« On entend les TER passer, et c’est ce qu’on préfère » : ils vivent dans une ancienne maison de garde-barrière SNCF
Lorsqu’on longe la petite route départementale qui traverse Malemort. On aperçoit soudain une bâtisse de brique rouge coiffée d’un toit d’ardoise. Nichée entre un talus herbeux et un rideau de chênes, cette ancienne maison de garde-barrière attire immédiatement l’œil du curieux.
Son esthétique évoque les heures héroïques du chemin de fer : chaînes de pierres équarries, appuis de fenêtre moulurés, frise de briquettes vernissées. Autant de détails qui racontent une page d’histoire industrielle française. À l’intérieur, le parfum du bois ciré se mêle encore à une légère senteur de suie . Comme un rappel subtil des locomotives à vapeur qui, jadis, soufflaient leur haleine chaude tout près des murs.
Le destin ferroviaire d’un ancien conducteur
Pour Cédric Perraudat, ancien conducteur de trains, la rencontre avec cette demeure s’apparente à un retour aux sources. Lui qui sillonnait les lignes parisiennes et azuréennes a posé ses valises en Corrèze pour conduire les bus scolaires de la région. Pourtant, l’appel du rail ne l’a jamais quitté. Un soir d’octobre, alors qu’il parcourt un site immobilier, il tombe sur l’annonce : « Maison de garde-barrière 1871 ». Le cœur bat. Le lendemain, il organise une visite avec sa compagne Diane Lafabrègue, éducatrice spécialisée passionnée de décoration vintage. Le charme opère instantanément ; le jardin envahi de rosiers sauvages. Et la présence de la voie ferrée à quelques pas suffisent à convaincre le couple de s’engager.
Une transaction parsemée d’obstacles
L’achat, toutefois, n’allait pas de soi. Propriété d’une famille d’anciens cheminots, la maison était restée inoccupée après le décès du dernier occupant. Les héritiers souhaitaient trouver des acquéreurs capables de respecter l’âme du lieu. La mairie de Malemort, quant à elle, envisageait d’exercer son droit de préemption. Afin de démolir la bâtisse et aménager un parking. Il fallut plusieurs rencontres, une pétition locale et surtout l’argument passionné de Cédric pour emporter la décision. Sa carrière de cheminot, ses plans de restauration fidèles. Son désir d’ouvrir ponctuellement la halte au public lors des Journées du patrimoine. Autant de garanties qui convainquirent les vendeurs et firent reculer la municipalité.
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Rénovation : entre conservation et modernité
Une fois les clés en poche, Diane et Cédric se lancent dans une rénovation méticuleuse. Première étape : consolider la charpente, fragilisée par l’humidité. Puis vient la restauration des menuiseries ; chaque huisserie en chêne est poncée, traitée, ré-empierrée. Dans la cuisine, les propriétaires conservent la haute cheminée originelle, symbole des veillées d’antan. Les lambris, trop abîmés, sont remplacés par des lames de sapin lasurées qui reprennent l’esprit d’origine sans trahir l’histoire. L’isolation des combles est assurée par des panneaux de lin et de chanvre. Un clin d’œil à la tradition textile locale et un choix écoresponsable. Au sol, un carrelage hexagonal terracotta offre un contraste chaleureux avec les murs blanchis à la chaux.
Le défi de l’acoustique
Vivre à trois mètres des rails n’est pas anodin. Même si les murs en brique de quarante centimètres amortissent déjà une partie des vibrations. La pose d’un double vitrage feuilleté s’impose. Dans la chambre, ils installent une cloison phonique doublée de liège et de Fermacell ; un investissement conséquent, mais indispensable pour préserver des nuits paisibles. Paradoxalement, Cédric admet qu’il s’endort souvent avant le dernier train : « J’ai passé des années à écouter les moteurs diesel et électriques ; c’est aujourd’hui une berceuse familière ». Diane, elle, profite du bruit régulier des wagons pour rythmer ses séances de yoga matinal ; chaque passage devient un repère, presque une respiration collective.
Un foyer ouvert sur le village
Loin de s’enfermer dans leur cocon, les nouveaux propriétaires ont à cœur de s’intégrer au tissu local. Ils participent aux marchés d’artisans, invitent les voisins pour des barbecues d’été, et ont même proposé d’héberger l’office de tourisme lors d’événements ferroviaires. La petite fenêtre-guichet, réhabilitée, sert désormais de dessert-bar : on y sert café-croissant le dimanche aux randonneurs de passage. Les enfants du quartier, fascinés, viennent écouter Cédric raconter la signalisation mécanique, les lampes à pétrole, et la vie des gardes-barrières qui actionnaient autrefois les lourds dispositifs à manivelle.
Importance stratégique de la ligne Brive-Tulle
La ligne Brive-Tulle n’est pas qu’un décor. Longtemps considérée comme l’un des axes vitaux du territoire corrézien, elle relie le bassin d’emploi de Brive-la-Gaillarde au chef-lieu Tulle et, au-delà, à Bordeaux. L’État et la région Nouvelle-Aquitaine viennent d’y consacrer plus de cent millions d’euros pour fiabiliser la voie, moderniser la signalisation et garantir la régularité des TER. Les élus défendent cette desserte comme un outil de désenclavement, voire de revitalisation démographique pour des bourgs ruraux menacés de dépeuplement. En témoigne l’arrivée récente d’un café-culture au cœur de Malemort, dont la clientèle se compose autant d’artisans locaux que de navetteurs posant valise le temps d’un week-end vert.
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Patrimoine et tourisme ferroviaire
Au fil des saisons, Diane et Cédric voient défiler toute une faune de passionnés : photographes traquant la bonne lumière, amateurs de trains miniatures à la recherche d’inspiration, cyclotouristes empruntant l’ancienne voie verte parallèle. Le couple prévoit d’aménager la dépendance en gîte thématique ; un espace cosy où chaque chambre porterait le nom d’une ancienne locomotive : Pacific, Mikado, BB 8100. On y trouverait des affiches rétro, des banquettes d’autorail rénovées, voire un jeu de cartes imprimé à l’effigie des grandes lignes françaises. Cette orientation touristique répond à une demande croissante ; la SNCF développe d’ailleurs des « escales patrimoniales » pour inciter les voyageurs à découvrir le patrimoine ferroviaire, et la maison pourrait figurer comme halte de charme dans ces circuits.
Un impact écologique mesuré
Vivre à la campagne ne rime pas forcément avec dépendance automobile. Cédric et Diane exploitent la proximité de la voie pour limiter leurs trajets en voiture ; courses à Brive en TER, sorties culturelles à Tulle le samedi, visite chez la famille à Limoges via correspondance. Leur usage de l’énergie respecte une démarche bas-carbone : installation d’un poêle à granulés, chauffe-eau thermodynamique, récupération des eaux pluviales pour arroser le potager. La maison devient ainsi un laboratoire d’écogestes, démontrant qu’un patrimoine du XIXᵉ siècle peut s’adapter aux enjeux du XXIᵉ.
Un pari immobilier gagnant
Dans un marché où les demeures atypiques se valorisent, la plus-value potentielle de cette propriété ne fait aucun doute. Les agences locales soulignent la rareté des maisons de garde-barrière encore sur pied ; la plupart ont été rasées ou transformées sans ménagement. Ici, la conservation scrupuleuse des volumes, alliée à la mise aux normes modernes, crée un bien hors marché classique, prisé par les investisseurs sensibles à l’authenticité. Pour l’heure, le couple savoure surtout le sentiment d’avoir sauvé un fragment d’histoire, tout en se bâtissant un quotidien singulier.
Une révélation à pleine vitesse
Au crépuscule, lorsque la lumière rase dore les briques, Diane éteint les lampes et ouvre grand les volets. Le lointain grondement s’intensifie, puis la motrice surgit, glisse, disparaît. C’est un spectacle quotidien qui ne lasse jamais, un rappel vibrant de la promesse qu’ils se sont faite : vivre pleinement au rythme de la voie ferrée.
Ainsi, ils profitent de vingt-six passages de TER par jour.
- 10/08/2025 à 07:23Je comprends ce gout du passage ferroviaire: quand je me réveille la nuit, je regard l'heure:2h20: les Bordeaux Lyon se croisaient à St Sulpice Laurière quand je rentrais à Paris pur la Fac.Un repaire depuis l'ancien temps.
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