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Des requins qu’on pensait inoffensifs ont tué un humain pour la première fois : que se passe-t-il ?

Publié par Killian Ravon le 29 Oct 2025 à 23:04

Le 21 avril 2025, un nageur de 40 ans a été tué au large d’Hadera (Israël) lors d’une interaction avec des requins requiem de sable (Carcharhinus obscurus), une espèce pourtant jugée peu dangereuse.

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Regroupement de requins requiem de sable près d’Hadera, Israël, sous une mer bleu-vert, avec un snorkeleur en arrière-plan et la centrale au loin.

Les biologistes y voient l’effet pervers d’un écotourisme mal encadré et du nourrissage qui modifie le comportement des animaux. Voici ce que l’on sait d’un drame sans précédent… et ce qu’il change.

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Une sortie d’observation qui vire au drame

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Le 21 avril 2025, à une centaine de mètres du rivage d’Hadera, un nageur équipé d’un tuba filme, avec une GoPro, un groupe de requins requiem de sable. La zone est connue des plongeurs : l’eau y est plus chaude en raison du rejet de l’usine de dessalement et de la centrale, ce qui attire les squales en hiver comme au printemps. D’après le récit reconstitué par les scientifiques, un premier requin approche la caméra, semble tenter de mordre l’objet… et atteint le bras de l’homme. Le choc, le sang, la panique : le décor d’une frénésie alimentaire est posé en quelques secondes.

Des témoins racontent avoir entendu des cris, avant de voir l’eau rougir. Le lendemain, des restes humains sont retrouvés en mer ; l’analyse médico-légale confirmera l’identité de la victime et conclura à des morsures multiples. Ce cas est officiellement présenté par les auteurs comme le premier décès attribué à des Carcharhinus obscurus sur un humain, une espèce classée « non agressive » dans la plupart des guides d’observation.

La centrale d’Hadera sur la côte méditerranéenne, dont l’eau plus chaude attire chaque hiver des requins près du rivage, vue générale au large
La centrale d’Hadera, point chaud où se regroupent les squales durant l’hiver.
Crédit : גיא חיימוביץ / CC BY-SA 3.0
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Pourquoi ces requins « inoffensifs » étaient-ils là ?

Le littoral d’Hadera présente une particularité physique : des rejets d’eau plus chaude qui concentrent les proies, donc les prédateurs. Chaque hiver, des dizaines, parfois des centaines de requins — requins requiem de sable et requins gris de récif proches — se rassemblent à proximité. Cette concentration n’est pas en soi un danger pour l’humain : ces squales au gabarit impressionnant (jusqu’à 4 m et près de 300 kg pour certains individus) se nourrissent d’abord de poissons, de crustacés ou de céphalopodes, et se montrent le plus souvent indifférents aux baigneurs.

Le problème ne vient pas de leur nature, mais du contexte : proximité de la rive, visibilité parfois réduite, et surtout accoutumance créée par l’humain lui-même. C’est ici que la frontière entre observation et perturbation se brouille.

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L’engrenage : de l’accoutumance au déclencheur

Les biologistes marins à l’origine de l’analyse pointent un facteur qu’ils jugent décisif : l’approvisionnement artificiel de squales par certains opérateurs ou visiteurs, afin de « garantir » la rencontre. Le nourrissage répété apprend aux animaux qu’une main, une embarcation ou un objectif de caméra peuvent rimer avec nourriture. Résultat : comportements de mendicité, prises de risque accrues, curiosité exacerbée. Dans ce cas précis, un requin « audacieux » aurait visé la GoPro tenue à bout de bras ; la morsure mal orientée touche le nageur, provoque une effusion de sang et la panique de la victime, puis un mouvement de compétition entre squales.

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C’est le mécanisme classique de la frénésie alimentaire : dans un groupe déjà excité par des stimuli olfactifs et sonores, la première morsure — même accidentelle — déclenche des attaques en chaîne. Dans ces minutes confuses, tout objet proche peut être pris pour une ressource : un poisson, un congénère, un humain. « La nature non instinctive de proie de la victime humaine » finit par compter moins que l’urgence de « gagner » la bouchée suivante.

Vue de la centrale électrique d’Hadera et du littoral adjacent où sont souvent observés des requins en saison, perspective depuis la plage
Le site industriel qui réchauffe localement l’eau de mer et attire poissons et requins.
Crédit : Israel Preker / CC BY 2.5

« Inoffensifs »… tant que l’on respecte de simples règles

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Le requin requiem de sable n’est pas le requin-bouledogue, souvent cité pour son agressivité en eau trouble. Il n’en reste pas moins un animal sauvage, puissant et opportuniste. Là où l’on encadre les interactions, les accidents graves demeurent rarissimes ; là où l’on banalise la promiscuité, les risques augmentent mécaniquement. Le contraste se voit à Hadera : d’un côté, une communication touristique qui insiste sur la « tranquillité » de l’espèce ; de l’autre, des individus au sommet de la chaîne alimentaire, rendus hardis par les récompenses faciles et par la présence constante d’humains.

Cette ambivalence est la clé de lecture la plus utile pour le grand public. On peut admirer, filmer, étudier, mais à distance. On peut organiser des sorties, mais sans nourrissage ni gestes qui modifient les routines des animaux. Et on peut même comprendre l’attrait des vidéos spectaculaires ; mais saviez-vous que de simples mouvements désordonnés à la surface, associés à une odeur de sang, suffisent à transformer un attroupement placide en scène dangereuse ?

Large panorama de la côte d’Hadera en Méditerranée, avec plage et houle, zone connue pour les regroupements saisonniers de requins
Un littoral attractif pour les baigneurs… et les prédateurs marins en hiver.
Crédit : Wikimedia Commons / CC BY-SA
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L’écotourisme responsable mis à l’épreuve

Les auteurs ne condamnent pas l’écotourisme en bloc. Bien au contraire : bien pensé, il protège les requins en valorisant leur rôle écologique, en décourageant la pêche et en générant des revenus locaux. Ce que leur étude dénonce, c’est la version dévoyée des pratiques : interactions trop fréquentes, habituation délibérée, promesses d’« expérience garantie ». À Hadera, ce cocktail aurait préparé le terrain de l’accident : un requin intrigué par une GoPro, une morsure initiale probablement involontaire, puis un emballement collectif.

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Le message est direct : interdire le nourrissage de requins dans les zones concernées — y compris en Méditerranée —, rétablir des distances minimales, responsabiliser les organisateurs et informer clairement le public. Ce détail que peu de gens connaissent : une simple règle d’observation — rester à l’horizontale, limiter les éclaboussures, garder les bras près du corps — réduit déjà nettement l’ambiguïté du signal envoyé à l’animal.

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Requin gris (Carcharhinus plumbeus) en milieu marin, espèce souvent observée aux côtés du requin requiem de sable près d’Hadera
Un « cousin » fréquent des dusky sharks dans les regroupements saisonniers.
Crédit : Wikimedia Commons / CC BY-SA

Les mots qui comptent après un drame

Dans les heures qui ont suivi, certains ont réclamé l’abattage des squales présents au large d’Israël. Les chercheurs, eux, mettent en garde : c’est la réponse la moins fondée scientifiquement et la plus contre-productive. D’abord parce que l’attaque est sans précédent pour cette espèce. Ensuite parce que l’épisode semble d’abord humain dans ses causes : accoutumance, nourrissage, surexposition. Enfin parce que tuer des animaux au sommet de la chaîne trophique déséquilibre les écosystèmes côtiers, alors même que l’on cherche à les préserver.

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Il y a aussi la question de la communication publique. Insister sur la rareté de tels événements, sur les gestes de prudence et sur la responsabilité des encadrants permet d’éviter l’emballement. À l’inverse, gonfler la peur ou promettre des « rencontres garanties » entretient un cercle vicieux dont animaux et humains finissent par payer le prix.

Large vue de la plage d’Olga à Hadera, côte méditerranéenne, sable doré et houle légère, zone connue pour les regroupements saisonniers de requins.
Hadera, plage d’Olga — Un tronçon typique du littoral où, en saison, l’eau plus chaude attire poissons et prédateurs marins. Crédit : PikiWiki Israel / CC BY 2.5.
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Ce que change l’étude… et ce qu’elle ne change pas

Ce cas d’Hadera ne transforme pas des requins « paisibles » en « tueurs ». Il rappelle que, dans des conditions artificielles, on peut pousser presque n’importe quel grand prédateur à commettre des erreurs. Il rappelle aussi que filmer de trop près, tendre un objet brillant à un animal en compétition, ou multiplier les snacks marins pour « faire venir » le sujet, revient à réécrire les règles du milieu. Saviez-vous que la frénésie alimentaire peut également conduire ces squales à se mordre entre eux ? Dans la chaîne des causes, l’humain reste au premier plan.

La voie d’avenir est donc connue : bannir l’approvisionnement artificiel, former sérieusement guides et opérateurs, définir des périmètres d’observation, rappeler les bases aux nageurs autonomes, et accepter que la meilleure vidéo est parfois celle que l’on ne prend pas.

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L’étude conclut qu’éliminer les requins serait « la pire solution » : la responsabilité du drame repose essentiellement sur les pratiques humaines, et c’est en rétablissant une distance naturelle — sans nourrissage, sans promesse de « frisson garanti » — que l’on évitera qu’un tel accident se reproduise.

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