom du droit d’information des citoyens américains. Il crée ensuite en 2009 le « ProjetPM », une base de donnée accessible à tous qui dévoile les partenariats et les liens occultes entre l’administration fédérale et les entreprises privées dans le domaine du renseignement, devenu hyper-sensible depuis le 11 septembre 2001.
Qu’a-t-il fait pour déclencher la fureur de l’administration américaine ?
C’est sur cette plateforme qu’il poste en 2012 un dossier piraté par les Anonymous sur le site internet de la société de renseignement privée Stratfor. Il contient plus de 5 millions de mails qui dévoilent les activités plus que troubles des partenariats public/privé. Ils “incluaient des discussions sur des opportunités d’enlèvements et d’assassinats”, selon l’hebdomadaire américain The Nation, rapporte Reporters sans frontières. Le vice-président de cette société, Fred Burton, laissait même entendre qu’il serait opportun de « tirer avantage du chaos régnant en Libye pour enlever l’auteur de l’attentat de Lockerbie, Abdekbaset al-Megrahi, libéré de prison pour des motifs humanitaires puisqu’il souffre d’une maladie en phase terminale », toujours selon The Nation.
Contre-toute attente, Barret Brown est arrêté le 12 septembre par le FBI à son domicile, alors qu’il était en pleine conversation sur internet. La scène a été filmée par sa webcam, et même si son amie la détourne à l’entrée des forces de l’ordre, on entend distinctement son arrestation :
Quelles charges retenues contre lui ?
Après son arrestation, il ne bénéficie pas de libération sous caution et est détenu arbitrairement durant deux semaines, sans traitement médical. Ce n’est que le 3 octobre que les charges de « menace », « conspiration », et « vengeance contre un fonctionnaire fédéral » sont ajoutés à son inculpation. Il est accusé d’avoir menacé de mort un agent du FBI dans une vidéo publiée sur youtube. Ce dernier avait harcelé sa mère pour obtenir des informations, cause selon le journaliste de son excès verbal sur la toile.
Le 14 décembre, 12 chefs d’accusation dont encore retenus pour « hacking » concernant le piratage de la société Stratfor. En janvier 2013 enfin, une dernière inculpation vient s’ajouter au dossier. Il est accusé de dissimulation de preuves, lors de la perquisition du FBI à son domicile et celui de sa mère en mars 2012.
Il risque pour tout cela 105 ans de prison. Pour Reporter sans frontières, cette action du gouvernement américain pour empêcher le travail de Barrett Brown et sa manière de punir un journaliste n’ayant pas commis d’actes méritant une telle peine représente une grande menace pour la liberté de la presse et la liberté d’expression, au coeur même du pays qui se veut « la plus grande démocratie du monde ».
La liberté de la presse en question
« Barrett Brown n’est pas un criminel, pas même un délinquant, a déclaré Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières. Il n’a infiltré aucun système, et ne paraît pas avoir l’expertise technique pour le faire. Barrett est un journaliste d’investigation qui a simplement rempli son devoir professionnel en enquêtant sur une affaire d’intérêt public. La peine de 105 ans de prison qu’il encourt est absurde et dangereuse, sachant que Jeremy Hammond, qui a plaidé coupable pour avoir piraté les données de Stratfor, risque au maximum dix ans de prison. Menacer un journaliste d’une peine aussi lourde constitue une véritable prime à l’autocensure pour tous ceux qui font profession d’enquêter.«
Emprisonné depuis plus d’un an dans l’attente de son procès, Barrett Brown devait être jugé il y a deux jours. Il a toutefois réussit à faire reporter son procès à avril 2014 afin de laisser à son avocat plus de temps pour préparer sa défense. Dans le même temps, le gouvernement a déposé une motion visant à interdire les défenseurs de Barrett Brown de s’exprimer publiquement sur le sujet. Encore un exemple, s’il était nécessaire d’en donner de nouveaux, du climat délétère qui s’installe aujourd’hui sur le sol américain concernant les lanceurs d’alertes (comme Julian Assange ou Edward Snowden) et qui touche à présent jusqu’aux journalistes.
source : Vanity Fair, Les Inrocks, Reporters sans frontières