Pourquoi vous ne verrez (presque) jamais un grand requin blanc dans un aquarium
Redouté depuis « Jaws » et considéré comme l’un des rois de l’océan, le grand requin blanc fascine autant qu’il effraie. Pourtant, les aquariums du monde entier ont dû renoncer.
Ce prédateur ne supporte pas la captivité. Retour sur des tentatives spectaculaires… et sur la raison, bien plus dévastatrice qu’on ne le croit, qui condamne ces essais.
Tentatives après tentatives, un même constat d’échec
Pendant des décennies, des établissements prestigieux ont pensé qu’ils pourraient offrir au requin blanc un espace sécurisé et contrôlé. L’idée paraissait logique : si les zoos parviennent à héberger des lions et des tigres, pourquoi les aquariums n’y arriveraient-ils pas avec un squale ? La réalité s’est vite chargée de doucher cet espoir. Aux États-Unis, plusieurs captures ont été tentées. À chaque fois, l’histoire s’est terminée en quelques semaines, parfois en quelques jours. Avant les années 2000, la durée « record » de survie en bassin a plafonné à 16 jours. À l’échelle d’un animal conçu pour parcourir des kilomètres, cette durée infime apparait comme un signal d’alarme que beaucoup ont préféré entendre tard.
Cette succession d’échecs n’a pas tenu à un manque d’expertise ou de moyens. Elle a surtout révélé ce que peu de visiteurs devinent en admirant une baie vitrée géante : certains animaux, même spectaculaires, ne peuvent être « réduits » à un bassin, si vaste soit-il. Chez le requin blanc, l’incompatibilité semble inscrite dans son mode de vie, dans sa physiologie et dans son comportement.
Des cas emblématiques qui ont marqué les aquariums
Au début des années 2000, un épisode a beaucoup fait parler : en 2004, l’aquarium de Monterey Bay est parvenu à maintenir un jeune individu, mesurant moins de cinq pieds, pendant environ six mois. Sur le papier, c’était une première encourageante. Dans les faits, l’expérience s’est assombrie : l’animal a tué deux autres requins du même bassin. Devant cette agressivité croissante, l’équipe a décidé de le relâcher. Le coup de massue est tombé peu après : trois jours plus tard, le squale est mort, loin de la vitre, mais sans retrouver la liberté qui l’avait façonné.
Quelques années plus tard, au Japon, une tentative similaire à Okinawa a confirmé l’issue déjà observée. Là encore, l’animal n’a tenu que trois jours. Ces épisodes ne sont pas anecdotiques. Ils ont progressivement convaincu la plupart des institutions qu’il fallait renoncer à présenter un tel prédateur derrière une vitre. Une sorte de consensus de terrain s’est formé : la captivité d’un grand requin blanc est une fausse bonne idée.
À lire aussi
Dans le même temps, la réputation des squales n’a jamais été simple. Depuis 1975, la sortie de « Jaws » a figé dans l’imaginaire collectif l’image d’un tueur tapi sous la houle. Les faits divers n’arrangent rien, comme ce requin Dusty décrit comme « inoffensif » qui a récemment tué un plongeur en apnée lors d’une frénésie alimentaire. Difficile, dans ces conditions, de susciter l’empathie du public. Pourtant, la fin de ces essais en aquarium ne tient pas à la peur qu’ils inspirent ; elle tient d’abord à ce que l’animal vit réellement entre quatre vitres.
Un nom qui fait frissonner, des individus bien réels
La culture populaire adore les superlatifs, et certains requins semblent faits pour les nourrir. Les scientifiques suivent ainsi Contender, un mâle d’environ 14 pieds, considéré parmi les plus massifs jamais observés pour son sexe. Ces silhouettes puissantes rappellent qu’un squale de cette trempe peut tuer un humain. Ce constat suffit à refroidir toute velléité de « cage » au sens propre. Pourtant, là encore, ce n’est pas la dangerosité qui explique le mieux l’échec des aquariums. C’est plutôt la distance qui sépare l’existence réelle d’un grand prédateur de ce que devient cette existence une fois confinée.
À l’état sauvage, ces animaux couvrent des kilomètres, changent de profondeur, accélèrent, ralentissent, explorent. L’eau n’est pas un simple volume ; c’est un paysage dynamique, un monde de courants, de températures et de repères invisibles. Enfermez-le, et vous changez la nature même de son espace.
Programmé pour l’immensité, pas pour les angles d’un bassin
Les spécialistes qui ont observé ces essais convergent : le grand requin blanc a évolué pour nager sur de très longues distances. Un bassin, même immense, restreint son horizon, impose des virages et des angles qui lui sont étrangers. Très vite, les premiers signes apparaissent. Le squale heurte la vitre, parfois à répétition. Il nage mal, semble chercher une trajectoire qui n’existe pas, perd la fluidité qui fait sa signature au large. Ce détail que peu de gens connaissent : ces collisions ne sont pas seulement impressionnantes pour les visiteurs, elles déclenchent une spirale de blessures et d’épuisement.
Le refus de s’alimenter s’invite souvent très vite. L’animal ne mange plus, ou se nourrit trop peu. On a vu des individus refuser leur nourriture, se laisser dépérir, comme si l’environnement ne faisait plus sens. À cela s’ajoutent des signes que les soigneurs redoutent : une agressivité qui monte, des comportements désordonnés, des mouvements brusques près des parois. Certains parlent de squales « déprimés », un mot imparfait mais qui dit le ressenti : un animal stressé, désorienté, qui ne se reconnaît plus.
Plus le temps passe, plus l’équation devient insoluble. L’addition des chocs, de la privation alimentaire, du stress et de la claustrophobie aquatique conduit à une issue quasi inévitable : la mort, parfois rapide, parfois précédée d’une détérioration qui met aussi en danger les autres pensionnaires du bassin.
Quand l’aquarium devient un problème, pas une solution
Sur la durée, le tableau est sans appel. Avant le millénaire, 16 jours ont souvent représenté un horizon maximal. Le « succès » apparent de Monterey Bay n’en était pas un : six mois de captivité pour un juvénile de moins de cinq pieds, deux squales tués pendant l’essai, puis un relâcher suivi d’une mort en mer trois jours plus tard. À Okinawa, l’histoire s’est clos en trois jours. Ajoutez à cela des collisions régulières avec la vitre, des difficultés à nager, des refus d’alimentation, une violence accrue, et vous obtenez un constat difficile à contester.
À lire aussi
Mais saviez-vous que la plupart des institutions ont fini par refuser collectivement de poursuivre ces essais ? Ce n’est pas un renoncement par facilité, ni par idéologie. C’est l’apprentissage, un peu rude, d’une limite éthique et biologique. Oui, l’humain peut construire des bassins gigantesques. Non, cela ne suffit pas à recréer l’immensité fonctionnelle dont a besoin un prédateur taillé pour l’océan ouvert.
Cette conclusion vaut aussi pour notre regard. On peut détester ces animaux à cause de leur réputation, on peut les craindre, mais on doit admettre que les enfermer les détruit. Intervenir au nom de la sécurité ou de la curiosité s’est retourné contre l’objectif lui-même. Le spectacle a tourné court, le coût animal s’est révélé trop lourd, et même la pédagogie n’a pas trouvé son compte dans ces essais.
Faut-il renoncer pour de bon ?
D’aucuns diront qu’à l’ère des prouesses techniques, quelqu’un tentera encore. On peut presque le parier, tant la bêtise sait parfois s’habiller d’innovations. Pourtant, l’expérience accumulée trace une ligne claire. L’argument de la sécurité ne tient pas : ce n’est pas parce que le prédateur est dangereux qu’il « faut » le dompter en bocal. Et l’argument du spectacle n’est plus recevable : montrer un requin blanc affaibli, désorienté et agressif n’a rien d’un outil d’éducation.
Les tentatives passées ont montré que, même jeune, même de taille modeste, le squale ne s’adapte pas. Monterey Bay l’a appris à ses dépens ; Okinawa aussi. Les établissements américains des décennies précédentes l’avaient déjà vécu. De quoi convaincre que la meilleure manière « d’exposer » un tel animal est de le laisser vivre là où il peut nager, chasser et parcourir l’océan comme il l’entend.
Reste la curiosité, immense, que nourrissent ces créatures. Elle peut trouver des chemins plus respectueux : des films tournés au large, des expéditions encadrées, des études scientifiques qui suivent des individus comme Contender pour raconter leurs migrations. C’est moins spectaculaire qu’une vitre, mais infiniment plus fidèle à la vie réelle de ces animaux.
Et si l’on devait résumer, sans détour : la raison dévastatrice pour laquelle vous ne verrez jamais de grand requin blanc dans un aquarium, ce n’est pas sa dangerosité. C’est que la captivité le tue : chocs, stress, refus de s’alimenter, blessures, désorientation… jusqu’à l’issue fatale. Voilà la vérité, simple, brutale, et longtemps mal comprise.