Fin du remboursement des soins prescrits par des médecins non conventionnés : ce vote discret qui peut coûter cher
Lors de l’examen du PLFSS 2026 cette semaine. La commission des Affaires sociales a validé un amendement passé presque inaperçu : à partir du 1ᵉʳ janvier 2027, les soins prescrits par un médecin non conventionné ne seraient plus remboursés par l’Assurance maladie.
Une mesure technique en apparence, qui pourrait pourtant changer le quotidien d’une minorité de patient. Et peser sur leur facture, alors que la discussion budgétaire s’est tenue fin octobre.
Crédit : Wikimedia Commons / Prazak
Un vote en commission qui change la donne
Tout est parti d’un amendement porté par Thibault Bazin, rapporteur général du budget de la Sécu. L’idée défendue par le député est simple. Aujourd’hui, une ordonnance signée par un praticien en “secteur 3”. Autrement dit hors convention – ouvre les mêmes droits au remboursement qu’une ordonnance d’un secteur 1. Le texte adopté en commission supprime cette équivalence. Concrètement, si la disposition survit au parcours parlementaire et à la navette. Tout acte ou médicament prescrit par un médecin non conventionné. Ne donnera plus droit à aucun remboursement de la part de l’Assurance maladie à compter du 1ᵉʳ janvier 2027. Le message politique est assumé : « responsabiliser » les prescripteurs et pousser les derniers récalcitrants à rejoindre la convention.
Dans la mécanique actuelle, seule la consultation chez un non conventionné est quasi pas remboursée par la Sécu. Le patient reçoit un tarif d’autorité microscopique. De l’ordre de quelques centimes. Sans commune mesure avec le prix réel de la visite. Avec la réforme votée en commission. Ce ne sont plus seulement les honoraires du médecin qui seraient mal remboursés. Ce sont toutes les suites de la prise en charge – examens, imagerie, analyses, médicaments. Qui basculeraient hors remboursement si l’ordonnance émane d’un prescripteur non conventionné.
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Ce que cela change pour un patient au quotidien
Prenons un exemple très concret : une IRM facturée une centaine d’euros en centre d’imagerie. Aujourd’hui, même si l’examen est prescrit par un praticien non conventionné. L’acte lui-même est remboursé sur la base habituelle puisque l’IRM est réalisée dans un établissement conventionné. Et que l’ordonnance est reconnue. Demain, avec la nouvelle règle, la même IRM ne serait plus du tout remboursée. Si l’ordonnance porte la signature d’un médecin en secteur 3. Idem pour un bilan biologique, une radiographie ou un médicament à la pharmacie. Tout dépendra désormais non pas de l’acte ou du produit, mais du statut du prescripteur.
Cette bascule fait apparaître un nouveau réflexe : avant de consulter, les patients devront vérifier le conventionnement de leur médecin. Cela paraît évident, mais dans la réalité, beaucoup s’en remettent à la recommandation d’un proche, à un délai de rendez-vous acceptable. Ou à la proximité géographique. D’où un risque d’effet ciseau : l’accès aux soins est déjà contraint dans certaines zones ; si l’un des rares spécialistes disponibles est non conventionné, la facture finale pourrait soudain exploser pour des actes qui, pris isolément, restent pourtant au cœur du panier remboursé.
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Une mesure à portée limitée… parce que les non conventionnés sont rares
Faut-il s’attendre à un choc massif sur le pouvoir d’achat des patients ? Les chiffres cités par le rapporteur général invitent à relativiser : les médecins non conventionnés ne représentent qu’une infime minorité de l’effectif médical, 927 en 2024. Cela signifie que l’immense majorité des Français ne croisera jamais un prescripteur en secteur 3 dans leur parcours de soins courant. Le dispositif adopté par la commission cible donc une niche.
Pour autant, « niche » ne veut pas dire sans effets. Dans certains bassins de vie, quelques spécialistes reconnus – notamment dans des disciplines où les dépassements d’honoraires sont traditionnels – exercent hors convention. Pour ces patients-là, l’impact peut être très concret : passer par un autre praticien pour obtenir une ordonnance “remboursable”, rallonger le parcours de soins, ou assumer la totalité du coût des actes prescrits. Sur le papier, l’objectif politique est d’inciter ces médecins à se reconventionner. Dans la pratique, tout dépendra de la réaction du terrain.
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Secteur 1, secteur 2, secteur 3 : ce qui ne bouge pas
La réforme ne concerne pas les médecins du secteur 2, ces spécialistes conventionnés autorisés à pratiquer des dépassements d’honoraires. Rien ne change : leurs ordonnances continueront d’ouvrir droit au remboursement selon les règles en vigueur, la facture dépendant ensuite des contrats de complémentaire santé et, le cas échéant, des dispositifs type OPTAM qui limitent certains dépassements.
Le ciblage est donc exclusif : le secteur 3, qui se distingue des deux autres en ce qu’il n’obéit pas à la convention nationale et fixe librement ses tarifs. C’est précisément cette liberté qui, aux yeux du rapporteur, justifie une responsabilisation : si l’on exerce hors cadre, il n’y aurait pas de raison que la collectivité prenne en charge les effets de cette prescription. Mais saviez-vous que la répartition par secteur reste largement méconnue du grand public ? Beaucoup confondent encore « secteur 2 » et « non conventionné », alors que le premier est bien conventionné, avec des dépassements que les mutuelles couvrent souvent au moins en partie.
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Assurance maladie, mutuelles : qui paiera la différence ?
En supprimant la part Sécu sur les prescriptions des non conventionnés, le gouvernement déplace mécaniquement la charge potentielle vers les complémentaires. Les patients concernés auront intérêt à renforcer leurs garanties s’ils souhaitent continuer de se soigner chez ces praticiens tout en évitant un reste à charge prohibitif. Mais cette optimisation a un coût : des cotisations plus élevées, et donc, in fine, une hausse de la dépense pour le foyer. À rebours, certains pourraient choisir d’éviter ces médecins pour préserver leurs droits aux remboursements ; c’est exactement l’effet d’incitation recherché par le texte.
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L’autre conséquence, plus diffuse, tient à la lisibilité du parcours de soins. Entre ticket modérateur, franchises médicales, dépassements, participations forfaitaires et désormais non-remboursement lié au statut du prescripteur, la compréhension du « qui paie quoi » s’éloigne encore un peu plus du patient. Ce détail que peu de gens connaissent : le tarif d’autorité qui s’applique aujourd’hui aux consultations en secteur 3 – quelques centimes – est une relique réglementaire presque symbolique. Demain, même ce mince filet d’eau pourrait se tarir pour tous les actes prescrits.
Une « responsabilisation »… ou un risque de fracture supplémentaire ?
Sur le plan politique, l’amendement défend une logique : aligner la responsabilité du prescripteur sur l’effort de solidarité nationale. Autrement dit, pas de remboursement si l’on sort volontairement du cadre commun. L’argument est recevable, d’autant que la cible est numériquement limitée. Mais, dans les faits, la mesure peut aussi produire des effets indésirables. Elle complexifie la vie des patients dans des territoires déjà touchés par la pénurie de médecins. Elle peut contraindre des malades à doubler les consultations – une chez un non conventionné qu’ils suivent depuis des années, une autre chez un conventionné pour obtenir une ordonnance « valide » – avec un coût global et une perte de temps qui interrogent.
Au-delà des chiffres, c’est un signal adressé aux professionnels : « rentrer dans le rang » ou assumer les conséquences pour vos patients. Incitation efficace ou braquage inutile ? Si la mesure survit aux débats en séance et à la suite du parcours parlementaire, la réponse viendra du terrain. On surveillera aussi la réaction des complémentaires santé : rehausseront-elles certaines prises en charge pour éviter des renoncements aux soins ? Ou laisseront-elles ce champ hors garantie, au risque d’un reste à charge total ?
Calendrier, périmètre et ce que la suite nous dira
Le calendrier prévu donne de la visibilité : application au 1ᵉʳ janvier 2027. D’ici là, la mesure doit encore passer l’épreuve des hémicycles, puis celle d’une éventuelle censure constitutionnelle si des cavaliers sociaux étaient relevés. Le périmètre, lui, est net : il n’inclut pas les médecins en secteur 2 et ne modifie en rien les règles de remboursement pour des ordonnances émanant de praticiens conventionnés. La boussole est fixée : ce qui compte, c’est qui prescrit.
Reste un point que la commission n’a pas tranché dans le détail : l’articulation avec des situations médicales urgentes ou rares pour lesquelles un spécialiste hors convention serait le seul disponible dans un délai raisonnable. En pratique, ces cas seront sans doute marginaux, mais ils existent. Et, comme souvent, ce sont ces exceptions qui donnent toute sa consistance au débat public.
Crédit : Paris Musées / Musée Carnavalet (CC0)
Que retenir ?
La mesure n’a concerné en 2024 que moins de 1 000 médecins : une poignée qui exerce hors du cadre de l’Assurance maladie. C’est précisément ce caractère ultra minoritaire qui explique qu’elle soit passée sous les radars fin octobre lors de l’examen du PLFSS 2026. Mais si le signal politique est compréhensible, il déplace une partie de la charge financière vers des patients qui n’ont pas toujours le choix de leur prescripteur et empile une règle de plus dans un système de remboursement déjà illisible pour beaucoup.