Un maire zappe le 14-Juillet pour des moules-frites : tollé chez ses élus
Le petit village de Thorame‑Basse, perché dans le Haut‑Verdon des Alpes‑de‑Haute‑Provence, traverse une crise politique inédite. À près de 900 km de son mandat, le maire, Bruno Bichon, vit désormais à Sossais, en Vienne.
Ses fréquentes absences physiques suscitent un mécontentement profond parmi les élus et les habitants. Les tensions se sont cristallisées autour de la non‑adoption du budget 2025, laissant la commune dans l’incertitude pour ses projets d’entretien des routes, d’animations culturelles et de soutien aux associations locales.
Une gouvernance à distance contestée
Élu en 2020, Bruno Bichon tient à distance l’essentiel de ses responsabilités. Il assure organiser des réunions par visioconférence et se déplacer sur place au moins une fois par mois. Pourtant, ses adjoints parlent d’un délaissement croissant : la gestion à distance peine à remplacer la présence du maire dans les réunions informelles, les visites de terrain et le suivi quotidien des dossiers. Pour eux, l’efficacité de l’action municipale repose autant sur la disponibilité que sur la compétence administrative.
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Les raisons du déménagement
Officiellement, le départ de M. Bichon vers la Vienne relevait de raisons de santé. Les médecins lui auraient conseillé un environnement moins montagneux pour soigner des problèmes respiratoires. Depuis 2021, il partage donc son temps entre un domicile dans le Poitou et sa fonction de maire dans les Alpes‑de‑Haute‑Provence. Cette organisation, si elle répond à un besoin personnel, heurte le principe même de la proximité, valeur centrale pour un élu local dans une commune de montagne.
Un conseil municipal en ébullition
La tension monte au sein de l’équipe municipale depuis plusieurs mois. Plusieurs conseillers dénoncent un blocage administratif : dossiers d’urbanisme en attente, subventions aux associations gelées, entretien des espaces publics retardé. Les échanges numériques ne compensent plus l’absence de discussions de vive voix, jugées nécessaires pour trancher rapidement et collectivement. Certains élus craignent même pour la sécurité des infrastructures communales, comme les ponts et les sentiers, restés sans contrôle régulier.
Le budget 2025 toujours en souffrance
À la mi‑juillet 2025, Thorame‑Basse n’a toujours pas voté son budget municipal pour l’année à venir. Sans texte budgétaire, la commune ne peut ni lancer de marchés de travaux ni attribuer de subventions. Les commerçants locaux et les associations sportives s’inquiètent de ne pas pouvoir planifier leurs activités ou rénover leurs équipements. Cette situation inédite traduit un immobilisme qui risque de provoquer des retards coûteux et d’alourdir la facture pour les contribuables.
L’avis des habitants
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Pour les quelque 330 habitants de Thorame‑Basse, la politique locale se joue désormais dans un équilibre précaire. Certains regrettent l’absence de manifestations festives, comme les concours de pétanque ou les randonnées thématiques, pourtant essentielles à la cohésion sociale. D’autres s’inquiètent de la détérioration progressive des chemins de randonnée, atout majeur pour le tourisme estival. Plusieurs familles évoquent le sentiment d’être « laissées » alors que la commune jouit pourtant d’un cadre naturel exceptionnel.
Un débat au-delà des frontières communales
Le cas de Thorame‑Basse résonne au‑delà du Haut‑Verdon. Dans de nombreuses petites communes rurales, la question de la télégestion se pose face à la difficulté de trouver des élus locaux disponibles. Si la digitalisation offre des solutions d’organisation, elle ne peut remplacer le contact direct indispensable pour comprendre les réalités du terrain. Des maires voisins, contactés par La Provence, avouent eux‑mêmes la crainte de voir leur collectivité pâtir d’une trop grande distance géographique entre l’élu et ses administrés.
Enjeux légaux et éthiques
En France, le Code général des collectivités territoriales n’impose pas une résidence permanente dans la commune, mais exige que le maire garantisse un service public de qualité. Il doit veiller au bon déroulement des conseils municipaux, à la gestion des finances et à la sécurité de la population. Quand la présence physique de l’élu se fait rare, la légitimité du mandat peut être mise en cause. Des juristes estiment qu’une délégation trop marquée pourrait même conduire à référer la situation à la préfecture pour manquement aux devoirs du maire.
Le rôle clé des adjoints
Dans toutes les communes, le maire s’appuie sur ses adjoints pour exercer sa mission. À Thorame‑Basse, la troisième adjointe, passée dans l’opposition, déplore un manque de concertation : « Nous n’avons plus de visibilité sur les projets. Les arbitrages sont pris à distance sans débat. » L’adjointe chargée des finances assure que les réunions préparatoires se succèdent sans jamais aboutir. Faute de décisions claires de la part de la municipalité. L’équipe municipale, fragmentée, peine à faire émerger une vision commune.
Vers un vote décisif le 24 juillet
Tous les espoirs reposent désormais sur la séance du conseil municipal prévue le 24 juillet 2025. Les élus espèrent enfin obtenir le vote du budget 2025 et débloquer la situation. Certains envisagent une motion de défiance pour contraindre le maire à venir défendre ses orientations. Voire à démissionner pour permettre une élection partielle. À quelques jours de cette date charnière, l’incertitude demeure totale. Les discussions informelles continuent. Mais personne ne sait si le maire fera le déplacement pour clôturer l’exercice budgétaire.
Crédit : Le Passant – CC BY‑SA 4.0
Les conséquences pour les projets locaux
Sans budget voté, plusieurs chantiers sont à l’arrêt. La réhabilitation de la mairie‑école, la remise en état du terrain multisports et l’installation d’une salle polyvalente. Les dossiers de subvention déposés auprès du département et de la région restent en suspens. Les artisans, incapables d’établir un planning, se tournent vers d’autres chantiers. Les associations culturelles, qui devaient lancer un festival de musique en août, craignent de voir leurs financements annulés.
La voix de la préfète
La préfecture des Alpes‑de‑Haute‑Provence, saisie par plusieurs élus, suit la situation avec attention. Sans ingérence directe dans la gouvernance municipale, la préfète peut toutefois rappeler les obligations légales du maire. Une mise en demeure pourrait être envisagée si le blocage persiste, sanctionnant un manquement à la gestion des services publics. Cette perspective ajoute une pression supplémentaire sur Bruno Bichon, dont la présence lors du prochain conseil pourrait déterminer la suite de la mandature.
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Un mouvement de soutien surprise
Dans un contraste étonnant, certains habitants de Sossais ont manifesté leur soutien au maire dans sa commune d’adoption. M. Bichon, élu président du comité des fêtes local. A organisé des rencontres conviviales et gagné la sympathie de ses nouveaux concitoyens. Pour eux, sa capacité à impulser des animations réussies témoigne de son savoir‑faire. Cette popularité croissante renforce toutefois le sentiment d’abandon ressenti à Thorame‑Basse, où la convivialité locale peine à rivaliser avec des soirées moules‑frites bien organisées.
Les leçons pour l’avenir rural
À l’heure où de nombreuses communes rurales peinent à recruter des élus, le cas de Thorame‑Basse pose la question de l’équilibre entre modernisation et proximité. Faut‑il encourager la digitalisation des services publics ou renforcer la formation des équipes de terrain ? Plusieurs experts territoriaux plaident pour un système hybride, combinant des permanences régulières d’un adjoint local et des outils numériques pour le suivi administratif. L’objectif : préserver la qualité du service tout en adaptant la gouvernance aux réalités géographiques.
La perspective des municipales 2026
Bruno Bichon a d’ores et déjà annoncé qu’il ne briguerait pas un second mandat en 2026. Cette annonce redessine le paysage politique de la commune. Plusieurs candidatures commencent à émerger, portées par des habitants de Thorame‑Basse désireux de rétablir une présence quotidienne à la mairie. Certains proposent de créer un poste d’adjoint aux services techniques, chargé de l’entretien quotidien des infrastructures, pour éviter qu’un nouveau maire ne s’éloigne trop.
Un modèle pour d’autres communes
Le cas de Thorame‑Basse pourrait servir d’avertissement à d’autres petites communes tentées par une télégestion quasi exclusive. Il rappelle que la fonction de maire repose sur une notion de service public et de proximité, essentielle pour garantir la cohésion sociale. Les élus ruraux sont aujourd’hui confrontés à un dilemme : concilier leur vie personnelle et la charge de leur mandat sans sacrifier la qualité de la governance.
La mobilisation citoyenne
Face aux blocages, plusieurs habitants ont lancé une pétition pour demander l’organisation d’un référendum local sur la gestion du budget 2025. Les signatures s’accumulent, traduisant un désir fort de contrôle démocratique. Une réunion publique est prévue avant le conseil du 24 juillet, afin d’exprimer directement aux élus les attentes des administrés. Cette initiative inédite montre que la municipalité ne peut ignorer l’exaspération croissante des citoyens.
Après des mois de gestion à distance, de dossiers en suspens et de tensions grandissantes, tout semble désormais dépendre de la prochaine réunion du conseil. Pourtant, l’événement déclencheur de cette crise reste le même : pour célébrer le 14 juillet, Bruno Bichon a préféré participer à une soirée moules‑frites organisée à plus de 900 km, dans la commune de Sossais, plutôt que d’être présent à Thorame‑Basse, actant ainsi publiquement la rupture entre l’élu et sa terre d’élection.