Il abat des arbres chez sa voisine pour une vue sur l’océan et se retrouve devant la justice
L’île de Nantucket, au large du Massachusetts, est réputée pour ses maisons en bois peint, ses plages dorées et son ambiance paisible. Jadis simple communauté de pêcheurs, elle attire aujourd’hui résidents fortunés et vacanciers en quête de tranquillité. Ce microcosme insulaire, longé par l’Atlantique, flatte le regard et suscite parfois des convoitises.
Les propriétés s’étendent souvent sur de vastes parcelles boisées, garantissant intimité et lien privilégié avec la nature. Toutefois, les règles locales protègent ces espaces verts, qui servent aussi de barrières visuelles entre voisins. Sur cette île de 15 000 habitants, l’équilibre entre développement immobilier et conservation constitue un enjeu quotidien.
Au sein de ce paysage, un différend récent interpelle : comment concilier envie de côté mer et respect du droit de propriété ? Pour certains, la vue est un luxe légitime ; pour d’autres, elle ne justifie pas l’irrespect des limites foncières.
Entre résidences secondaires et traditions locales
Nantucket connaît une forte pression immobilière, surtout durant l’été. Les maisons s’arrachent à prix d’or, souvent mises en location saisonnière. Cette situation crée une dualité : d’un côté, les habitants à l’année qui chérissent la quiétude, de l’autre, les investisseurs soucieux de valoriser chaque balcon au maximum.
Dans ce contexte, l’idée d’améliorer la vue sur l’océan devient un argument marketing puissant. Les agences immobilières vantent chaque souffle d’air marin visible depuis la terrasse : un atout capable de justifier des millions de dollars. Pourtant, la tentation de « tricher » existe, et certains oublient les règles élémentaires de respect mutuel.
La tradition insulaire prône la solidarité de voisinage, héritée des petits villages de la Nouvelle-Angleterre. Chaque arbre abattu ou chaque haie retranchée peut rompre la quiétude partagée et provoquer des tensions durables. C’est précisément ce qui s’est joué en février dernier sur l’une des routes en pente menant vers la mer.
Le geste qui bouleverse le voisinage
Un matin clair, des habitants ont constaté l’absence de plusieurs grands arbres qui bordaient la propriété de Patricia Belford. Ces végétaux, hauts d’une dizaine de mètres et plantés par sa famille dans les années 1970 pour assurer intimité et protection contre le vent, avaient disparu. À leur place, des souches émergeaient du sol, offrant un angle inédit sur l’horizon.
La nouvelle s’est répandue rapidement : l’abattage avait eu lieu sans autorisation ni avertissement. Certains riverains, témoins de la scène, ont rapporté que l’auteur des faits avait été vu avec une tronçonneuse sur le terrain de sa voisine, puis en train de convier un ancien paysagiste pour dégager les débris.
Pour la propriété Belford, cette intrusion représente une double atteinte : le retrait brutal d’arbressécitaires compromet l’équilibre paysager et brise la promesse d’un cadre préservé, valeur fondamentale de l’île.
Portrait des protagonistes
Patricia Belford vit depuis plus de vingt ans dans cette partie de l’île, au sein d’une maison patinée par les embruns. Elle a toujours entretenu son jardin, veillant à protéger ses plantations centenaires. Pour elle, chaque arbre est un héritage familial et un rempart contre l’intrusion visuelle.
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En face, Jonathan Jacoby, ancien cadre dans la finance, a acquis sa résidence secondaire en 2023. Passionné par la mer, il a rapidement mis sa demeure en vente, insistant sur l’atout majeur d’une exposition maritime. Son annonce, publiée fin février 2025, décrivait déjà une « panorama exceptionnel » sur l’océan.
Malgré une apparence de parfaite intégration, quelques voisins le jugeaient trop discret sur ses véritables intentions. Son projet immobilier laissait supposer un désir de valorisation rapide, quitte à outrepasser certains droits.
Une enquête ouverte par la police locale
Alertée par la plainte de Patricia Belford, la police de Nantucket a diligenté une enquête. Sur l’île, où les effectifs sont limités, ce type de dossier mobilise rapidement plusieurs agents. Les premiers éléments recueillis montrent que l’abattage a eu lieu le 22 février 2025 aux premières lueurs du jour.
L’ancien paysagiste de Jonathan Jacoby a témoigné avoir été contacté pour « nettoyer » le terrain après l’opération. Selon lui, Jacoby aurait reconnu l’acte, avouant vouloir dégager la vue. Cependant, en l’absence d’autorisation formelle, cette confession soulève la question de la légalité.
Les services municipaux envisagent également de vérifier si un permis de coupe était nécessaire. Les règlements locaux stipulent souvent qu’au-delà d’une certaine hauteur ou d’un certain nombre d’arbres, l’accord de la mairie est indispensable. Le dossier pourrait donc s’enrichir d’une dimension administrative complémentaire.
Répercussions environnementales
Au-delà de l’impact esthétique, la disparition de la haie végétale a des conséquences réelles sur l’écosystème local. Les cèdres, les cerisiers et les cyprès de Leyland abritaient oiseaux, insectes et petits mammifères. En les retirant, la biodiversité a été temporairement fragilisée.
Par ailleurs, ces arbres jouaient un rôle de coupe-vent naturel et de barrière contre l’érosion du sol. Dans un environnement côtier exposé aux tempêtes d’hiver, chaque végétal contribue à la stabilité des terres. Leur suppression risque donc d’entraîner un tassement plus rapide et une exposition accrue aux éléments.
Des spécialistes envisagent une replantation à terme, mais rappellent que remplacer des arbres âgés de plusieurs décennies par de jeunes plants ne rétablit pas immédiatement tous les services écosystémiques.
Le marché immobilier secoué
L’annonce de vente de la maison de Jacoby, affichée à 10 millions de dollars, a été mise en suspens par la procédure judiciaire. Les potentiels acheteurs se montrent hésitants, craignant un litige sans fin. Les agences locales soulignent que tout contentieux foncier peut dissuader les candidats, même les plus fortunés.
Pour les résidences secondaires, où l’acquéreur recherche avant tout un environnement paisible, la moindre controverse peut se traduire par une décote importante. Sur une île où chaque vue compte, le risque de conflit est un paramètre désormais pris en compte dans l’évaluation des biens.
Certains professionnels estiment qu’en l’absence d’un règlement rapide, la propriété pourrait perdre plusieurs centaines de milliers de dollars de valeur, voire voir l’annonce retirée définitivement.
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Regards juridiques et précédents
En droit américain, la notion de propriété privée est particulièrement protectrice. Pénétrer chez autrui pour en modifier l’état engage la responsabilité civile et peut ouvrir la voie à des poursuites pénales, selon la gravité des faits.
Des affaires similaires ont déjà été jugées dans d’autres États : par exemple, en Californie, un propriétaire avait été condamné pour avoir abattu une haie séparant deux résidences de luxe. Le tribunal lui avait ordonné des travaux de replantation et versé des dommages et intérêts substantiels.
Sur Nantucket, aucun précédent équivalent n’a été rapporté ces dernières années. Cette absence de cas similaires pourrait inciter la voisine à réclamer un montant important, estimant l’effet dissuasif nécessaire pour éviter toute récidive.
Les enjeux de la réparation
Dans sa plainte, Patricia Belford évalue le coût minimal de remplacement des arbres à près de 486 000 dollars. À cette somme, s’ajoute la demande de 1,4 million de dollars pour dédommagement du préjudice esthétique, de l’intimité perdue et de la dévalorisation de sa propriété.
Le juge pourrait ordonner une expertise indépendante afin de chiffrer précisément les travaux de replantation et la valeur ajoutée perdue. Les critères incluent l’âge des plantations, leur rareté et leur contribution à la qualité de vie.
Si la décision penche en faveur de la plaignante, Jonathan Jacoby pourrait devoir non seulement couvrir ces frais, mais aussi faire face à une peine accessoire, comme l’interdiction de vendre la maison tant que les réparations ne sont pas effectuées.
Vers une issue judiciaire
La prochaine audience est prévue pour la fin de l’été 2025. Les deux parties devraient présenter leurs expertises et témoignages. Les voisins, souvent réticents à s’exposer, pourraient fournir de nouveaux éléments si le tribunal l’autorise.
Le dossier pourrait se conclure par une transaction amiable, comme c’est parfois le cas pour éviter la publicité d’un jugement. Dans ce scénario, Jacoby accepterait de financer la replantation à des conditions fixées par la cour, et la voisine retirerait sa demande de dommages et intérêts.
Toutefois, l’enjeu dépasse la simple réparation financière : il s’agit de rappeler que même sur une île de rêve, le respect mutuel et le cadre légal demeurent essentiels pour préserver l’harmonie locale.
C’est ainsi que Jonathan Jacoby a abattu, le 22 février 2025, seize arbres centenaires sur le terrain de sa voisine pour s’offrir une spectaculaire vue sur l’océan – un geste qui lui vaut aujourd’hui une plainte record de 1,4 million de dollars.
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