Au large de Majorque, une rencontre rarissime confirme l’importance d’une île protégée
Depuis quelques jours, une vidéo impressionnante tournée au large de l’île de Cabrera, près de Majorque, intrigue autant qu’elle fascine les spécialistes. Ce qui ne devait être qu’une sortie scientifique de suivi écologique. A débouché sur des images rarissimes tournées en pleine Méditerranée.
Derrière ces quelques secondes captées sous la surface se cache une information majeure pour les chercheurs… Dont la véritable portée n’apparaît qu’en fin d’enquête.
Crédit : Wikimedia Commons
Une mission scientifique de routine qui bascule dans l’exceptionnel
L’observation ne s’est pas faite au hasard. Une équipe de biologistes marins travaillait au large de Cabrera. Dans le cadre d’un suivi d’espèces au sein de la zone marine protégée. Les chercheurs mènent régulièrement ce type de missions autour de l’archipel pour mesurer l’état de la faune. Et documenter le retour d’animaux longtemps considérés comme rarissimes dans la région.
Ce jour-là, les conditions sont idéales. Mer relativement calme, visibilité correcte, trafic de bateaux limité. Dans ce décor typique des Baléares, l’équipe collecte des données classiques. Température de l’eau, présence de poissons pélagiques, éventuels oiseaux marins. Rien, en apparence, ne laisse présager qu’un animal inhabituel va entrer dans le champ de la caméra.
C’est pourtant ce qui se produit lorsque, sur les images, une silhouette massive apparaît en arrière-plan. Un long corps fuselé, une nage lente, presque lourde, une présence qui semble surgir des profondeurs plutôt que du large. Les chercheurs comprennent vite qu’ils ne sont pas face au simple passage d’un poisson de grande taille. Mais devant l’un de ces « fantômes » de la Méditerranée qui remontent rarement vers la lumière.
Sans précipitation, l’équipe poursuit la captation, consciente que ce type de rencontre peut ne durer que quelques secondes. L’animal reste dans le champ, s’éloigne, revient brièvement, puis disparaît à nouveau dans le bleu profond. Il faudra ensuite revoir les images image par image pour réaliser à quel point la séquence est exceptionnelle.
Cabrera, ce petit archipel devenu bastion de biodiversité
Si cette scène n’a rien d’un film de fiction, elle doit beaucoup au statut particulier de Cabrera. L’archipel constitue un parc national maritime-terrestre hautement protégé, sans population permanente, où les activités humaines sont fortement encadrées.
Autour de ces îlots rocheux situés au sud de Majorque. La pêche est strictement réglementée. La fréquentation touristique limitée et la navigation canalée. Résultat : les fonds marins y sont parmi les mieux préservés de la région. Avec des herbiers de posidonies en bon état. Des zones de frayère pour de nombreux poissons et une présence régulière de grands prédateurs marins.
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Les scientifiques considèrent depuis longtemps l’archipel comme une sorte de laboratoire à ciel ouvert pour observer ce que pourrait être la protection des océans à grande échelle. Là où la pression de pêche baisse, certaines espèces se maintiennent, d’autres reviennent progressivement. Parmi elles, des raies, des mérous… Mais aussi plusieurs espèces de requins en Méditerranée. Longtemps perçues comme absentes alors qu’elles étaient simplement devenues très discrètes.
Aux Baléares, les études rappellent qu’une trentaine d’espèces de requins fréquentent ces eaux, de manière plus ou moins régulière. La plupart restent au large ou en profondeur. Loin des plages fréquentées par les vacanciers, et ne se signalent que par quelques observations isolées chaque année.
Crédit : NOAA / Wikimedia Commons
Un géant des profondeurs, discret mais vital pour l’écosystème
En étudiant les images, les chercheurs identifient un grand squale au profil atypique. L’animal présente un corps puissant, une nage plutôt lente, un museau massif et des yeux relativement petits. Mais c’est surtout un détail anatomique qui retient l’attention. Six fentes branchiales visibles de chaque côté de la tête. Là où la plupart des requins n’en possèdent que cinq.
Ce trait oriente quasi automatiquement vers un groupe bien particulier. Celui des requins dits « primitifs ». Dont la lignée remonte à des dizaines de millions d’années. Ces squales, qui comprennent notamment le requin-griset, vivent en général à grande profondeur et ne remontent qu’épisodiquement vers les zones plus éclairées.
Dans le monde scientifique, ces animaux sont réputés jouer un rôle important de prédateurs opportunistes. Ils consomment poissons, céphalopodes, parfois carcasses d’animaux marins, contribuant ainsi au recyclage de la matière organique dans les grands fonds. Leur présence régulière autour de certaines structures sous-marines, comme les canyons ou les pentes continentales, est d’ailleurs bien documentée en Méditerranée.
Le revers de cette biologie particulière, c’est que ces requins sont souvent vulnérables aux captures accidentelles. Leur croissance lente, leur longévité et une reproduction tardive les rendent sensibles à la surpêche. Plusieurs travaux scientifiques soulignent que, même lorsque l’espèce n’est pas officiellement classée en danger critique, sa situation reste préoccupante dans certaines régions, notamment en Méditerranée.
Crédit : NOAA / Wikimedia Commons
Les requins reviennent-ils vraiment en Méditerranée ?
Les images tournées près de Cabrera alimentent une question plus large : assiste-t-on à un véritable retour des requins dans nos eaux, ou simplement à une meilleure capacité à les repérer ?
Ces dernières années, plusieurs observations spectaculaires ont marqué l’opinion publique. En 2018, un grand requin blanc d’environ 5 m avait déjà été filmé au large des Baléares, non loin de Cabrera, lors d’une expédition scientifique, qualifiée d’« historique » par les chercheurs.De quoi rappeler que la région n’a jamais été un « désert » pour ces grands prédateurs.
Parallèlement, les études de suivi montrent que certaines populations de squales profonds, comme les sixgills, restent mal connues mais pourraient être plus présentes qu’on ne l’imaginait, simplement loin de la surface et des zones de baignade. Les scientifiques insistent sur un point : la plupart des requins observés en Méditerranée sont peu dangereux pour l’homme, et les rencontres rapprochées restent rarissimes.
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Dans le cas présent, la scène se déroule bien loin de la plage. L’animal évolue au large, dans un secteur réservé aux missions scientifiques et aux usages très encadrés. Pour le grand public, la conséquence la plus concrète n’est donc pas un risque supplémentaire pour la baignade, mais plutôt la confirmation que des espèces discrètes, parfois classées comme espèce menacée ou quasi menacée, continuent de fréquenter la région.
Crédit : NASA World Wind / Wikimedia Commons
Ce que montrent vraiment les images partagées sur les réseaux sociaux
Comme souvent aujourd’hui, l’histoire ne reste pas confinée aux rapports scientifiques. La séquence tournée par les chercheurs a rapidement été relayée sur les réseaux sociaux. Le média L’essentiel, très suivi au Luxembourg et en Belgique, a ainsi partagé la vidéo sur sa page Facebook avec un texte rappelant qu’il s’agissait d’une première pour ce secteur au large de Majorque.
Sur les images, on distingue clairement la silhouette sombre du squale glissant dans le champ, à bonne distance de la caméra. Certains internautes comparent spontanément la scène à des documentaires de nature ou à des séries comme « Blue Planet », tant l’animal semble surgir d’un autre monde. D’autres s’inquiètent en commentaires en pensant aux touristes qui se baignent chaque été autour de Majorque et du tourisme baléare en général.
Les spécialistes, eux, invitent à un regard plus nuancé. Pour eux, ces quelques secondes de vidéo impressionnante résument surtout des années d’efforts de gestion et de protection dans la zone. Là où le prélèvement de poissons diminue et où les habitats sont préservés, les grands prédateurs marins finissent par réapparaître, en toute logique écologique.
Il y a aussi un enjeu de pédagogie. Les chercheurs rappellent qu’un requin filmé en profondeur, loin des côtes, n’a rien à voir avec les scénarios catastrophe parfois relayés sur Internet. Dans ce cas précis, l’animal ne manifeste aucune agressivité, ne s’approche pas de plongeurs et ne change même pas de trajectoire à l’approche de la caméra.
Crédit : Wikimedia Commons
Quel animal les chercheurs ont-ils filmé exactement ?
Reste la question que beaucoup se posent après avoir vu les images : de quel animal s’agit-il précisément ? En recoupant les caractéristiques visibles sur la séquence — silhouette, nage, profondeur estimée, forme de la tête et surtout nombre de fentes branchiales — les spécialistes convergent vers une identification très précise.
Selon les informations relayées par la presse et les résumés scientifiques, les chercheurs ont filmé, pour la première fois dans ce secteur, un requin-griset à six branchies, un grand squale des profondeurs pouvant atteindre plus de cinq mètres de long. Ce type de requin, parfois appelé « bluntnose sixgill shark » dans la littérature internationale, représente l’une des lignées de squales les plus anciennes encore présentes sur Terre.
Les estimations faites à partir des proportions de l’image indiquent qu’ici, l’individu approchait effectivement les 5 m, ce qui en fait un véritable géant pour la Méditerranée. Une taille comparable à celle du grand requin blanc filmé au large des Baléares en 2018, mais pour une espèce totalement différente, plus profonde, plus discrète, et bien moins connue du grand public.
C’est cette combinaison — un requin de cinq mètres, d’une espèce rarement observée, filmé pour la première fois près de Cabrera — qui donne tout son poids à l’événement. Pour les biologistes marins, la séquence confirme que la zone marine protégée joue pleinement son rôle de refuge pour des animaux longtemps invisibles, parfois classés parmi les requins en Méditerranée à surveiller de près.
Et pour le grand public, elle rappelle surtout une réalité que l’on oublie souvent en regardant la mer depuis la plage : sous la surface, au large de Majorque, la vie sauvage continue, immense, ancienne, et encore largement méconnue.
- 21/11/2025 à 09:22j'avoue que voir ces images ne donnent pas le moral si les vacanciers avaient accès à cet endroit pour s'y baigner, ce qui prouve qu'il ne faut pas aller n'importe où, et que les animaux y habitant ont priorité sur les vacanciers - une belle zone de recherche, mais les plongeurs doivent faire attention ne connaissant pas ces requins, comment sont ils avec les nageurs ????ces photos et dialogues sont intéressants à lire, merci à vous.
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