Les astronomes tranchent : l’océan de la lune Europe réunit les conditions de la vie
En cette fin 2025, la lune Europe n’est plus un simple caillou glacé qui tourne autour de Jupiter.
Sous sa surface lisse et craquelée. Un océan profond semble réunir eau liquide, source d’énergie et chimie active. Soit les trois piliers de la vie telle que nous la connaissons. Les astronomes se disent désormais formels sur ces conditions…
Tout en rappelant que cela ne signifie pas encore qu’une quelconque forme de vie extraterrestre y prospère vraiment.
Europe, la petite lune glacée qui fait de l’ombre à Mars
Pendant des décennies, Mars a occupé presque tout l’espace médiatique dès qu’il était question de vie ailleurs que sur Terre. Ses anciennes rivières, ses deltas fossiles et sa proximité en faisaient la candidate idéale. Mais discrètement, un autre monde a pris la tête des favoris : la lune Europe, plus petite que la nôtre, blottie dans l’ombre colossale de Jupiter.
Découverte par Galilée en 1610, aux côtés d’Io, Ganymède et Callisto, Europe n’a longtemps été vue que comme une boule de glace. De loin, elle ressemble à une bille de porcelaine blanche, parcourue de longues stries rougeâtres. Sa surface, parmi les plus lisses et les plus jeunes du Système solaire, affiche très peu de cratères d’impact. Ce manque de cicatrices spatiales intrigue : il trahit une sorte de « nettoyage » permanent, signe qu’une activité interne vient sans cesse refaire la croûte.
Les premières preuves de cette agitation cachée sont arrivées avec les sondes Voyager puis Galileo, dans les années 1970 et 1990. Les images ont révélé des zones de chaos, où la glace semble avoir été brisée, déplacée, puis recongelée, comme des plaques d’icebergs pris dans une mer agitée. Très vite, une idée s’est imposée : sous cette coquille de glace, quelque chose de liquide et de mobile devait exister.
Crédit : NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS – Wikimedia Commons (CC BY 3.0).
Un océan global caché sous la glace
La preuve la plus solide de cet océan souterrain n’est pas venue des caméras, mais du magnétomètre de la sonde Galileo. En passant près de la lune, l’instrument a détecté une anomalie : le champ magnétique gigantesque de Jupiter n’interagissait pas avec un corps inerte. Europe « répondait » en générant un champ magnétique induit. Pour les physiciens, il n’y a qu’une explication raisonnable : la présence d’une couche conductrice d’électricité juste sous la surface.
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Le candidat le plus plausible pour ce conducteur est un océan global d’eau salée. Les modèles actuels, nourris par des décennies de données, décrivent une croûte de glace épaisse d’environ 15 à 25 kilomètres. En dessous, un océan pouvant atteindre une centaine de kilomètres de profondeur recouvrirait toute la lune. En volume, cela représenterait deux à trois fois plus d’eau que tous les océans terrestres réunis.
Ce tableau a de quoi faire tourner la tête. Pourtant, les scientifiques le répètent : un océan, même immense, ne suffit pas. Pour qu’un monde soit vraiment habitable, il faut au minimum de l’eau liquide, une source d’énergie exploitable, et les bons ingrédients chimiques. Europe coche désormais ces trois cases, mais cela ne dit encore rien de la présence d’organismes, même microscopiques.
Crédit : NASA / ESA / A. Simon / M. H. Wong – Wikimedia
Chaleur des marées et sources hydrothermales : un moteur pour la vie
A près de 800 millions de kilomètres du Soleil, les rayons solaires sont bien trop faibles pour maintenir de l’eau liquide en surface. L’énergie d’Europe vient d’ailleurs : de l’énergie des marées générée par Jupiter et ses lunes voisines. Europe est littéralement malaxée par les forces gravitationnelles combinées de sa planète géante, d’Io et de Ganymède.
À chaque orbite, la lune est étirée, comprimée, déformée. Cette flexion constante produit de la chaleur à l’intérieur, comme si l’on tordait sans cesse une balle en caoutchouc. Cette chaleur maintient l’océan à l’état liquide et réchauffe également le noyau rocheux. Pour les astrobiologistes, c’est un point crucial : un fond océanique chaud et rocheux est exactement ce qu’il faut pour voir apparaître des sources hydrothermales.
Sur Terre, des « fumeurs noirs » ont été découverts dans les abysses dans les années 1970. Autour de ces cheminées brûlantes, malgré l’absence totale de lumière, prolifèrent des écosystèmes entiers qui vivent grâce à la chimiosynthèse. Au lieu de puiser leur énergie dans la lumière du Soleil, ces organismes exploitent les réactions chimiques entre l’eau de mer et les éléments qui sortent des évents hydrothermaux. Les scientifiques imaginent un scénario comparable au fond de l’océan d’Europe : un monde plongé dans la nuit éternelle, mais traversé de sources chaudes capables d’alimenter une biosphère microbienne.
Crédit : NASA/JPL-Caltech/SETI Institute – Wikimedia Commons
Carbone, oxygène et chimie en mouvement : une batterie planétaire
Restait à vérifier la présence de briques chimiques adaptées à la vie. On parle souvent du fameux « CHNOPS » : Carbone, Hydrogène, Azote, Oxygène, Phosphore et Soufre. Sans carbone, impossible de construire les molécules organiques complexes, comme l’ADN ou les protéines. Pendant longtemps, on ignorait si l’océan d’Europe en contenait vraiment.
Le télescope spatial James-Webb est venu changer la donne. En analysant la lumière réfléchie par la surface de la lune, il a mis en évidence la présence de dioxyde de carbone concentré dans une région chaotique particulière, baptisée Tara Regio. Ce détail est crucial : la zone ne semble pas simplement recouverte de matériau venu de l’espace. Les chercheurs y voient plutôt la signature d’un carbone « frais », remonté depuis l’océan sous-jacent lors d’un épisode géologique récent, peut-être via un geyser ou une remontée de glace.
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La question de l’oxygène est tout aussi fascinante. Les radiations de Jupiter bombardent en permanence la surface glacée d’Europe, cassant les molécules d’eau et produisant de l’oxygène et de l’hydrogène. L’hydrogène, léger, s’échappe dans l’espace ; l’oxygène reste piégé dans la glace. Longtemps, on a pensé que cette réserve restait coincée en surface. Mais l’étude des régions de chaos suggère que la coquille de glace n’est pas un couvercle figé.
Un équivalent à la tectonique terrestre
Les modèles récents décrivent une véritable tectonique de la glace : des plaques superficielles riches en oxydants plongeraient lentement vers l’océan, tandis que de la glace plus fraîche remonterait ailleurs. Ce recyclage transporterait l’oxygène en profondeur, où il pourrait rencontrer les réducteurs (hydrogène, sulfures) issus du plancher océanique. Le résultat serait une immense « batterie chimique » à l’échelle mondiale, mélangeant oxydants et réducteurs dans un océan dynamique, parfaitement adapté à des réactions biochimiques.
C’est là que l’enthousiasme doit pourtant être calmé. Un environnement optimisé pour la chimie de la vie ne garantit pas que la vie ait effectivement émergé. Les astronomes insistent désormais sur cette nuance : les conditions sont réunies, mais il reste à prouver qu’elles ont servi à quelque chose.
Crédit : NASA/JPL-Caltech – Wikimedia Commons.
Europa Clipper et JUICE : les sondes qui devront trancher
Pour l’instant, toutes ces conclusions reposent sur des survols rapides et des observations à distance. La mission JUICE de l’Agence spatiale européenne est déjà en route vers les lunes glacées de Jupiter et doit effectuer deux passages rapprochés au-dessus d’Europe. Son but : affiner les modèles et préparer le terrain pour les investigations plus détaillées.
L’espoir principal se concentre toutefois sur Europa Clipper, laboratoire volant de la NASA lancé en octobre 2024. Une fois arrivée dans le système jovien, la sonde ne se mettra pas en orbite autour de la lune, les radiations étant trop intenses, mais multipliera une cinquantaine de survols au ras de la surface, parfois à seulement 25 kilomètres d’altitude. Son radar pénétrant cartographiera l’épaisseur de la glace, tandis que ses instruments tenteront de confirmer la présence de l’océan et de mesurer sa salinité.
Clipper analysera aussi d’éventuels panaches de vapeur sortant de fractures de la croûte, à la recherche de molécules organiques complexes. Si ces signatures sont confirmées, ce sera un indice de plus que l’océan habitable d’Europe n’est pas seulement un réservoir d’eau, mais un environnement chimique évolué. Là encore, les équipes scientifiques insistent cependant : même des molécules organiques ne suffiraient pas à prouver l’existence de microbes, encore moins d’organismes complexes.
Crédit : NASA/JPL-Caltech – Wikimedia Commons.
Un monde habitable, mais une vie encore hypothétique
La convergence des données de Galileo, de Hubble, du James-Webb et des modèles théoriques a clairement changé le statut d’Europe. La petite lune glacée n’est plus une simple curiosité orbitant autour de Jupiter. Elle apparaît désormais comme le candidat le plus sérieux à l’habitabilité dans notre voisinage cosmique. Les trois piliers de la vie – eau liquide, source d’énergie stable et ingrédients chimiques variés – semblent y être réunis dans un océan enfoui, sombre et agité.
Pour autant, les chercheurs modèrent leurs annonces. Un monde habitable n’est pas automatiquement un monde habité. Il a fallu des centaines de millions d’années et une succession de circonstances favorables pour que la vie apparaisse sur Terre, puis évolue vers des formes complexes. Rien ne dit qu’un scénario similaire se soit rejoué sous la glace d’Europe. Les futures missions pourront tester des hypothèses, mesurer des composés, traquer des signaux chimiques suspects, mais elles ne promettent pas de « photographier » une forme de vie.
En cette fin 2025, la question a donc changé de nature. Il ne s’agit plus de savoir si l’environnement d’Europe est propice à la vie : sur ce point, les astronomes sont désormais confiants. Le vrai suspense réside ailleurs, dans cette interrogation simple et vertigineuse qui reste à la toute fin de l’équation : dans cet océan profond et agité, au cœur de la lune Europe, la vie a-t-elle vraiment réussi à naître un jour ?