Plus de 10 000 ailerons de requin interceptés au Pérou, une saisie qui en dit long sur un trafic mondial
En ce mois de novembre, les autorités péruviennes ont mis la main sur une cargaison impressionnante d’ailerons de requin dans le principal port du pays. Derrière cette opération conjointe avec les États-Unis. Ce ne sont pas seulement quelques sacs de marchandise qui sont visés. Mais tout un système qui relie des pêcheurs, des intermédiaires et un marché asiatique extrêmement lucratif.
Reste une question dérangeante. Que se passe-t-il réellement avant que ces ailerons n’arrivent dans les entrepôts et sur les tables des restaurants ?
Crédit : Mark Conlin / NOAA / Wikimedia Commons.
Une saisie spectaculaire dans le port de Callao
Le 10 novembre 2025, des agents de l’Agence environnementale du Pérou, épaulés par les autorités américaines, investissent un entrepôt du port de Callao. Près de Lima. À l’intérieur, les enquêteurs découvrent des piles de sacs soigneusement rangés, prêts à partir vers l’étranger. À l’ouverture, le doute n’est plus possible : ce sont des ailerons de requin destinés à l’exportation.
Au total, environ 10 000 ailerons sont répertoriés. D’après les informations relayées par un média américain. La cargaison devait être envoyée en Chine. Ce qui confirme le rôle central du marché asiatique dans ce type de commerce. Les autorités perçoivent immédiatement l’ampleur du dossier. Il ne s’agit plus d’un simple cas de fraude isolée. Mais bien d’une opération structurée.
L’action a été menée par la division spécialisée dans le crime organisé de l’Agence environnementale péruvienne. En coordination avec le service américain de la pêche et de la faune sauvage. Pour ces organismes, ce type de coup de filet vise autant à saisir la marchandise qu’à envoyer un signal fort à ceux qui alimentent encore la pêche illégale.
Crédit : Audrey / Wikimedia Commons.
Un réseau criminel bien organisé dans le viseur
Lors de la perquisition, trois hommes sont interpellés. Ils sont suspectés de faire partie d’un réseau criminel actif dans la pêche illégale et le trafic d’animaux sauvages. Selon les enquêteurs, leur rôle ne se limite pas à stocker la marchandise. Ils seraient impliqués dans la logistique. Le financement et la mise sur pied de circuits d’exportation dissimulés derrière des documents falsifiés.
La valeur estimée de la cargaison donne la mesure du dossier. 11,2 millions de dollars, soit près de 9,7 millions d’euros. Pour un seul entrepôt, une seule journée de saisie. Ces montants illustrent la puissance économique du commerce illégal des produits issus de la faune marine.
Les enquêteurs précisent que les ailerons saisis proviennent notamment de requins bleus, de requins-renards pélagiques et de requins-renards communs. Les animaux auraient été capturés par des pêcheurs équatoriens. Avant que leurs ailerons ne soient achetés puis transportés vers le Pérou. Pour maquiller cette origine, des documents auraient été falsifiés. Afin de faire croire que la pêche avait eu lieu dans les eaux péruviennes.
Ce détail, qui peut sembler administratif, est en réalité crucial. Il montre comment certains réseaux exploitent les zones grises réglementaires et les faiblesses des contrôles pour donner une apparence légale à un commerce qui repose sur des captures non déclarées ou interdites.
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Un marché mondial de plusieurs milliards
Cette saisie spectaculaire n’est que la partie visible d’un phénomène beaucoup plus vaste. Des spécialistes de la conservation des requins rappellent que le trafic d’ailerons pèse plusieurs milliards de dollars à l’échelle mondiale.
Pour certains experts, il s’agit aujourd’hui d’un des segments les plus lucratifs de l’exploitation des océans, au même titre que d’autres trafics inspirés par la demande pour des produits rares ou prestigieux.
Les Nations unies estiment que le commerce mondial des espèces sauvages génère jusqu’à 20 milliards de dollars par an. Le trafic d’ailerons de requin s’inscrit pleinement dans cette économie souterraine, au point de rivaliser avec des activités criminelles comme le trafic de drogue ou d’armes. Une comparaison qui en dit long sur les profits attendus par ceux qui contrôlent ces filières.
Pour les organisations de protection de la nature, chaque cargaison interceptée permet d’envoyer un message, mais elle ne représente qu’une fraction des volumes qui circulent effectivement chaque année. C’est d’ailleurs ce qui pousse certains spécialistes à réclamer des mesures plus ambitieuses, qu’il s’agisse de renforcer les contrôles portuaires, de mieux suivre les navires ou d’harmoniser les lois entre pays fournisseurs et pays importateurs.
Crédit : xmacex / Wikimedia Commons.
Les requins, grands perdants de cette économie
Derrière les chiffres et les saisies spectaculaires, ce sont les animaux qui payent le prix le plus lourd. Les espèces concernées par la cargaison de Callao comptent parmi celles qui sont déjà fragilisées par la surpêche. Chaque lot d’ailerons représente des dizaines, voire des centaines de requins retirés de l’écosystème.
Des experts en conservation alertent depuis des années sur les conséquences de cette pression. Selon eux, le trafic d’ailerons contribue à l’extinction progressive d’espèces menacées de requins et de raies. Certains biologistes marins évoquent même la disparition possible d’espèces emblématiques si les captures ne diminuent pas rapidement.
Mais saviez-vous que l’enjeu va au-delà de la seule survie de quelques espèces spectaculaires ? Les requins occupent un rôle clé dans la régulation des chaînes alimentaires marines. Leur raréfaction peut entraîner des déséquilibres en cascade dans les océans, avec des effets difficiles à anticiper sur la pêche, la biodiversité et la santé des récifs coralliens.
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C’est cette dimension systémique que mettent en avant les défenseurs des océans : protéger les requins, ce n’est pas seulement sauver un animal impressionnant, c’est aussi limiter une exploitation des océans devenue incompatible avec les grands équilibres écologiques.
Crédit : Wikimedia Commons.
Une demande qui résiste malgré les interdictions
On pourrait croire que la multiplication des campagnes de sensibilisation suffirait à faire reculer la demande. Pourtant, la réalité est plus nuancée. Malgré une prise de conscience croissante, les produits issus des requins, et en particulier les ailerons, restent très recherchés dans certaines cuisines asiatiques.
L’association Shark Stewards rappelle que les ailerons sont notamment utilisés dans la soupe aux ailerons de requin, un mets considéré comme prestigieux dans une partie de la gastronomie chinoise. Dans les établissements les plus haut de gamme, le prix d’un bol peut atteindre 100 dollars. Ce détail, que peu de gens connaissent, résume bien le cœur du problème : tant que la demande restera élevée et que les marges seront aussi importantes, les réseaux auront intérêt à contourner les lois.
Les lois, justement, existent. Dans plusieurs pays, la capture de requins ou la découpe spécifique de leurs nageoires est interdite, ou strictement encadrée. Des règles ont été mises en place pour tenter de freiner le commerce illégal d’ailerons et limiter le trafic d’animaux sauvages associé. Mais sur le terrain, les contrôles sont inégaux, les sanctions parfois peu dissuasives, et les frontières maritimes restent difficiles à surveiller.
C’est dans ce contexte que les opérations comme celle de Callao prennent tout leur sens. Elles démontrent qu’une coopération internationale est possible, mais rappellent aussi qu’il s’agit d’une course de fond : pour un conteneur intercepté, combien parviennent encore à passer ?
Crédit : greggman / Wikimedia Commons.
Ce que cache vraiment un simple bol de soupe
Reste un aspect que les chiffres et les montants ne suffisent pas à raconter : la manière dont ces ailerons sont obtenus. La pratique en question est connue sous le nom de pêche ciblée pour les nageoires, et elle est régulièrement dénoncée par les ONG pour sa cruauté animale.
Concrètement, les ailerons de requin sont souvent découpés sur des animaux encore vivants, directement à bord des bateaux de pêche. Une fois mutilés, les poissons sont rejetés à la mer, privés de leurs principales nageoires. Incapables de nager correctement, ils coulent lentement ou dérivent jusqu’à succomber, soit à une hémorragie, soit à une asphyxie faute de pouvoir se déplacer pour faire circuler l’eau dans leurs branchies. Certains deviennent aussi des proies faciles pour d’autres prédateurs.
Cette méthode est interdite dans de nombreux pays, précisément parce qu’elle cumule impact écologique et cruauté animale. Pourtant, elle persiste là où les contrôles sont insuffisants, ou là où les profits potentiels l’emportent sur les risques encourus. Quand on sait que la valeur de la cargaison de Callao frôle les 10 millions d’euros, on comprend mieux pourquoi certains acteurs sont prêts à braver les interdictions.
La prochaine fois que l’on évoque une soupe aux ailerons de requin facturée 100 dollars le bol, difficile de ne pas penser à ce qui se joue bien avant l’arrivée du plat sur la table. Derrière la saisie de Callao, derrière ces 10 000 ailerons alignés dans un entrepôt, il y a des milliers d’animaux mutilés, des océans un peu plus silencieux… et un rappel brutal du prix réel de ce plat de luxe.