À Nice : ce requin discret menacé d’extinction peut-il renaître dans la Baie des Anges ?
Depuis des décennies, il n’est plus qu’un souvenir sur la Côte d’Azur. Pourtant, des scientifiques veulent redonner sa place au requin qu’on surnomme « ange de mer ».
Classé en danger critique d’extinction en Méditerranée, ce Squatina au profil de raie pourrait, à terme, retrouver les eaux niçoises. Et l’idée n’a rien d’un mythe : des chercheurs à Nice planchent déjà sur une réintroduction dans la Baie des Anges, ce lieu dont il aurait inspiré le nom.
Un requin pas comme les autres, à l’allure d’une raie
Sous son nom scientifique Squatina, l’« ange de mer » ne ressemble pas aux squales qui peuplent l’imaginaire collectif. Ce poisson cartilagineux, à la silhouette aplatie et aux nageoires pectorales déployées comme des ailes, évoque de loin une raie. De part et d’autre du thorax, ses pectorales dessinent deux larges pans qui ont forgé ce surnom singulier. C’est d’ailleurs cette morphologie qui alimente la légende : il aurait donné son nom à la Baie des Anges. Quand on observe le fond marin, on le devine davantage qu’on ne le voit : l’ange de mer se plaque sur le sédiment et s’y camoufle, à l’affût, invisible pour qui ne sait pas où regarder.
:contentReference[oaicite:11]{index=11}Un fantôme des fonds niçois depuis le milieu du XXᵉ siècle
En Côte d’Azur, l’espèce semble s’être volatilisée à partir du milieu du XXᵉ siècle. Dans un environnement côtier très fréquenté et soumis à de multiples pressions, l’ange de mer, spécialiste des fonds sablo-vaseux, a progressivement disparu des observations locales. Le chalutage, qui racle le fond pour capturer des poissons démersaux, est considéré comme une des causes probables de cette raréfaction. Ce mode de vie benthique l’expose en effet directement aux engins de pêche actifs qui remuent le substrat. Depuis, malgré l’attention des professionnels, son absence s’est vérifiée : un plongeur du port de Nice, en trois décennies de carrière, affirme n’en avoir jamais croisé.
$Il ne reste dès lors que des traces anciennes pour attester de sa présence historique. Au Muséum d’histoire naturelle, de très jeunes spécimens ont été confiés au XIXᵉ siècle par un pêcheur. Conservés dans du formol, ces témoins racontent une Méditerranée où l’ange de mer vivait alors à portée d’épuisette. Une relique qui, déjà, interroge : comment cette espèce associée à la toponymie locale a-t-elle pu s’effacer si vite ?
Crédit : Michael Bommerer / Wikimedia Commons / CC BY 4.0.
Classé « en danger critique » : le cri d’alarme
La trajectoire de l’ange de mer ne se limite pas aux rives niçoises. En Europe comme en Méditerranée, l’Union internationale pour la conservation de la nature le classe en danger critique d’extinction. Cette mention, au sommet de l’échelle du risque, traduit un effondrement prononcé. La biologie de l’espèce, lente et discrète, n’arrange rien : elle vit près du fond, se reproduit à un rythme modéré et préfère rester tapie. Autant d’atouts pour survivre aux prédateurs naturels, mais de vrais handicaps lorsque les perturbations d’origine humaine s’accumulent.
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Ce statut n’est pas une formule : il engage des choix publics et inspire la recherche. Quand un animal bascule dans cette catégorie, l’inaction n’est plus une option. Et parce que l’ange de mer est intimement associé au littoral azuréen, l’envie de le revoir n’a rien d’un simple réflexe nostalgique. C’est une question de patrimoine naturel autant que d’écologie marine.
Crédit : Ben Jobson / Wikimedia Commons / CC BY 4.0.
Entre souvenirs et rares apparitions, la Corse comme dernier signal
Au fil des ans, les observations crédibles se sont faites rarissimes. Il faut traverser la mer et se tourner vers l’île voisine pour trouver un signal récent : en 2020, un spécimen a été aperçu au large de la Corse. Une apparition isolée qui ne dit pas grand-chose d’un éventuel retour, mais qui rappelle qu’en Méditerranée nord-occidentale, l’histoire du requin ange n’est pas totalement close. Ce clin d’œil insulaire redonne de l’allant aux partisans d’une reconstitution d’habitat sur la côte continentale.
Car la Baie des Anges n’est pas qu’un décor : ses fonds meubles et ses zones côtières, à l’époque, convenaient à l’espèce. La question désormais : ces milieux peuvent-ils de nouveau accueillir un animal si discret ? La réintroduction n’est jamais un geste anodin. Elle suppose d’abord de comprendre pourquoi l’espèce a disparu, puis de s’assurer que les pressions responsables ont diminué. Sans cela, chaque relâcher ne serait qu’un vœu pieux.
:contentReference[oaicite:12]{index=12}L’idée d’une réintroduction à Nice prend forme
À Nice, des chercheurs « réfléchissent sérieusement » à la réintroduction de l’ange de mer dans la Baie des Anges. L’objectif est clair : renouer avec un pan d’histoire naturelle locale et retisser un lien entre la ville et ce discret squale. Dans ce projet, l’enthousiasme se mêle à la prudence : il faudra du temps, des connaissances fines de l’habitat et des garanties scientifiques. Mais la perspective est posée, et elle mobilise. « C’est un rêve qu’on a tous de voir ce requin revenir, pour enfin redonner à la Baie des Anges ses lettres de noblesse », confie Aurore Asso, championne d’apnée et élue en charge du littoral, de la mer, de l’aire marine protégée et de l’écologie à la ville de Nice.
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La réintroduction suppose un cadre. Il faudra identifier des zones favorables, vérifier la qualité des fonds sablo-vaseux, évaluer les interactions avec les usages côtiers et encadrer les pratiques de pêche pour épargner les individus réintroduits. Ce type de programme ne se décrète jamais seul : collectivités, scientifiques, associations, pêcheurs et plongeurs doivent travailler de concert. Mais saviez-vous que la réussite d’un retour d’espèce discrète, comme l’ange de mer, dépend souvent moins du nombre d’animaux relâchés que de la tranquillité du milieu choisi ? C’est là que se joue une grande part de l’avenir du projet.
Crédit : Michael Bommerer / Wikimedia Commons / CC BY 4.0.
Un animal de l’ombre, patient et furtif
L’ange de mer n’a rien d’un géant pélagique. Son territoire se résume aux bas-fonds côtiers, où il se cache pour chasser. Enfoui ou recouvert de sable, il attend que la proie passe à portée : une stratégie de guet, plus que de poursuite. Cette vie au ras du sédiment le rend difficile à observer, même pour des plongeurs aguerris. On comprend mieux pourquoi, dans un port comme Nice, un professionnel peut passer trente ans sans en apercevoir. Le silence de l’eau ne signifie pas l’absence, mais avec l’ange de mer, l’invisibilité est presque une signature pour le requin.
C’est aussi pour cela qu’il a pu traverser la mémoire locale comme une silhouette floue : on en parlait, on lui prêtait le pouvoir d’avoir baptisé la baie, mais peu pouvaient témoigner d’une rencontre. La discrétion fait partie de son identité. Et quand cette discrétion croise le chalutage, elle devient une faiblesse pour le requin.
Entre patrimoine, science et symbole, un projet qui dépasse la seule biologie
Ramener l’ange de mer, ce serait plus que réparer une absence. Ce serait réancrer une espèce emblématique dans une histoire littorale, redonner un sens très concret au nom de la Baie des Anges, et montrer qu’une ville peut renouer avec ses fonds marins. Le projet porte un enjeu écologique, bien sûr, mais aussi un enjeu culturel. Nice a bâti une part de son identité sur sa mer. Imaginer croiser, à distance respectueuse, ce « requin-ange » sur ses fonds n’est pas seulement un rêve de naturaliste : c’est une manière de réconcilier le rivage et le large.
Reste que la Méditerranée d’aujourd’hui n’est plus celle du XIXᵉ siècle. Les usages se sont multipliés, et l’équilibre se négocie désormais entre protection et activités. Une réintroduction crédible ne pourra fonctionner qu’avec un suivi serré, une information claire et des gestes adaptés au quotidien : respecter les zones sensibles, adapter les pratiques lorsque c’est nécessaire, signaler les rencontres fortuites. Sur ce dernier point, l’éducation et la participation comptent : les plongeurs, pêcheurs récréatifs ou simples amateurs d’apnée peuvent devenir des yeux précieux pour documenter, discrètement, d’éventuelles présences.
Crédit : Michael Bommerer / Wikimedia Commons / CC BY 4.0.
La Baie des Anges, un nom à reconquérir
Le symbole est puissant. Imaginer que la Baie des Anges doit son nom à l’ange de mer, c’est accepter qu’un lieu, un paysage et une espèce puissent s’éclairer mutuellement. Le retour envisagé à Nice prend ainsi une dimension particulière : il ne s’agit pas de créer un décor, mais de réaccorder un coin de Méditerranée avec ce qui l’a, peut-être, inspiré. Chaque avancée scientifique, chaque échange avec le terrain, chaque vérification d’habitat ramène un peu de crédibilité à ce scénario.
Au-delà des annonces, c’est la patience qui primera. Les grands retours d’espèces discrètes s’écrivent rarement en quelques mois. Et l’ange de mer, par nature, n’aime pas la précipitation. Si réintroduction il y a, elle devra s’installer au rythme des marées humaines : celui des études, des autorisations, des adaptations. Rien de spectaculaire, mais un fil tenace. Ce détail que peu de gens connaissent : c’est souvent dans la lenteur et la modestie des suivis que se joue la réussite d’un projet marin.
Crédit : Myrabella / Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0.
Que retenir ?
On parle d’un requin rarissime, d’un retour possible, d’une baie qui porte son nom. Mais la preuve la plus tangible de sa longue histoire niçoise tient, pour l’instant, dans quelques spécimens conservés au formol au Muséum d’histoire naturelle, donnés par un pêcheur… en 1820. C’est de là que repart l’espoir.