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Dénoncé par sa femme pendant son arrêt maladie, il est licencié pour avoir travaillé chez un concurrent et réclame 140 000 €

Publié par Killian Ravon le 17 Nov 2025 à 23:30

En arrêt maladie pour dépression. Ce salarié du secteur de l’énergie pensait pouvoir continuer à assurer quelques formations pour une autre société. En toute discrétion.

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Homme d’une cinquantaine d’années en chemise claire, assis face à deux responsables RH lors d’un entretien de licenciement dans un bureau vitré moderne.
Un entretien de licenciement sous tension après la découverte d’une activité rémunérée pendant un arrêt maladie.

C’est finalement une lettre signée par son épouse qui va tout faire basculer. Jusqu’à un arrêt de la Cour de cassation en juin 2025. L’homme a contesté son licenciement disciplinaire pendant des années et réclamé plus de 140 000 euros. Sans obtenir gain de cause.

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Une lettre de dénonciation écrite par sa femme fait tout éclater

Au départ, rien ne laissait présager une telle chute. L’homme travaille depuis plus de vingt ans dans une grande entreprise publique du secteur de l’énergie. À l’automne 2015, il est placé en arrêt maladie pour dépression, un arrêt qui s’étend sur plusieurs mois. Officiellement, son contrat de travail est suspendu, il n’est plus censé exercer d’activité professionnelle pendant cette période. En coulisses pourtant, il continue à intervenir comme formateur pour une autre société, concurrente de son employeur.

C’est sa propre épouse qui mettra fin à ce double jeu. En juin 2016, elle adresse un courrier à l’entreprise de son mari. Dans cette lettre, elle affirme que ce dernier « travaillait alors qu’il se disait malade ». Qu’il n’était pas réellement en dépression et qu’il « abusait simplement de la société afin de parvenir à ses fins financières ».

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Des propos qui laissent penser à un conflit conjugal. Voire à un geste de vengeance, ce qui conduit l’employeur à rester prudent dans un premier temps.

L’entreprise décide néanmoins de vérifier ces accusations. Une enquête interne est déclenchée et la société concurrente est sollicitée. Cette dernière coopère et transmet plannings, feuilles de présence et factures liées aux missions de formation. Au terme d’un mois de vérifications. Le rapport interne est sans ambiguïté : le salarié a bien animé huit sessions de formation rémunérée entre novembre 2015 et janvier 2016, à chaque fois pendant ses arrêts de travail.

Salle d’audience boisée de la Cour de cassation à Paris, avec tables, fauteuils et lustre, vue de face, prête à accueillir une audience disciplinaire ou sociale.
« La Cour de cassation, dernière étape du parcours judiciaire de ce salarié contestataire. »
Crédit : Tiraden / Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)
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Une « mise à la retraite d’office » qui cache en réalité un licenciement

Fort de ces éléments, l’employeur convoque le salarié à un entretien disciplinaire en août 2016. L’homme doit alors s’expliquer sur ces missions assurées chez un concurrent alors qu’il était censé être en arrêt. Trois mois plus tard, la sanction tombe, rédigée dans des termes pudiques : il est « mis à la retraite d’office ». Sur le papier, l’expression peut laisser croire à une fin de carrière plus ou moins anticipée. Avec pension à la clé.

Dans les faits, il n’en est rien. Cette « mise à la retraite d’office » n’a rien d’un départ choisi ni d’une retraite classique. Il s’agit en réalité d’un licenciement disciplinaire pour faute grave. Tel que le prévoit le statut très particulier des industries électriques et gazières.

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Autrement dit, l’entreprise considère que le salarié a commis un manquement d’une gravité telle qu’il est impossible de le maintenir en poste, même pour la durée d’un préavis. Il n’a droit ni à indemnité de licenciement, ni à indemnité compensatrice.

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Le salarié conteste immédiatement la décision et se présente comme de bonne foi. Selon lui, son activité secondaire n’aurait causé aucun préjudice à son employeur. Il explique qu’il pensait pouvoir cumuler ces deux activités, notamment parce que les formations restaient ponctuelles et n’empiétaient pas sur ses horaires habituels. Pour lui, l’élément déterminant n’était pas l’existence des missions, mais l’absence de dommage concret pour l’entreprise qui l’emploie depuis plus de vingt ans.

Grande salle de conférence moderne avec fauteuils beiges alignés autour d’une table, écran de projection et ambiance professionnelle avant une réunion d’entreprise.
« Formations et réunions : ces missions secondaires qui peuvent coûter cher pendant un arrêt maladie. »
Crédit : Mariakray / Pixabay
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Prud’hommes, appel, cassation : un long parcours judiciaire pour 140 000 €

Très vite, le conflit sort donc du cadre interne pour se transporter devant la justice. Le salarié saisit le conseil de prud’hommes, juridiction compétente pour trancher les litiges entre employeurs et salariés. Il y demande la requalification de la sanction et réclame plus de 140 000 euros de dommages et intérêts, notamment pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et préjudice moral.

Devant les juges prud’homaux, son argumentaire repose toujours sur la même idée : il n’aurait pas commis de faute grave, puisqu’aucun élément ne prouve un préjudice réel pour son employeur. Il soutient avoir agi en pensant que le cumul d’emplois était autorisé et insiste sur sa longue ancienneté. Pour lui, une sanction plus légère, voire une simple mise au point, aurait suffi.

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Les prud’hommes ne sont pas convaincus. Le conseil estime que les faits sont établis, que l’homme a bien travaillé pour une autre société pendant ses arrêts de travail et que cette situation viole le règlement interne. La demande d’indemnisation est rejetée. Le salarié fait alors appel et relance la bataille. Mais en avril 2024, la cour d’appel confirme la décision : pour les magistrats, la violation du règlement suffit à caractériser la faute, même si l’employeur ne démontre pas de préjudice économique direct.

Ne s’avouant pas vaincu, le salarié porte l’affaire devant la Cour de cassation. En juin 2025, la plus haute juridiction française rejette son pourvoi et valide la position de la cour d’appel. Elle considère que, selon le statut applicable aux industries électriques et gazières, le fait d’exercer une activité rémunérée pendant un arrêt maladie constitue en soi une faute grave, sans qu’il soit nécessaire de prouver un dommage pour l’entreprise.

Orateur debout devant un auditoire en tenue professionnelle dans une salle de conférence, illustrant une formation d’entreprise en cours.
« Huit sessions de formation animées alors que le salarié était officiellement en arrêt. »
Crédit : narleymedia / Pixabay
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Un statut spécial plus strict que le droit du travail « classique »

Ce qui rend ce dossier si particulier, c’est précisément ce statut spécial. Comme le rappelle l’avocat du salarié, Roman Guichard, on ne se trouve pas ici dans le cadre du code du travail de droit commun, mais dans celui d’un statut hérité de la nationalisation du secteur de l’énergie en 1946. Ce statut encadre très précisément les droits et obligations des salariés de ces entreprises publiques.

Parmi ces règles figure une interdiction expresse : un agent placé en arrêt maladie ne peut exercer aucun travail rémunéré, quel qu’il soit. Dans ce régime, la faute grave est donc presque automatique : dès lors qu’un salarié travaille pour une autre structure pendant son arrêt, la simple constatation du fait suffit à justifier une sanction maximale. Il n’est pas besoin de démontrer une concurrence directe ou un impact chiffrable pour l’entreprise.

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Pour les salariés du secteur privé soumis au droit commun, la situation est plus nuancée. En principe, le fait de travailler pendant un arrêt maladie ne conduit pas mécaniquement à un licenciement. Les juges regardent surtout s’il y a manquement à l’obligation de loyauté envers l’employeur, par exemple en travaillant pour un concurrent direct ou en occupant un poste incompatible avec l’état de santé invoqué.

Une analyse individuelle du cas

Dans ces cas-là, ils peuvent considérer qu’il existe une cause réelle et sérieuse de licenciement, voire une faute grave, mais l’analyse se fait au cas par cas.

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Dans cette affaire, le cadre était plus rigide. Le statut des industries électriques et gazières assimile toute activité salariée pendant un arrêt à un manquement majeur, indépendamment du type de poste, de la durée ou du préjudice. C’est ce texte que les juges ont appliqué : ils ont constaté que l’homme avait animé huit formations rémunérées en pleine période d’arrêt maladie et en ont tiré toutes les conséquences disciplinaires.

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Illustration d’un groupe de collègues assis autour d’une table de bureau, échangeant devant des ordinateurs portables dans un open space lumineux.
« Le cumul d’emplois et le travail pour un concurrent restent un terrain très surveillé par les employeurs. »
Crédit : TungArt7 / Pixabay

Le salarié repart sans indemnité et doit payer les frais de justice

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Au bout de ce long parcours judiciaire, le salarié se retrouve donc dans une situation très défavorable. Son licenciement disciplinaire pour faute grave est confirmé, aussi bien sur le fond que sur la forme. Il ne perçoit aucune indemnité de licenciement, aucun préavis et ne touche pas les plus de 140 000 euros qu’il réclamait au titre de la rupture de son contrat de travail.

Pire encore, il est condamné à prendre en charge les frais de justice exposés par son ancien employeur. Après près de dix ans de procédure, la stratégie de contestation se retourne contre lui. Cette issue rappelle une réalité que peu de salariés connaissent : dans certains statuts spéciaux, la marge de manœuvre est beaucoup plus étroite qu’on ne l’imagine, surtout lorsque les règles prévoient une faute grave automatique.

Ce que l’on retient surtout de ce dossier, c’est ce détail qui a tout déclenché : une simple lettre envoyée par son épouse à la direction, en plein conflit conjugal, aura suffi à ouvrir une enquête interne, à démontrer un cumul d’emplois interdit et, finalement, à faire valider par la Cour de cassation un licenciement sans indemnité. Un épilogue que cet agent du secteur de l’énergie n’avait probablement pas anticipé en acceptant huit sessions de formation.

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Illustration d’un conférencier en costume présentant un graphique devant des salariés assis, dans une salle de réunion vitrée avec vue sur la ville.
« Une simple mission de formation peut devenir une faute grave si elle intervient pendant un arrêt maladie. »
Crédit : Pixabay / Presentation Business Meeting

Ce que dit plus largement le droit français sur le travail en arrêt maladie

Au-delà de ce cas très spécifique, l’affaire pose une question que beaucoup de salariés se posent : que peut-on faire ou non pendant un arrêt maladie ? En droit français, l’arrêt est une prescription médicale qui impose de cesser son activité professionnelle pendant une durée déterminée, afin de permettre la guérison du salarié.

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Le contrat est suspendu : l’employeur ne fournit plus de travail et le salarié ne fournit plus sa prestation, en contrepartie d’indemnités journalières versées par la Sécurité sociale et, le cas échéant, par l’employeur.

En droit commun, aucune règle ne prévoit automatiquement le licenciement pour le seul fait d’avoir exercé une autre activité pendant un arrêt. Les juges vont plutôt apprécier plusieurs éléments : la nature de l’activité (travail pour un concurrent, activité indépendante, aide familiale), son intensité, sa compatibilité avec l’état de santé invoqué et surtout l’existence d’un manquement à l’obligation de loyauté.

Lorsqu’ils considèrent que le salarié a abusé de son arrêt ou qu’il a agi contre les intérêts de son employeur, ils peuvent valider un licenciement pour cause réelle et sérieuse, voire pour faute grave.

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En pratique, un salarié en arrêt maladie peut parfois exercer une activité légère, par exemple bénévole, dès lors qu’elle n’est pas contraire à la prescription médicale et qu’elle ne nuit pas à son employeur.

Un encadrement précis dans certains cas

Ce qui est strictement encadré, ce sont les activités rémunérées, les missions chez un concurrent ou celles qui démontrent une incompatibilité flagrante avec l’état de santé déclaré. Dans ces situations, l’employeur peut estimer que la confiance est rompue et engager une procédure disciplinaire, que le salarié pourra toujours contester devant le conseil de prud’hommes.

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Enfin, il existe, comme dans cette affaire, des régimes particuliers (statuts de certaines entreprises publiques, contrats spécifiques, fonctions publiques) qui prévoient des règles beaucoup plus strictes. Certains textes assimilent automatiquement à une faute grave le fait de travailler pendant un arrêt, même sans préjudice démontré.

La nécessité de s’informer

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Le piège, c’est que beaucoup de salariés découvrent ces dispositions au moment où la sanction tombe. Ce dossier rappelle donc une chose que peu d’agents connaissent : avant de cumuler des activités, surtout pendant un arrêt maladie, mieux vaut relire très précisément son statut et son règlement interne, sous peine d’apprendre, devant les juges, que la faute grave était écrite noir sur blanc depuis le début.

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