À 26 ans, ce jeune consultant en IA a découvert à ses dépens le vrai prix de son « emploi de rêve »
Travailler pour l’élite mondiale du conseil, c’est souvent présenté comme le graal des jeunes diplômés. Pendant des mois, Michael, 26 ans, a tout donné pour ce « job parfait » dans un grand cabinet. Convaincu que son dévouement le mettrait à l’abri.
Mais à force de créer des outils d’IA capables de remplacer des humains. Il a découvert à quel point la frontière entre sécurité et précarité pouvait être mince.
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Le rêve doré des cabinets de conseil prestigieux
Pour beaucoup de jeunes diplômés, intégrer un géant du conseil comme un Big Four représente l’aboutissement d’années d’études exigeantes. C’est exactement ce qui est arrivé à Michael, recruté chez PwC après un parcours présenté comme exemplaire. Le prestige du nom sur le CV, la promesse d’un salaire confortable. Et d’une carrière internationale suffisaient à faire oublier le reste.
Dès son arrivée, le cadre était posé. Une culture de la performance permanente, des objectifs ambitieux et la conviction qu’il fallait accepter de « payer ses dues » pour se faire une place. Michael, passionné par la Tech et l’intelligence artificielle, croyait sincèrement qu’il venait de mettre le pied dans un univers taillé pour lui. L’idée d’un emploi de rêve n’était plus un slogan, mais une réalité qu’il pensait avoir enfin décroché.
Cette dynamique repose aussi sur une forme d’adhésion collective. Entre jeunes consultants. On se répète que ces sacrifices seront un jour récompensés par des promotions, des bonus et un réseau inestimable. Dans ce contexte, douter ou lever le pied est souvent perçu comme un aveu de faiblesse. Michael, lui, a choisi de foncer, sans trop se poser de questions sur le prix à payer.
Une vie rythmée par 80 heures de travail et des agents d’IA
Très vite, le décor se précise. Affecté à une division consacrée à l’intelligence artificielle. Michael ne se contente pas d’animer des réunions. Ou de corriger des slides. Sa mission consiste à développer des agents d’IA autonomes, capables de réaliser des tâches complexes dans des domaines sensibles. Comme la fiscalité ou la conformité réglementaire.
Concrètement, il participe à la conception de programmes capables de synthétiser des textes juridiques, d’analyser des volumes massifs de données ou de produire des recommandations là où, auparavant, des équipes entières de juniors passaient des heures à tout traiter à la main. Ces agents ne sont pas de simples gadgets : ils sont pensés pour s’intégrer au cœur des processus métier.
Pour faire tourner ces projets, le rythme devient rapidement démentiel. Les semaines de 60 heures paraissent presque « normales », et celles de 70 ou 80 heures de travail se multiplient. Les soirées qui s’allongent, les nuits écourtées, les week-ends grignotés par les urgences projet finissent par devenir la norme.
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Dans cette logique, les heures supplémentaires ne sont pas seulement tolérées, elles sont valorisées. On félicite les équipes capables de « tenir la cadence », on célèbre les livraisons de dernière minute, on relativise la fatigue. Michael reste persuadé que sa disponibilité totale prouve sa valeur et renforce sa position. Il pense se rendre indispensable en construisant des outils qui font gagner du temps aux autres.
Ce paradoxe est déjà là, en filigrane : plus ses agents d’IA se perfectionnent, plus ils automatisent des tâches qui justifiaient jusque-là l’existence de nombreux postes juniors autour de lui. Mais pris dans la hustle culture, il n’a pas encore le recul pour mesurer vraiment ce que cela implique.
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Quand l’automatisation rattrape ceux qui la construisent
L’histoire de Michael illustre une ironie devenue familière dans le marché du travail de la Tech. L’automatisation est officiellement présentée comme un moyen d’« optimiser » les ressources, de libérer du temps pour des tâches à plus forte valeur ajoutée et de réduire les coûts. En coulisses, elle permet aussi de diminuer les effectifs humains sans remplacer systématiquement chaque poste supprimé.
Un jour, le discours change subtilement. On lui parle de contexte économique incertain, de nécessité de réorganiser certains services, de rationalisation des coûts dans une activité jugée désormais plus « efficace ». Les outils qu’il a contribué à peaufiner donnent de très bons résultats, absorbant une part croissante du travail qui occupait auparavant plusieurs collaborateurs.
Ce mouvement ne vise pas une seule personne. Il s’inscrit dans une dynamique plus large où les entreprises, y compris les grandes maisons de conseil, testent jusqu’où elles peuvent aller en s’appuyant sur les technologies d’IA pour réduire leurs dépenses. Là où on recruterait autrefois de nouveaux juniors pour suivre le rythme, on mise désormais sur des solutions logicielles capables de traiter une part non négligeable de la charge.
Dans ce contexte, la frontière entre innovation et risque social se brouille. Michael se rend compte que les mêmes arguments qui justifiaient les investissements massifs dans les agents d’IA peuvent aussi servir à légitimer des coupes budgétaires. La question n’est plus seulement : « Que peut faire la technologie ? », mais aussi : « De combien de personnes avons-nous encore vraiment besoin ? ».
Pour beaucoup de travailleurs, ce cas résonne comme un avertissement concret : si même ceux qui conçoivent l’outil sont pris dans cette logique, que peut-il se passer pour ceux qui n’en sont que les utilisateurs ?
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Un avertissement pour une génération épuisée par la Tech
Après ce choc, Michael choisit de ne pas rester silencieux. Il commence à raconter son histoire sur les réseaux sociaux, en détaillant le rythme qu’il s’imposait, la pression constante et la conviction naïve que tout cela finirait forcément par payer. Son constat est tranchant : dans un environnement obsédé par les gains de productivité, la loyauté envers l’entreprise ne suffit plus à protéger qui que ce soit.
Son message touche particulièrement les jeunes actifs de la Tech et du conseil, ceux qui s’identifient à ce parcours fait de nuits blanches, de projets à rallonge et de reconnaissance toujours conditionnelle. Beaucoup y voient un reflet de leur propre situation : un sentiment d’urgence permanent, des limites personnelles floues et une santé mentale reléguée au second plan.
Michael répète une idée simple, mais qu’il dit avoir compris trop tard : « Votre job ne doit jamais devenir votre identité entière. » En d’autres termes, un poste prestigieux, même dans une entreprise mondialement connue, ne garantit ni sécurité, ni considération durable. L’intelligence artificielle accélère encore cette réalité en rendant certains profils plus facilement remplaçables ou, au minimum, moins indispensables.
L’IA, un outil puissant avec des contraintes
Cette expérience résonne aussi avec la montée des discours sur le burn-out dans les métiers de la Tech. Des travailleurs surqualifiés, sursollicités, persuadés qu’ils jouent leur avenir à chaque mission, se retrouvent soudainement fragilisés par des décisions prises bien au-dessus d’eux. La performance individuelle ne suffit plus lorsque la stratégie globale consiste à réduire la dépendance aux humains.
Michael ne présente pas l’IA comme un ennemi absolu. Il reconnaît la puissance des outils qu’il a contribué à développer. Mais il insiste sur un point : s’ils sont déployés sans réflexion sur leur impact social, ces outils peuvent transformer la promesse de progrès en moteur de précarité pour ceux qui en dépendent.
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La révélation qui change tout pour Michael
C’est ici que la dimension la plus glaçante de son histoire apparaît, et Michael ne la découvre qu’après coup. Lorsqu’il apprend qu’il fait partie des personnes remerciées, il réalise que personne ne va occuper sa place. Il ne s’agit pas de le remplacer par un collègue moins payé ou par un junior plus docile, mais de s’appuyer davantage sur les systèmes qu’il a lui-même aidé à bâtir.
Son licenciement s’inscrit dans une « restructuration » rendue d’autant plus simple que les agents d’IA qu’il a contribué à perfectionner permettent de couvrir une part de son périmètre. L’entreprise conserve la technologie, mais se sépare sans hésitation de l’humain qui l’a portée. Il se retrouve ainsi dans la situation paradoxale de l’ouvrier qui installe la machine destinée à le rendre superflu, sauf qu’ici tout se joue derrière des écrans, dans des bureaux feutrés.
Pour Michael, la prise de conscience est brutale : en misant tout sur cet emploi de rêve, en sacrifiant ses soirées, ses week-ends et une part de sa vie personnelle, il a en réalité renforcé un système capable de se passer de lui du jour au lendemain. Son expertise, sa disponibilité et son investissement ont participé à rendre son propre poste plus facile à supprimer.
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Que retenir ?
Cette conclusion, il la partage désormais comme une véritable leçon de vie. Selon lui, il ne faut plus jamais considérer qu’une entreprise, aussi prestigieuse soit-elle, mérite qu’on lui sacrifie sa santé, son équilibre ou ses proches. La technologie continuera d’évoluer, les organisations continueront d’optimiser, mais chaque travailleur garde une responsabilité personnelle : ne pas se laisser enfermer dans une logique où l’on devient soi-même l’architecte de sa propre précarité.
Car derrière cette histoire individuelle, une question demeure pour tous : si même ceux qui conçoivent les outils de l’automatisation peuvent être évincés par les systèmes qu’ils ont créés, qui peut encore se croire totalement à l’abri ?