Les requins se rapprochent des plages
Depuis la mi-novembre, plusieurs signalements de gros squales se multiplient autour de Nouméa. Jusque dans des zones très proches du rivage. Quatre requins bouledogue ont même été observés dans la grande rade. Tandis que des vidéos tournées par des plongeurs circulent sur les réseaux sociaux.
Alors que la saison chaude 2025 commence tout juste. Habitants, baigneurs et autorités se demandent à quel point il faut revoir leurs habitudes en mer.
Des squales de plus en plus visibles près du rivage
À chaque début d’été, les Calédoniens savent que les squales s’approchent davantage des côtes. Mais cette année, les observations sont si nombreuses qu’elles interpellent même les habitués du lagon. En toile de fond, le territoire garde en mémoire la vaste campagne d’abattage menée en 2023 après plusieurs attaques mortelles. Cent quinze requins avaient alors été tués avant que le tribunal administratif n’interdise ce type d’opérations, jugées trop radicales.
La question revient donc de façon encore plus pressante à l’approche de l’été austral. Y a-t-il vraiment davantage de requins ou seulement plus de regards braqués sur eux ? Ce que l’on sait, en revanche? C’est que la Nouvelle-Calédonie fait partie des régions du monde où le risque requin est déjà considéré comme élevé. Dans ce contexte, la moindre vidéo montrant un aileron près d’une plage déclenche immédiatement l’inquiétude du grand public.
Mi-novembre, la découverte de quatre requins bouledogue dans la grande rade de Nouméa a renforcé ce malaise. Ces animaux, connus pour pouvoir évoluer aussi bien au large que dans des eaux peu profondes, ont été repérés non loin des quais. De quoi rappeler que la ville. Malgré ses baies abritées et ses plages familiales, s’ouvre directement sur un environnement marin. Où cohabitent de nombreuses espèces, parfois imposantes.
Plongeurs calédoniens en première ligne des observations
Parmi ceux qui voient le plus clairement cette proximité nouvelle, il y a les plongeurs réguliers du lagon. Jean-Claude, 55 ans, explore depuis des décennies les baies de Nouméa plusieurs fois par semaine. Selon lui, quelque chose a changé depuis le début de l’année. Lors de quelques sorties seulement, il affirme avoir croisé une douzaine de requins bouledogue. Et plusieurs requins tigre, tous de belle taille.
Ces rencontres ne se déroulent pas au large, mais dans des zones qui, jusqu’ici, semblaient moins concernées. Jean-Claude raconte avoir vu de grands squales tout près de l’îlot Fourmi, au large de la baie de Magenta. Mais aussi un gros tigre à environ 200 mètres du restaurant Le Ponton. Plus impressionnant encore, des bouledogues auraient été observés dans moins d’un mètre d’eau. Là où l’on imagine davantage des baigneurs que des prédateurs marins.
Le plongeur précise qu’il a toujours croisé des requins au fil des années, mais pas dans cette proportion ni aussi près de la côte. Ses vidéos, publiées sur les réseaux sociaux, font réagir d’autres passionnés qui confirment avoir vu eux aussi de grands squales près du rivage. Ces témoignages restent des observations individuelles, mais ils dessinent un tableau cohérent : celui d’animaux qui semblent fréquenter plus souvent la bande côtière.
Entre plages sécurisées et recommandations strictes
Faute d’étude scientifique en temps réel, les autorités doivent s’appuyer sur ce type de remontées de terrain. Le docteur Claude Maillaud, spécialiste de la faune dangereuse, refuse de les balayer d’un revers de main. Sa logique est simple : si des habitants décrivent de gros requins, c’est qu’ils sont bel et bien présents. Partant de là, il estime qu’il faut retrouver une culture de prudence très élevée dans toutes les activités nautiques.
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Pour les baigneurs, le médecin ne passe pas par quatre chemins. Il recommande de privilégier les plages protégées de la baie des Citrons et du Château-Royal, où des dispositifs sécurisés ont été installés. Ailleurs, le mot d’ordre est la vigilance maximale, que l’on nage, que l’on pratique le paddle, le surf ou la plongée. Aucun geste anodin ne l’est vraiment lorsque des requins de grande taille circulent à proximité du rivage.
Le calendrier n’arrange rien. Avec l’été austral, les gros spécimens de requins tigre et de requins bouledogue sont statistiquement plus abondants près des côtes. On sait aussi que c’est durant cette période que la majorité des incidents graves se produisent. Sans verser dans la panique, le spécialiste rappelle que l’on ne peut plus se comporter comme si la mer était un simple décor de carte postale. Les Calédoniens sont invités à intégrer durablement ce risque dans leur quotidien.
Des populations de grands requins en plein rebond ?
Deux ans après les prélèvements massifs menés en 2023, le docteur Maillaud estime que les populations de grands requins ont largement eu le temps de se reconstituer. Ce constat s’appuie notamment sur des travaux réalisés à La Réunion, où les requins bouledogue ont fait l’objet d’études approfondies. Ces recherches montrent que l’espèce est capable de parcourir des centaines, voire des milliers de kilomètres au cours de ses déplacements.
En clair, les espaces laissés vacants par les animaux capturés lors de la campagne d’abattage peuvent être rapidement recolonisés par d’autres individus venus d’ailleurs. Les prélèvements ne suffiraient donc pas à « vider » durablement une zone de ses prédateurs. À l’échelle de l’océan, les grands squales semblent au contraire s’adapter en permanence aux opportunités de nourriture, aux courants, ainsi qu’aux changements de pratiques humaines.
Le Port autonome de Nouméa, éloigné des baies touristiques, a longtemps été considéré comme un véritable « réservoir » à requins. Les choses avaient cependant évolué après l’interdiction du nourrissage intentionnel, plus connu sous le nom de shark feeding. Lorsque des morceaux de poissons étaient volontairement jetés à la mer pour attirer les squales, ceux-ci se concentraient davantage dans la zone. Avec la fin de cette pratique, ils s’étaient fait plus rares dans la grande et la petite rade.
Aujourd’hui, nourrir volontairement un requin est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 89 000 francs. Malgré ce cadre répressif, la présence récente de plusieurs gros bouledogues dans le port montre que l’histoire n’est pas figée. Les animaux semblent revenir, que ce soit pour des raisons alimentaires, environnementales ou comportementales encore mal identifiées.
Au port de Nouméa, caméras et bonnes pratiques renforcées
Le 14 novembre, l’observation simultanée de quatre bouledogues à proximité des quais de Nouville a rappelé à quel point la cohabitation entre activités humaines et faune sauvage reste délicate. Le membre du gouvernement en charge de l’environnement, Jérémie Katidjo-Monnier, en a profité pour remettre un coup de projecteur sur la nécessité de maintenir les efforts entamés depuis la crise de 2019.
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Lors du lancement de l’opération « Cap sur la pêche », il a indiqué avoir sollicité la direction du Port autonome pour vérifier que les bonnes pratiques mises en place par la Fédération de la pêche hauturière étaient toujours appliquées. L’enjeu est double : éviter que des enfants ou des curieux se mettent en danger près des quais, et empêcher le retour de comportements assimilables à du shark feeding, qu’il soit volontaire ou lié à une mauvaise gestion des déchets de pêche.
Pour cela, des caméras ont été installées afin de surveiller les quais et de contrôler les rejets en mer. Les autorités rappellent que les restes de poissons ou de captures non désirées peuvent attirer les squales et modifier leurs habitudes. En limitant ces apports artificiels de nourriture, l’objectif est de ne pas transformer les zones portuaires en cantines à requins, tout en continuant à faire vivre une activité économique essentielle pour le territoire.
Quand les requins compliquent la vie des pêcheurs
Car la présence accrue de squales ne se traduit pas uniquement par une angoisse pour les baigneurs. En mer, les pêcheurs professionnels côtiers constatent eux aussi des changements très concrets. Benoît Beliaeff, qui préside la fédération de la province Sud, explique qu’aujourd’hui, on voit des requins presque tout le temps. Pour les navires qui travaillent au filet, cela signifie des mailles déchirées et du poisson en moins, avec un impact direct sur la rentabilité des sorties.
Les pêcheurs à la ligne ne sont pas épargnés. Entre les appâts qui disparaissent, les prises sectionnées avant d’arriver au bateau et même les plombs parfois arrachés, certaines zones deviennent presque impraticables. À force, quelques professionnels renoncent à fréquenter des secteurs pourtant historiquement productifs. Il ne s’agit pas pour autant, insiste Benoît Beliaeff, de réclamer l’élimination des squales.
Selon lui, le défi est plutôt de trouver comment s’adapter à ce nouveau contexte. Les pêcheurs professionnels sont conscients d’évoluer dans un écosystème où les requins jouent un rôle majeur. Le responsable estime d’ailleurs que la situation tient probablement davantage à une modification du comportement des animaux qu’à un manque de respect des bonnes pratiques humaines. Là encore, faute de données scientifiques fines, il est difficile d’aller au-delà de ce constat.
Un phénomène toujours aussi difficile à décrypter
Reste la question que tout le monde se pose : comment expliquer cette impression de prolifération autour des baies de Nouméa ? Les éléments connus de longue date rappellent que la saison chaude favorise naturellement la présence de grands squales près du rivage. On sait aussi que la topographie du lagon, la richesse de sa faune et certaines activités humaines peuvent accentuer ce rapprochement ponctuel.
Mais au-delà de ces généralités, les autorités comme les spécialistes se heurtent à un mur : depuis plus de dix ans, aucune étude de grande ampleur n’a permis de suivre précisément les populations de requins autour de la capitale. Sans balises, sans observations systématiques et sans analyses croisées sur plusieurs années, impossible de dire si le nombre d’animaux augmente réellement, s’il reste stable ou si l’on assiste simplement à une hausse des signalements.
C’est là que se niche, pour l’instant, la véritable « révélation » de ce début d’été austral 2025. Malgré les vidéos spectaculaires, les témoignages inquiets et les efforts déployés au port comme sur les plages sécurisées, personne n’est en mesure de décrypter finement le phénomène.
La seule certitude partagée est double : la prudence doit rester de mise pour tous les usagers de la mer, et tant qu’aucune étude d’envergure n’aura été menée, la présence accrue de grands requins près des côtes de Nouméa restera, en grande partie, une énigme.