« On n’en pouvait plus » : deux touristes verbalisés pour avoir planté leurs parasols sur la plage
Petit matin sur la côte valencienne. Le jour se lève à peine, la brise vient du large et le sable porte déjà des traces de pas. C’est à ce moment précis que les policiers locaux interceptent deux touristes venus planter leurs parasols sur la plage de San Antonio à Cullera en Espagne. Bien avant l’heure officielle d’accès avec matériel, les vacanciers pensaient s’assurer une vue imprenable. Ils se sont retrouvés face à la réglementation municipale.
La scène illustre une tension devenue familière sur les plages espagnoles. À la bataille des transats s’ajoute désormais la « guerre des parasols ». Et lorsqu’elle commence à l’aube, elle finit rarement sans remous. À Cullera, la consigne est claire : pas de réservation sauvage du sable au petit matin.
Une règle simple : pas de réservation avant 8 heures
D’après la réglementation en vigueur dans la commune. Accéder à la plage de San Antonio « bien avant huit heures » pour y planter parasols et chaises est prohibé. L’objectif est limpide : empêcher que la première ligne du littoral soit accaparée avant l’arrivée des autres baigneurs. La mairie veut garantir une répartition plus équitable des emplacements. Et éviter les tensions qui éclatent quand chacun défend « son » carré de sable.
Le dispositif est renforcé le week-end, quand l’affluence explose. Les agents passent plus souvent, les contrôles se multiplient et les comportements opportunistes sont plus rapidement rappelés à l’ordre. Dans ce contexte, les deux touristes croisés au petit matin par les policiers locaux n’avaient guère d’excuses. Ils sont repartis avec une verbalisation.
« On en avait assez » : le ras-le-bol des riverains
Pour beaucoup d’habitants, la ligne rouge avait été franchie depuis longtemps. Javier Ferrer, qui réside à Algemesí, résume une lassitude largement partagée. Il en avait « marre de voir des parcelles vides », balisées par des cordes et des parasols, tandis que d’autres familles devaient s’entasser plus loin, parfois « en troisième ligne ». Le sentiment d’injustice est vif : ceux qui se lèvent très tôt ne sont pas forcément ceux qui profitent le plus de la plage, mais ils imposent leurs marques, puis s’absentent.
À Cullera, José Vicente Artes le dit sans détour : certains se comportent comme s’ils étaient « les maîtres de la plage ». Planter un parasol, tendre une corde, déposer deux chaises et disparaître une bonne partie de la matinée : la pratique choque, surtout quand la chaleur monte et que les arrivants peinent à trouver de la place. Les conflits éclatent pour des mètres carrés de sable, et la mairie ne veut plus jouer les arbitres d’une compétition qui dégénère.
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Le point de vue des vacanciers : « On ne fait de mal à personne »
Face au coup de vis, les habitués du lever aux aurores se défendent. « On ne fait de mal à personne », assure l’un d’eux. Il explique que, depuis plus de trente ans, sa famille se réveille tôt pour obtenir un emplacement « frais » en bord de mer. À ses yeux, c’est la logique de toute personne déterminée à profiter de la première ligne : qui veut la meilleure place se donne les moyens de l’obtenir. Il estime que la réglementation nouvelle contrarie des « droits » acquis par l’usage.
Une autre voix, celle de Rosa Martinez, met le doigt sur une inquiétude concrète : et les familles qui laissent une chaise quelques instants, le temps d’aller se restaurer ? La peur de la verbalisation plane aussi sur ces cas-là. Entre la tolérance nécessaire et l’abus manifeste, la frontière n’est pas toujours évidente. Et c’est précisément le rôle des policiers locaux de faire la part des choses.
Pourquoi les mairies serrent la vis
Le débat dépasse Cullera. Sur de nombreuses plages, le littoral est devenu un territoire hautement convoité. Les « réservations » sauvages prolifèrent, chacune justifiée par la chaleur, la rareté de l’ombre, l’envie de garder un œil sur les enfants ou la crainte de ne plus retrouver de place au retour du déjeuner. Le problème n’est pas la présence d’un parasol en soi, mais l’occupation prolongée d’un espace laissé vide, matérialisé par des cordes, des chaises et des objets, qui empêche réellement d’autres baigneurs de s’installer.
Dans cette configuration, l’autorité municipale n’a pas tant à arbitrer un conflit de styles de vie qu’à garantir une équité d’accès à la plage. Or l’« équité » se dilue vite lorsque des mètres carrés restent désertés pendant des heures, gardés par des piquets et des tissus. C’est la raison pour laquelle la réglementation privilégie des horaires communs et des usages partagés, au lieu de laisser s’installer des stratégies d’occupation préventive du sable.
La guerre des transats… et maintenant celle des parasols
Depuis plusieurs saisons, la « guerre des transats » rythme déjà les étés ibériques. Les concessions privées, les alignements payants et les zones dédiées ont structuré une partie du front de mer. Du point de vue de certains vacanciers, le marquage au parasol ne serait qu’une réponse non marchande à ce système : se lever tôt pour « gagner » sa place plutôt que la louer.
Mais la comparaison a ses limites. Là où les transats payants occupent des bandes clairement définies, les parasols « sauvages » dessinent une mosaïque mouvante, qui s’étend et se rétracte au gré des horaires de chacun. Cette appropriation informelle fragmente la plage, multiplie les frictions et rend les policiers locaux indispensables. L’intervention du matin à Cullera s’inscrit dans cette logique : prévenir l’escalade avant que la journée ne commence vraiment.
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Un littoral sous pression, porté par un tourisme record
Le contexte joue aussi contre la tolérance. L’Espagne connaît un tourisme massif. En 2024, le pays a battu un record avec 94 millions de visiteurs étrangers, soit 10 % de plus que l’année précédente, rappelle le média Geo. Cette dynamique nourrit l’économie, mais elle appuie sur tous les points sensibles : circulation, bruit, gestion des déchets, prix des locations… et bien sûr, densité sur les plages.
Dans une station très fréquentée comme Cullera, ces chiffres se traduisent par une contrainte visible dès l’aube. Plus il y a de monde, plus l’espace public doit être régulé pour rester vivable. Les règles ne visent pas à « punir » des habitudes en tant que telles : elles tentent d’éviter l’impression, très mal vécue, que la plage se transforme en puzzle d’emplacements privatisés. Quand l’ombre est rare et la première ligne étroite, les conflits ne sont jamais loin.
Entre pédagogie et sanctions : ce que fait la police locale
Sur le terrain, les agents alternent rappel à la loi et verbalisation. La plupart des situations se désamorcent avec une explication : réserver la plage avant l’heure, planter des parasols et des chaises pour marquer une « parcelle », tout cela contrevient à la réglementation municipale. Les patrouilles du week-end, plus nombreuses, visent à décourager les comportements récurrents et à donner un signal clair dès les premières heures.
L’intervention qui a visé les deux touristes ne sort pas de ce cadre. Elle illustre une stratégie de prévention : agir tôt, là où l’occupation illégale commence, plutôt que d’attendre que la plage soit pleine et que les disputes éclatent. En rappelant les horaires et les règles, la commune cherche à éviter les scènes pénibles qui gâchent la journée de tout le monde.
« La plage est à tout le monde » : une question d’équité
Derrière l’anecdote, un principe : l’accès au littoral est un bien partagé. La formule est connue, mais sa mise en pratique est délicate lorsqu’il faut concilier des usages contradictoires. Les plus matinaux se sentent légitimes à occuper la première ligne. Les familles craignent de perdre leur coin d’ombre le temps d’un sandwich. Les riverains voient s’installer des « parcelles » vides qui n’appartiennent à personne et à tout le monde à la fois.
C’est précisément pour clarifier ces zones grises que la réglementation fixe des horaires et interdit la réservation anticipée du sable. On peut discuter de la souplesse nécessaire pour les cas de courte absence. Mais la logique générale reste la même : empêcher que des mètres carrés de littoral soient neutralisés pendant des heures par quelques objets, au détriment du plus grand nombre.
Le dernier mot : ce que risquent concrètement les deux touristes
Reste une question, celle qui fâche : la sanction. Les deux touristes pris en flagrant délit à Cullera n’ont pas seulement reçu un rappel à la loi. Leur verbalisation s’appuie sur la réglementation de la commune, qui prévoit des pénalités dissuasives en cas de réservation illégale de la plage au petit matin. Et cette pénalité n’a rien d’anecdotique : selon les règles en vigueur à Cullera, l’amende peut aller jusqu’à 3 000 euros.