Retraites : la Cour des comptes passe à l’offensive, contrôles renforcés et coups de rabot en vue
La Cour des comptes enclenche une nouvelle étape : après le chômage et le RSA, les magistrats ciblent désormais les pensions. Au programme : contrôle massif de 2 millions de retraités, priorité aux résidents à l’étranger. Et aux personnes en cumul emploi-retraite. Avec suspension rapide en cas de manquements.
Une piste fiscale est aussi sur la table. La fin de l’abattement de 10 % dès 2026, qui ferait grimper la note pour de nombreux foyers.
Des contrôles XXL pour « assainir » le système
Changement de méthode et de tempo. L’institution entend resserrer fortement la vérification des droits pour traquer les versements indus et sécuriser le versement des pensions. La cible est assumée. Les dossiers à risque, notamment ceux des retraités résidant hors de France. Et ceux qui ont repris une activité rémunérée après liquidation de leurs droits.
L’objectif annoncé est de colmater des fuites évaluées à 60 millions d’euros par an. Principalement liées à des paiements qui perdurent. Sans preuve actualisée de l’existence du bénéficiaire. Cette estimation, modeste au regard de l’enveloppe globale des retraites. N’en constitue pas moins un signal. Chaque euro devra être justifié, tracé, documenté.
Dans les prochains mois, près de 2 millions de dossiers seront repassés au crible. Le calendrier est serré. La Cour pousse à accélérer l’échange de données entre caisses, organismes sociaux et services consulaires. Pour détecter plus tôt les anomalies (décès non signalé, identité non confirmée, statut de résidence incertain).
Ce mouvement s’inscrit dans la lignée des contrôles déjà intensifiés côté chômage et RSA. Mais saviez-vous que l’enjeu n’est pas seulement budgétaire ? En rationalisant la vérification, l’institution veut aussi fiabiliser le service rendu aux retraités. En évitant les erreurs de calcul. Et les retards de paiement qui pénalisent les plus fragiles.
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À l’étranger, la « preuve de vie » devient incontournable
Premiers visés : les retraités expatriés, nombreux au Maroc, au Portugal, en Algérie. Ou en Espagne, où résident environ 710 000 pensionnés français. Pour continuer à percevoir la pension. Il faudra transmettre, dans un délai maximal de trois mois, un certificat de vie en cours de validité, une pièce d’identité à jour. Et un acte de naissance récent. À défaut, la sanction est claire : suspension immédiate du versement, sans préavis.
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Dans les faits, la procédure repose sur un maillage précis. Les services consulaires sont appelés à jouer les chefs d’orchestre : réception, vérification, transmission. Une fois les documents validés. La pension est réactivée. Mais un délai de traitement peut s’ajouter, source d’inquiétude pour des retraités parfois isolés ou à la mobilité limitée.
L’administration promet d’industrialiser les échanges grâce au numérique, mais la marche reste haute. Un détail que peu de gens connaissent. Certains pays imposent une certification locale très formalisée. Ce qui oblige à anticiper dès la réception du courrier de demande sous peine de rupture temporaire de ressources.
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Le coup de pression fiscal : la fin de l’abattement de 10 % dans le viseur
Parallèlement, le gouvernement étudie une suppression de l’abattement de 10 % appliqué aux pensions dans le calcul de l’impôt sur le revenu. Si cette mesure entrait en vigueur dès 2026. L’addition serait immédiate pour une grande partie des retraités, y compris ceux résidant en France.
Cet abattement, historiquement justifié par des frais présumés, est sur la sellette au nom de l’équité fiscale et de l’effort budgétaire. Pour les ménages aux revenus modestes, le seuil d’imposition et les dispositifs d’allègement continueraient de jouer, mais la mécanique de pouvoir d’achat se compliquerait, surtout en cas de revenu complémentaire.
Le message politique est assumé : dans un contexte de finances publiques tendues, chaque niche est réévaluée. Cette piste ne préjuge pas de l’arbitrage final, mais elle prépare clairement les esprits à une remise à plat des avantages spécifiques aux pensions. Là encore, la Cour n’impose pas : elle recommande, chiffres à l’appui, et pousse à des décisions « ciblées, rapides et mesurables ».
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Cumul emploi-retraite : fin de partie pour les « effets d’aubaine » ?
Autre chantier central : le cumul emploi-retraite. Depuis 2022, le dispositif progresse à vive allure, dopé par les besoins de main-d’œuvre et l’appétit de certaines professions libérales (médecins, cadres, consultants). Résultat : des revenus cumulés qui, dans certains cas, dépassent 100 000 € par an, sans remise en cause des pensions perçues. La Cour pointe un risque d’opportunisme qui brouille l’équité entre assurés, surtout lorsque le cumul intégral s’applique sans plafond ni contrepartie.
Dans son diagnostic, l’institution préconise un encadrement renforcé : revue des plafonds, conditions d’accès plus strictes pour réserver le mécanisme à ceux qui en ont réellement besoin d’un complément. Les caisses seraient invitées à croiser plus finement revenus d’activité et montants de pension pour détecter les dérives. Prudence toutefois : le cumul répond aussi à des réalités de terrain — maintien de compétences rares, continuité des soins — et tout durcissement devra éviter l’effet boomerang sur des secteurs déjà sous tension.
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Deux profils sous surveillance rapprochée
Dans cette stratégie, deux groupes sont prioritaires. D’abord, les retraités vivant à l’étranger. Au-delà de l’obligation annuelle de « preuve de vie », certains devront composer avec des contraintes administratives locales : délais de rendez-vous, traductions, signatures officielles. La clé sera l’anticipation : ouvrir l’e-mail ou le courrier de la caisse dès réception, scanner les pièces immédiatement, solliciter si besoin l’appui du consulat. Une suspension évitée, c’est un mois de pension sécurisé.
Ensuite, les cumulards emploi-retraite. Ici, la justification des revenus devient centrale : activité réellement poursuivie, mission continue, non-contournement des règles. La Cour pousse à clarifier les seuils et à limiter les cas où la pension devient un filet confortable pendant que se cumulent des honoraires substantiels. Mais saviez-vous que certains profils, partis plus tôt pour carrière longue, ne peuvent de toute façon pas prétendre au cumul intégral avant l’âge légal ? C’est l’un des angles morts souvent oubliés dans le débat.
Un marqueur politique : rigueur et « traçabilité » des euros publics
Au-delà des chiffres, le signal est politique. La Cour des comptes inscrit sa démarche dans une logique de rigueur et de traçabilité de l’argent public. Après le chômage et le RSA, les retraites deviennent la nouvelle pièce maîtresse d’un plan où contrôle, données et réactivité priment. Les prochains mois s’annoncent administrativement chargés pour de nombreux ménages : justificatifs à fournir, comptes en ligne à activer, documents à scanner. Les plus modestes ou isolés pourraient en pâtir ; c’est là que l’accompagnement humain — via les consulats, les caisses, les réseaux associatifs — fera la différence.
Reste une ligne d’équilibre : maintenir la confiance des retraités tout en fermant les brèches. En filigrane, une question revient : jusqu’où pousser le curseur de la lutte contre la fraude sans rigidifier à l’excès un système qui doit rester lisible et accessible ? Les arbitrages attendus, notamment sur l’abattement de 10 %, diront si la rigueur s’arrête aux dossiers à risque ou s’applique plus largement au portefeuille des seniors.
Ce qui se joue dès maintenant pour les intéressés
Concrètement, le réflexe à adopter est simple : vérifier ses courriers et e-mails des caisses, mettre à jour sa pièce d’identité si nécessaire, anticiper la demande de certificat de vie pour éviter tout trou d’air de trésorerie. Les expatriés gagneront à repérer le consulat le plus proche, à préparer une traduction si le pays d’accueil l’exige, et à tester sans tarder les télé-services disponibles. Côté cumul emploi-retraite, l’heure est au tri de ses justificatifs et à la transparence des revenus déclarés : mieux vaut aligner sa pratique sur l’esprit des règles plutôt que de subir un contrôle a posteriori.
Les prochains trimestres diront jusqu’où ira la réforme du cumul et si l’abattement de 10 % est effectivement supprimé. Mais le mouvement de fond est lancé : moins de tolérance pour les situations à clarifier, plus d’outils pour croiser les fichiers et suspendre rapidement les versements non justifiés. Comme souvent, la différence se fera sur l’exécution : qualité des notifications, délais de traitement, possibilité de réactivation rapide en cas de bonne foi démontrée.
Crédit : Ministère de l’Intérieur / Wikimedia Commons
Que retenir ?
Derrière l’arsenal de contrôles et la piste fiscale, une réalité s’impose : en ciblant les expatriés et le cumul emploi-retraite, la Cour des comptes cherche autant à récupérer 60 M€ d’indus qu’à faire passer un message : l’ère des pensions sans preuve et des cumuls sans bornes touche à sa fin — et c’est dès 2026 que l’impact pourrait se voir sur l’impôt des retraités.