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Licenciée après 27 ans en pharmacie pour absence de diplôme, elle obtient gain de cause contre son employeur

Publié par Killian Ravon le 18 Déc 2025 à 13:01

Pendant près de trois décennies, une salariée a travaillé dans la même officine, au fil des rachats et des changements de propriétaires. Jusqu’au jour où un contrôle administratif met au jour un détail que personne ne voulait vraiment voir.

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Préparatrice en pharmacie au comptoir, manipulant des boîtes, tandis qu’un inspecteur contrôle des documents derrière.
Un contrôle inopiné peut faire remonter, d’un coup, des années de négligences administratives.

S’ensuit un long feuilleton judiciaire, entre licenciement, prud’hommes et juridictions supérieures, dont l’issue réserve un rebondissement.

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Comptoir d’une pharmacie ancienne avec étagères de flacons, scène de vente et de préparation au centre
Un comptoir de pharmacie « à l’ancienne », là où tout commence souvent… et où tout peut basculer.
Crédit : FOTO:FORTEPAN / Karabélyos Péter (CC BY-SA)
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Une embauche en 1998, puis une carrière sans accroc apparent

Tout commence en 1998, dans une officine du Sud de la France. Martine, prénom d’emprunt, est embauchée comme préparatrice en pharmacie. À l’époque, rien ne semble distinguer son dossier de celui d’une autre salariée. Elle s’installe dans le quotidien du comptoir, la routine des commandes, la relation avec les patients, et cette mécanique bien huilée qui fait tourner une pharmacie de quartier.

Les années passent et, vu de l’extérieur, l’histoire ressemble à celle de beaucoup d’employés fidèles. Martine reste en poste, s’inscrit dans la durée, traverse les périodes plus tendues et celles plus calmes. Et surtout, elle travaille dans une entreprise qui, comme beaucoup, n’est pas figée.

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Intérieur d’une pharmacie avec long comptoir, tabourets et clients, éclairage de plafond et rayonnages
Derrière ce type de comptoir, l’administratif compte parfois autant que le quotidien du métier.
Crédit : Joe Mabel (CC BY-SA)

Quand l’officine change de mains, le contrat suit… sans questions

Au fil du temps, l’officine est reprise une première fois en 2002. Puis une nouvelle fois en 2015. À chaque rachat, un point revient : le contrat de travail de Martine est transféré au nouvel employeur. La vie de la pharmacie change de visage, la hiérarchie bouge, mais l’équipe reste en place et l’activité continue.

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Dans ce type de transmission, on imagine souvent des vérifications, des dossiers repris, des documents relus. Pourtant, dans cette affaire, un élément essentiel ne déclenche pas d’alerte pendant des années. Ce détail, justement, va finir par occuper toute la scène.

Sans bruit, la relation de travail se poursuit. Martine cumule l’ancienneté. Les habitudes s’installent. Et quand on a exercé aussi longtemps au même endroit, on finit parfois par croire que tout est définitivement stabilisé.

Assistant en blouse et masque préparant un mélange au mortier, flacons et matériel sur paillasse
Préparer, vérifier, tracer : des gestes précis… dans un cadre très encadré.
Crédit : M Joko Apriyo Putro (CC BY-SA)
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Le contrôle de l’ARS qui fait tomber le décor

Fin 2017, un contrôle inopiné de l’Agence régionale de santé intervient dans l’officine. Ce genre de visite n’a rien d’anodin : elle peut porter sur l’organisation, le respect des règles, et aussi sur les conditions d’exercice des salariés. Ce jour-là, l’inspecteur demande un document très concret : les diplômes de tous les membres de l’équipe.

Et c’est là que la situation se grippe. Le diplôme de Martine ne peut pas être retrouvé. Dans une profession encadrée, l’absence de justificatif n’est pas un simple oubli administratif. L’affaire prend immédiatement une autre dimension : ce qui était resté dans l’ombre pendant des années devient soudain un problème officiel.

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Dans le même temps, Martine est en arrêt maladie depuis décembre. Plusieurs relances ont lieu, mais aucun justificatif n’est fourni. La tension monte. On passe d’une question de papier à une crise de confiance, avec, en toile de fond, le risque que l’officine se retrouve exposée au regard des règles applicables à une profession réglementée.

Marteau de juge en bois posé près d’un socle, avec dossiers flous en arrière-plan dans un tribunal
Parfois, ce n’est pas le fait qui change… mais la façon dont le droit le regarde.
Crédit : Joe Gratz (CC0)

De la faute grave à la bataille judiciaire : l’affaire ne s’arrête pas au licenciement

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En février 2018, l’employeur décide de licencier Martine pour faute grave. La rupture est brutale, et le terme choisi est lourd : il implique, dans l’esprit, que la relation de travail ne pouvait plus continuer, même le temps d’un préavis.

Mais Martine ne l’entend pas ainsi. Elle conteste son licenciement devant le conseil de prud’hommes. Son argument central est simple : selon elle, ses employeurs successifs savaient, ou auraient dû savoir, et ont laissé la situation durer. Autrement dit, on ne peut pas faire comme si le problème surgissait de nulle part, après avoir travaillé ensemble si longtemps.

En 2021, les prud’hommes lui donnent raison et estiment que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Pour Martine, c’est une première victoire. Mais l’histoire ne s’arrête pas là : la pharmacie fait appel, et le dossier repart dans une nouvelle phase, souvent plus technique, plus froide, et plus risquée pour la salariée.

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Le revirement en appel : la notion de loyauté au cœur du débat

En 2023, la cour d’appel infirme la décision prud’homale. Le raisonnement retenu s’appuie sur une idée clé : la salariée aurait manqué à son obligation de loyauté en dissimulant l’absence de diplôme. Dans cette lecture, l’employeur ne serait pas le principal fautif ; c’est l’attitude de Martine, son silence face aux demandes, et le caractère illicite de la situation qui dominent.

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À ce stade, beaucoup auraient abandonné. Après une décision d’appel défavorable, la marche suivante est plus rare : saisir la juridiction suprême. Pourtant, Martine décide d’aller au bout, et se pourvoit en Cour de cassation.

Dans les dossiers de travail, cette étape est particulière. La haute juridiction ne rejoue pas l’affaire comme un nouvel arbitre des faits. Elle examine si le droit a été correctement appliqué, si le raisonnement tient, si les textes ont été respectés. Et c’est souvent là que se cachent les retournements les plus inattendus.

Salle d’audience avec estrades en bois, sièges et grande fresque murale, vue côté magistrats
Quand un dossier monte aussi haut, chaque mot devient un détail qui peut tout renverser.
Crédit : Éric Messel (CC BY-SA)
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La responsabilité de l’employeur face à un poste encadré

Au fil de cette affaire, une question s’impose, presque mécanique : qui doit vérifier, et à quel moment ? Dans une officine, certaines fonctions supposent des conditions précises. Et quand une officine est reprise, le transfert des contrats ne gomme pas les obligations de contrôle.

Ce détail que peu de gens connaissent, c’est que le temps qui passe peut transformer une négligence initiale en nœud juridique. Plus une relation de travail s’installe, plus il devient difficile de prétendre découvrir soudainement un élément fondamental, sans que cela pose une autre question : pourquoi cela n’a-t-il jamais été vérifié avant ?

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C’est précisément ce point qui va devenir décisif dans la dernière phase du dossier. Car au-delà du sort de Martine, le message concerne aussi les employeurs : l’administration peut contrôler, mais l’employeur reste responsable de ce qu’il met en place, de ce qu’il valide, et de ce qu’il laisse durer.

Le rebondissement final : la plus haute juridiction tranche… et renvoie l’affaire

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Le 26 mars 2025, la décision tombe : la Cour de cassation donne raison à Martine et casse l’arrêt d’appel. La juridiction estime que l’employeur, en poursuivant la relation de travail pendant plusieurs années sans vérifier la qualification de la salariée, ne pouvait ensuite invoquer une réglementation à laquelle il avait lui-même contrevenu, ni se prévaloir de sa propre négligence pour reprocher à Martine une faute grave.

La Cour rappelle aussi un principe essentiel dans ce contexte : il appartient au pharmacien de s’assurer que ses subordonnés disposent des diplômes requis pour exercer.

Pour autant, tout n’est pas terminé. L’affaire est renvoyée devant une cour d’appel, celle d’Agen, pour être rejugée. Mais le point central est acté : après 27 ans de présence, l’employeur ne peut pas transformer, du jour au lendemain, un défaut de vérification ancienne en faute grave imputée uniquement à la salariée.

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